Le savoir-faire des remailleuses de Villers-Bocage

À l’atelier de maille BS Production, on forme les recrues pour sauvegarder des compétences qui ne sont plus enseignées.
Une employée de l’usine BS Production de Villers-Bocage.
Une employée de l’usine BS Production de Villers-Bocage. (Crédits : © KRISS LOGAN/BS PRODUCTION)

Avec sa façade vintage en mosaïque turquoise, l'atelier de maille BS Production à Villers-Bocage pourrait figurer dans la série « France » du photographe Raymond Depardon. En juin, ses 30 salariés fêtaient les 100 ans de l'usine. Dans cette région normande, on parle encore parfois des Tricots Philips, du nom de leur fondateur, Ferdinand Philips, même si depuis treize ans l'usine, après avoir traversé pics et creux, est la propriété de Ludovic Samson, lequel a remonté l'affaire en en faisant un modèle du made in France.

D'abord spécialisé dans les chaussettes et les collants, l'atelier, détruit en 1944, est reconstruit quatre ans plus tard. À la grande époque, dans les années 1960-1970, il comptait 400 salariés, 77 en 2010 au plus fort des délocalisations. Ces derniers se targuent d'avoir résisté tout à la fois aux bombardements et à la concurrence asiatique. On produit aujourd'hui localement deux marques propres en plus de commandes extérieures : B.Solfin, vendue en VPC, modèles classiques de bons basiques, et La Française, lancée en 2018, en ligne, et récemment repositionnée mode pour une clientèle plus jeune.

L'atelier, symbole de la résistance de la maille française, est divisé en deux parties. Aux anciennes machines mécaniques, conservées à l'entrée, ont succédé des métiers automatisés dans la salle de tricotage, supervisés par les bonnetières. Ce jour-là, écharpes de Noël, pulls en laine recyclée mousseuse de La Française sont en cours de fabrication. Pascaline, 50 ans, bonnetière, travaille ici depuis dix-huit ans. Ce qu'elle aime, à ce poste, c'est « l'autonomie du travail avec la machine » : « On ne sait jamais ce qui nous attend, assure-t-elle. On a un dossier avec la photo du modèle, les indications. On installe le fil, on entre les données et on surveille. Tout peut arriver, un bourrage, on surveille tout. » Un peu plus loin, un pull « en intégral » sort d'un seul tenant d'une de ces machines de tricotage. Impressionnante, cette technologie, qui ne s'applique qu'à certaines coupes, permet d'éviter les chutes de laine.

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Le label France terre textile

Côté confection, on distingue deux groupes : les anciennes, qui ont plusieurs décennies derrière elles, et les reconverties, qui ont eu une première vie professionnelle mais se sont laissé attirer par des horaires moins prenants. Chloé, 19 ans, en alternance dans le cadre d'un BTS métiers de la mode et du vêtement, incarne la relève. « Depuis dix ans, avec les départs à la retraite, il faut recruter, ce qui n'est pas simple », explique Isabelle Châtel, responsable de site à BS Production. Ingénieure textile de formation, elle a vu les profils évoluer. « Les écoles ne forment pas à ces techniques de la maille, nous le faisons en interne, poursuit-elle. Les horaires 8 heures-16 heures attirent nombre de femmes qui n'avaient plus de vie de famille dans leurs précédents métiers. Cela l'emporte sur les salaires, qui tournent encore autour du smic avec primes de production. »

Le cœur même de l'activité ici, protégée par le label France terre textile, réside dans la sauvegarde d'une palette de savoir-faire manuels. Christèle, qui se qualifie de « maniaque », est au visitage : elle effectue les derniers contrôles avant la mise en boîte. Cindy, ancienne fleuriste, pose les cols sur les pulls et intervient comme remailleuse, du nom de cette machine qui permet aussi d'assembler devants et dos des pièces, tout comme Élodie, ex-prothésiste dentaire. Marie a pour tâche de piquer. Cathy donne un coup de main pour passer les élastiques à la taille des jupes.

Micheline, employée depuis trente ans, est ce jour-là au poste de surjeteuse raseuse mais d'ordinaire elle est « à la cuvette », technique qui consiste à coudre en lisière du pull. Dans une petite salle se trouve Karine, qui occupe le poste de raccoutreuse. À la main, elle répare les minuscules accrocs, reprend et restaure les mailles à l'aiguille, grâce à la conservation d'échantillons de fils de tous les articles. Ici, rien ne se perd. Les chutes de laine sont vendues à une entreprise italienne qui les réutilise en rembourrage pour l'ameublement. La maison normande bénéficie de la vague made in France grâce à son savoir-faire centenaire. Lors du dernier salon, la récente collection de la bien nommée La Française a été particulièrement bien accueillie. La jupe en maille plissée et les pulls à trois fils de couleur ont trouvé leur public. Juste récompense.

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