Le nouveau chemin de Philippe Mille

Après quinze ans aux prestigieuses Crayères à Reims, le chef doublement étoilé nous présente en exclusivité son nouveau restaurant, Arbane.
Charlotte Langrand
Le chef, qui est aussi meilleur ouvrier de France, dans son restaurant.
Le chef, qui est aussi meilleur ouvrier de France, dans son restaurant. (Crédits : © LTD / Anne-Emmanuelle Thion)

À 50 ans, son histoire semblait déjà écrite. Et son CV, impeccable : des classes dans les plus luxueux restaurants parisiens (Lasserre, Le Meurice, Drouant, Le Pré Catelan, le Ritz), un col tricolore de meilleur ouvrier de France (MOF) décroché en 2011 et quinze ans de fourneaux au sein d'un des plus beaux domaines de France - Les Crayères, à Reims. Enfin, une cuisine récompensée de deux étoiles par le guide Michelin sans discontinuer depuis 2012. Le chemin de Philippe Mille, l'un des cuisiniers les plus talentueux de sa génération, semblait devoir continuer sur les mêmes rails et au même endroit pour quinze années encore. Mais c'était compter sans l'audace qui, parfois, se réveille juste à temps pour s'éviter les regrets : le chef a soudain quitté ses étoiles et le domaine pour ouvrir le premier restaurant du reste de sa vie : Arbane.

Lire aussiClaire Gibault, les combats d'une cheffe

« Les Crayères, c'était magnifique, mais, à 50 ans, c'était maintenant ou jamais !lâche- t-il dans un grand sourire libérateur. Il fallait me remettre en question, me donner un coup de pied aux fesses : c'était très confortable de rester là-bas, mais j'avais peur des pantoufles... J'ai quelque chose d'autre à raconter, de plus moderne. Je veux pouvoir mettre mon âme partout, sur les tables, les murs, les assiettes... » À décision intime maison intime : Philippe Mille a eu le coup de cœur pour un hôtel particulier à taille humaine, à trois minutes à pied de la gare de Reims, sa ville d'adoption. « Je suis né à la campagne, j'ai vécu dans des fermes, et je ne me voyais pas ouvrir à Parispoursuit le natif de la Sarthe. Ici, il y a une petite maison, un petit jardin, une petite salle... Ce n'est pas un château, mais c'est chez moi, j'ai tout choisi, du sol au plafond. » Le nom n'a pas été trouvé au hasard : Arbane, ce cépage de champagne, ancien et rare. « Il a été laissé de côté... Il est comme moi, plutôt réservé. Pendant quinze ans, j'étais cloisonné, j'avais peur d'aller en salle. Maintenant j'ai envie de cette proximité, de partager l'expérience avec les autres. »

Une ode à la Champagne

Résultat, chaque table donne à la fois sur une belle cuisine ouverte et sur une verrière baignée de soleil. Tout le restaurant est une ode à la Champagne, à ses sols crayeux ou sablonneux, à ses caves à coquillages (puisque la mer était là il y a des millions d'années), à ses racines puissantes comme les ceps des vignes qui ont fait sa réputation. Au sol, des moquettes couleur d'herbe; aux murs, du liège comme celui des bouchons qui sautent en salle. Les tables ont été réalisées par des artisans locaux avec des brisures de bouteilles de champagne, de coquillages ou du bois brûlé. Aux murs, des œuvres d'art en vitraux rendent hommage au raisin comme à la cathédrale...

Les assiettes sont au diapason. Elles allient le prestige des grandes maisons de la région à une certaine ruralité chère à ce petit-fils d'agriculteurs et fils de forgeron : amuse-bouche « arbanothèque » autour des cépages ; ravioles végétariennes et multicolores au verjus ; asperges vertes et fondantes, mariées à l'oseille, à des raisins de mer (algues), au chardonnay et à une émulsion de brioche ; un somptueux saint-pierre laqué de rouge (betterave), et ce grand plat qui deviendra certainement signature : une pintade terre-mer avec asperges blanches, kombu, œuf confit poudré de craie de noisette et turions (couteaux) fermentés au sabayon d'algues... Rien que des recettes nouvelles : le chef jubile de recommencer à zéro.

Arbane


Restaurant Arbane à Reims. (© LTD / Anne-Emmanuelle Thion)

Pourtant, pendant ses quinze années aux Crayères, la cuisine a évolué : Top chef a fait des cuisiniers des stars, Instagram dicte ses toquades esthétiques, la cuisine s'est allégée et se pique de local et d'écologie... Mais, avec sa cuisine vivante, goûteuse et précise, le chef s'installe naturellement dans cette modernité, tout en ayant gardé une rare humilité : « Chez les jeunes chefs, ouvrir son restaurant, c'est l'objectif d'emblée... Moi, je suis d'une génération différente, on m'a dit qu'il fallait d'abord apprendre, trouver son identité, avant de commencer à pouvoir créer un plat... vers 35 ans ! Je suis plutôt d'accord avec ça. J'ai aimé apprendre dans de belles maisons, diriger des brigades, puis développer ma cuisine aux Crayères. Maintenant, je sors de ma coquille, je m'exprime à 300 %. »

Une partie de son équipe l'a suivi avec autant d'exaltation que lui, comme le jeune sommelier Valentin Gallais, dont l'enthousiasme n'a d'égal que la justesse de ses accords mets-vins. Nul doute que ses anciens clients viendront aussi trouver le chef dans son nouveau fief. « Je veux créer une osmose, une identité entre la cuisine, les artisans, l'art et la régionexplique ce passionné d'art. Je veux aussi montrer qu'il faut "faire de la cuisine" et pas de l'assemblage : retrouver les bases en les modernisant. Revenir au goût, aux sauces, aux cuissons sur arêtes ou sur carcasses... J'en ai besoin, c'est ce qui me fait vibrer. » Et si Arbane est le restaurant de la libération et de la maturité, il sera peut-être aussi celui qui lui apportera la troisième étoile tant attendue. Celle qui manque pour que l'histoire finisse comme un conte de fées.

Arbane, 7, rue Noël, à Reims (Marne). Menus en cinq ou sept séquences à 80 €, 110 €, 130 € ou 250 €. www.arbane-philippe-mille.com

Charlotte Langrand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.