Les festivals, une passion française

Le Printemps de Bourges inaugure mardi une saison très attendue malgré les reports liés aux JO et une conjoncture économique plus rude.
Alexis Campion
Festivaliers lors du festival des Vieilles Charrues en juillet 2022.
Festivaliers lors du festival des Vieilles Charrues en juillet 2022. (Crédits : © LTD / JULIETTE PAVY)

Qu'est-ce qui relie Komidi, festival associatif qui, fin avril, mobilise une centaine de bénévoles pour accueillir dans le sud de l'île de la Réunion des dizaines de créations théâtrales venues de métropole, et Main Square qui, pour sa 20e édition début juillet à Arras (Hauts-de-France), affichera quatre jours durant des pointures pop internationales (Lenny Kravitz, Placebo, Ninho, etc.) sous la houlette du producteur californien Live Nation Entertainment ? L'un est artisanal et subventionné à hauteur de 280 000 euros pour deux semaines de spectacles non-stop, l'autre industriel et privé, fort d'un budget de 11 millions d'euros pour quatre jours de concerts dans une citadelle Vauban inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco.

Mais dans les deux cas, on parle d'écosystèmes. On se heurte aux mêmes questions dans un contexte post-Covid où l'inflation n'épargne personne. Mais surtout, on participe d'une exception culturelle française. La France est le pays d'Europe où l'on compte le plus de manifestations de ce type. Environ 7 000, pour 11 millions de spectateurs, selon l'association France Festivals. D'où l'émoi ressenti quand, en novembre 2022, déjà ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin avait évoqué la nécessité que soient « annulés ou reportés » les rendez-vous culturels ou sportifs de cet été en raison de la mobilisation massive des forces de l'ordre pour les Jeux olympiques qui se tiennent du 26 juillet au 11 août.

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Pour finir, les « grands » festivals, comme les Vieilles Charrues ou Rock en Seine, ont été sanctuarisés, à l'exception du Lollapalooza Paris, qui devait entrer en collision avec la cérémonie d'ouverture. D'autres manifestations dans le spectacle vivant ont en revanche avancé leurs dates d'une semaine par rapport à leurs habitudes.
C'est le cas du Festival d'Avignon. Plus que les Chorégies d'Orange, le plus ancien de France (1969), c'est ce rendez-vous dans la cité des Papes - né après guerre de la vision de Jean Vilar en faveur de la démocratisation culturelle ensuite propulsée par Jack Lang au cours des années 1980 - qui reflète le mieux l'esprit du « projet festival » à la française : pour réussir, il se doit d'être artistiquement défricheur, foisonnant et en phase avec les élus, les entreprises, et bien sûr le public de sa terre d'accueil.

Festivaliers

Festivaliers lors du passage de Luidji lors du festival des Vieilles Charrues en juillet 2022.

 « De par leurs missions, qui imbriquent toujours le symbolique et l'économique, ces rendez-vous fécondent les territoires », observe à Michaël Dian, fondateur du festival de Chaillol. Depuis 1996, dans les églises, salles des fêtes, prairies et châteaux de villages des Hautes-Alpes, cette manifestation conjugue sobriété et utopie, avec l'implication de musiciens classiques et contemporains parmi les plus cotés du moment (les quatuors Béla et Psophos sont des habitués). Il permet ainsi à des estivants et à des agriculteurs de savourer ensemble le meilleur de Schubert ou de Ligeti en concert... Le miracle de Chaillol est un exemple de choix: il se déroule sur une zone vaste et pas simple d'accès, il mise sur la création, la découverte, l'exigence artistique. Pour l'association France Festival, ce type d'événement ancré « en ruralité » - souvent bien modeste au regard des grands rendez-vous médiatisés - est au cœur de la dynamique festivalière française.

« Printemps de la ruralité »

« La conjoncture inquiète mais la création d'un festival reste toujours un bon signal pour un territoire, et c'est en ruralité, souvent à l'initiative d'artistes, qu'il en naît le plus depuis quinze ans », expose Emmanuel Négrier, sociologue du CNRS qui, depuis 2005, concentre sa recherche sur les rendez-vous culturels. Il publie justement ces jours-ci une étude intitulée Ruralités: elle démontre le foisonnement d'événements à taille humaine œuvrant à l'année en tant que médiateurs culturels en lien avec les acteurs locaux, qu'ils soient économiques, éducatifs ou sociaux. « Il fut un temps où on évaluait les festivals en termes quantitatifs, il est plus complexe mais plus intéressant de les évaluer en termes qualitatifs », poursuit-il.

