Casser les prix pour ferrer des clients, la méthode est vieille comme le monde. Elle vaut aussi dans le domaine portuaire. Et à ce jeu, Haropa, maison-mère des trois grands ports de la Seine, a décidé de manier le rabot. Depuis le 1er janvier, le port du Havre renonce à 20% du montant des redevances (appelées droits de port) que lui doivent les porte-conteneurs en escale au titre de l'entretien des infrastructures : les réseaux fluviaux, routiers et ferroviaires notamment. La ristourne en question ne s'applique qu'aux méga-navires capables d'embarquer plus de 20.000 conteneurs dans leurs flancs mais elle n'est pas anecdotique.
Qu'on en juge. En 2023, leurs propriétaires devaient honorer, pour chaque escale au Havre, une facture comprise entre 50.000 et 70.000 euros au prorata du nombre de « boîtes » transportées. Des tarifs notoirement plus élevés que ceux pratiqués par Anvers, grand rival du port normand. Désormais, les tarifs des deux ports sont alignés, assure Kris Danaradjou, numéro 2 d'Haropa. « Grâce à cette baisse, nous nous plaçons au même niveau de taxes que nos voisins belges ». Ce faisant, l'établissement public envoie un « signal prix », sinon spectaculaire, au moins positif aux grandes compagnies maritimes. Objectif : les convaincre de router vers l'estuaire de la Seine davantage de ces immenses navires « mères » que se dispute la poignée de ports européens taillés pour les accueillir.
Les armateurs apprécient
Difficile de dire aujourd'hui si ce geste commercial influera sur les arbitrages des armateurs (et de leurs clients), tant le trafic conteneur est soumis à une multitude d'aléas comme le montrent les tensions en mer rouge. Pour autant, la décision est accueillie favorablement par les professionnels. « J'y vois la marque d'un intérêt bien compris entre acteurs publics et acteurs privés », salue David El-Bez, directeur des investissements de Til-MSC, filiale de manutention de la première compagnie mondiale du transport de conteneurs. Laquelle, rappelons-le, injecte pas loin d'un milliard d'euros dans ses terminaux du port du Havre. Précisément pour pouvoir recevoir les géants des mers dans des conditions optimales.
La réaction est plus tempérée au sein Groupement Havrais des Armateurs et Agents Maritimes pour qui ce rabais a manifestement un goût de trop peu. « C'est une excellente chose pour les compagnies même si on peut trouver dommage qu'elle n'arrive que maintenant et qu'elle ne vaille que pour une certaine catégorie de bateaux », commente son président, Bruno Gellerat.
Quand l'union fait la force
Il n'en reste pas moins que cette nouvelle politique tarifaire marque un virage important. Pour Stéphane Raison, patron d'Haropa, elle illustre le « changement de modèle économique » qui a commandé le rapprochement des trois ports de la Seine. Jamais en effet par le passé, le port du Havre n'aurait pu consentir isolément un tel effort tant sa santé financière dépendait des redevances portuaires. La fusion a changé la donne. Globalisées à l'échelle de l'ensemble portuaire normando-francilien, les escales des navires ne constituent plus le gros des recettes.
« Le ratio s'est inversé. Les redevances domaniales, plus stables et moins soumises aux aléas que les droits de port, représentent 60% des ressources aujourd'hui », rappelle Christophe Berthelin, grand argentier d'Haropa. Possiblement appelées à croître sous le double effet de la réindustrialisation et de la chasse au CO2, ces recettes foncières confèrent davantage de marges de manœuvre à l'établissement public. Lequel se démène pour faire fructifier cette nouvelle rente sur le modèle des ports d'Europe du Nord. D'où son empressement à aménager des terrains clés en main pour l'accueil de nouvelles entreprises. CQFD.
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