Découvrir les tours Eiffel de Lewarde

Il y a quarante ans, le puits d’extraction de charbon de la ville est sauvé grâce à la naissance du Centre historique minier.
Le Centre historique minier.
Le Centre historique minier. (Crédits : © CENTRE HISTORIQUE MINIER)

À la sortie de Douai, au milieu d'un banal rond-point, s'ennuie une berline rouillée. Pas une voiture de luxe, mais le nom des wagonnets qui transportaient le charbon. La berline est le symbole du travail à la mine. Plus aucune berline ne circule encore. L'activité d'extraction du bassin minier du nord de la France est morte en 1990, morte mais pas enterrée. Au-delà des champs de betteraves, des forêts de châtaigniers, par-delà les maisonnettes bien alignées en briques rouges surgissent deux tours Eiffel. Deux sœurs, deux repères, deux phares en acier griffent le ciel tourmenté des Hauts-de-France. Ces deux tours sont des chevalements. Ils permettaient de remonter à la surface mineurs et charbon. Ils annoncent la présence d'une ancienne mine fermée en 1971. Grâce à la culture, la mine vit autrement mais toujours.

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À côté du village de Lewarde, l'ancienne mine s'est réveillée. En 1984, le Centre historique minier devient le nouveau cœur battant de la région. Des expositions, des reconstitutions, des murs tagués artistiquement, des œuvres contemporaines placées dans les locaux originels, des spectacles, la culture a remplacé le charbon. Lewarde n'est ni un cimetière ni un mémorial mais un aide-mémoire, une mine d'informations, d'émotions, vivante et pas triste.

Des a priori plein le sac à dos, grand nombre de visiteurs qui se rendent à Lewarde ne pensent qu'aux dangers, aux corps qui souffrent sous la terre, aux luttes sociales, à Germinal de Zola. Ce n'est pas faux, mais la mine n'est pas que cela. Les mineurs sont fiers de leur métier, solidaires sous la terre, amis sur celle-ci. Les œuvres appartenant à Lewarde, peintures, dessins, tapisseries, photographies, affichent ce cocktail non explosif de détermination, de dignité et de souffrance. Le peintre au cœur du cœur des mineurs est Lucien Jonas, né à Anzin en 1880. La petite ville minière est située à une trentaine de kilomètres de Lewarde. À la fin du XIXe, Lucien Jonas fréquente les mineurs. Il aime ces travailleurs chers à Arlette Laguiller. Il les croque, le fusain au bout des doigts. Ses dessins au charbon perçoivent avec justesse l'âme de ceux qui l'extraient. En 1944, une œuvre de Jonas représentant un mineur circule dans toute la France sous la forme d'un billet de banque de 10 francs. Mine de rien, on se sent un peu ballot de ne pas connaître Lucien Jonas, mais quel plaisir que celui de la découverte.

Jacques Trovic, lui aussi né à Anzin, en 1948, est dans les collections de Lewarde. Malade, handicapé, il reste souvent chez lui avec sa mère et sa sœur. Elles lui apprennent la broderie. Et il se lance. Ses compositions tapissières sont joyeuses, tendres et naïves, 300 œuvres, toutes liées à l'univers minier. Une représente la protectrice des mineurs et des pompiers, sainte Barbe, sainte pare-feu. Si l'extraction du charbon a cessé en France, il reste la deuxième énergie consommée par la planète après le pétrole et avant le gaz. Quels que soient les siècles et les pays, un mineur reste une gueule noire qui descend dans les entrailles noires de la terre.

Dans le bruit et la nuit éternelle

À côté de la haute salle de bains où sont suspendus les vêtements des mineurs, là où ils se changeaient, sont exposées des photographies de mineurs réalisées en 2011 en Ukraine par le photographe français d'origine ukrainienne Youry Bilak. Devant une photographie de trois mineurs aux yeux de félin se tient, droit, immobile et silencieux, Daniel Francke. Il se regarde. Il voit ce qu'il fut, mineur pendant vingt-quatre ans. Vingt-quatre ans à partir de chez lui tôt le matin, à arriver à Lewarde, à emprunter l'ascenseur puis travailler des heures et des heures dans le bruit et la nuit éternelle. Daniel Francke a commencé à l'âge de 14 ans en tant que galibot, appellation contrôlée qui désigne un très jeune mineur. Il raconte combien il était fier de faire le même métier que son père et son grand-père, mais combien il a été difficile de se déshabiller à côté des adultes. Il raconte qu'il n'a jamais eu peur du danger, de l'effondrement, du coup de grisou bien qu'ayant en tête celui qui tua en 1906, en quelques secondes, plus d'un millier de mineurs dans ce même bassin minier. Daniel Francke maîtrise incroyablement l'art de conter. Il explique s'être habitué au bruit dont tout le monde lui parle et ajoute que tout le monde est étonné qu'il ait travaillé, enfant.

Lorsque Lewarde a fermé, Daniel n'est plus allé au fond de la mine, mais depuis vingt-cinq ans il s'y rend toujours. Le mineur est devenu médiateur, prolongeant ainsi sa vie d'avant, la racontant, faisant visiter le site. Lewarde organisant des expositions, recevant des artistes, Daniel n'a rien raté. Ainsi l'art est entré dans sa vie. Avec sa femme et son camping-car, il s'est rendu au Louvre-Lens d'où Luc Piralla, nouveau directeur exalté de Lewarde, vient. Daniel s'est rendu chez des visiteurs en Bretagne, chez un forestier dans les Landes, découvrant des univers qu'il n'aurait jamais connus lorsqu'il était mineur. Il est encore chaviré par sa visite au Louvre de Paris et ébloui par Versailles. Des profondeurs sombres de la mine au lustre clinquant de Versailles, Daniel
ne s'en remet toujours pas. 
Nous revêtons un casque afin de descendre au fond de la mine. Ultime question, comme si c'était la dernière. Quelle est l'œuvre qui raconte le mieux le travail à la mine?

Sans hésitation, je réponds Qu'elle était verte ma vallée de John Ford. Vous imaginiez que j'allais répondre Germinal de Zola, mais il raconte la révolte des mineurs, pas la vie d'un mineur. Il faut reconnaître que Zola a eu le mérite de se renseigner en descendant à la mine à Anzin en 1884. On descend ?

Devant la grande porte de l'ascenseur, l'appréhension s'installe. Une voix annonce une descente d'une minute pour se retrouver 500 mètres sous terre. L'excitation est chassée par la peur. On pense au coup de grisou, à l'effondrement d'une galerie, à la panne d'électricité. Fébrile, on envisage de renoncer. Encore sur terre, on devient claustrophobe. On entre. L'ascenseur entame sa descente. Il vibre, fait du bruit. On s'enfonce. Le cœur s'emballe. La descente n'en finit pas. La porte s'ouvre enfin. Les yeux ne croient pas ce qu'ils voient. D'immenses galeries et d'autres si petites. Un labyrinthe. Et, 500 mètres sous terre, mon téléphone sonne...

Centre historique minier de Lewarde (Nord). Tél.: 03 27 95 82 82.
[email protected]
Exposition « Mineurs d'Ukraine », photographies de Youry Bilak, jusqu'au 22 septembre.

Lewarde en 5 dates

1720
Début de l'extraction du charbon dans les Hauts-de-France

1971
Fermeture définitive du site de Lewarde

1984
Ouverture du Centre historique minier de Lewarde

2004
Fin de l'exploitation du charbon en France

2024
Le centre a 40 ans. 5 millions de visiteurs depuis son ouverture.

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