Cette bonne santé et la bonne conduite des festivals des champs inspirent jusqu'à Rachida Dati. En février, la ministre a annoncé le lancement d'une concertation nationale intitulée « Printemps de la ruralité ». L'initiative reflète au passage un savoir-faire que nous envient nos voisins européens. « Nous sommes un pays fort,  car la grande majorité de nos festivals peut s'appuyer sur l'armature des collectivités locales, ce qui n'est pas le cas aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, poursuit Négrier. Cette singularité permet aussi de contenir le coût des entrées, parfois de garantir la gratuité. » On le vérifie à La Bonne Aventure, ce raout dunkerquois gratuit qui fait peur au très anglicisé Main Square, contraint pour sa part d'augmenter ses tarifs d'entrée au rythme d'une inflation sans merci: cachets exigés par des stars millionnaires, coûts techniques, énergétiques, etc. « Il faut bien comprendre que réunir 50 groupes sur quatre jours n'est pas donné et que cette diversité est précieuse », plaide Armel Campagna.

Mobilisation des bénévoles locaux

Le directeur de Main Square affirme entretenir de bonnes relations avec la Ville d'Arras et lui garantir « chaque été près de 2000 embauches ». Un argument que peu d'autres festivals peuvent avancer, en général parce que leur indépendance repose sur la mobilisation des bénévoles locaux, parfois de mécènes ou sponsors, et dépend du bon vouloir de la puissance publique.

Confronté à « une baisse drastique des subventions départementales », le festival Cahors Blues vient d'annuler son édition 2024. « On espère bien retrouver des fonds pour revenir encore plus fort en 2025: on y travaille déjà, explique Robert Mauriès, son directeur depuis quarante-deux ans. Mais la Ville aussi baisse sa subvention et le département ne répond pas... » Au Tempo Latino de Vic-Fezensac, le directeur, Éric Duffau, annonce une belle édition 2024 (Roberto Fonseca, Raúl Paz, Pacific Mambo Orchestra) mais explique ne jamais avoir autant « serré les fesses » et vivre, de surcroît, avec le spectre de son voisin Jazz in Marciac, mastodonte du jazz qui avance ses dates en juillet au point d'empiéter sur celles de Tempo Latino... Mais pas question pour ce bénévole de toujours (trente ans déjà) de renoncer. « Faire ce festival, ça a toujours été comme jouer à la roulette. Il suffit de peu pour sortir gagnant ou perdant d'un tel projet, mais que voulez-vous, on a des valeurs! »

Le sociologue Emmanuel Négrier, en train d'achever une étude sur les festivals qui disparaissent, l'atteste sans broyer du noir non plus: « C'est un univers extraordinairement mouvant où la situation se tend, en particulier pour les festivals moyens. Les grosses machines parviennent encore à imposer la hausse de leurs tarifs et les plus petits, plus autonomes et plus souples, ont l'expérience du bricolage. »
À Angoulême, Musiques Métisses parvient à mêler concerts gratuits et payants avec deux salariés et 800 bénévoles afin d'assurer 20 concerts sur trois jours chaque printemps. Un miracle qui ne va pas sans incertitudes ni sans coups de main, par exemple celui de Kassav venu jouer gratuitement en 2016, au moment où le festival, endetté, frôlait le crash...

À VOS AGENDAS !

Du 23 au 28 avril
Printemps de Bourges
Pour sa 48e édition, le Printemps de Bourges revient avec des poids lourds de la musique (Mika, Martin Solveig, Kyo) mais aussi des talents plus confidentiels (Dinaa, Joanna, Akira & Le Sabbat).

Du 10 au 14 juillet
Francofolies
À l'occasion du 40e anniversaire du festival, les organisateurs des Francofolies réuniront à La Rochelle Sting, Ninho, Sofiane Pamart ou encore Zaho de Sagazan.

Du 11 au 14 juillet
Les Vieilles Charrues
À Carhaix (Finistère), le festival culte des
Vieilles Charrues accueillera notamment David Guetta, Sam Smith, Sting, Dadju & Tayc.

Du 21 au 25 août
Rock en Seine
Le festival parisien recevra pour sa 21e édition Lana Del Rey, Massive Attack, Gossip et Zaho de Sagazan.

Alexis Campion

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Commentaire 1
à écrit le 21/04/2024 à 10:51
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Une expérience sympa pour les jeunes qui ont besoin de se retrouver entre eux dans une ambiance festive et décontractée. Ça change du milieu du travail néolibéral.

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