Livre : Beata Umubyeyi Mairesse survivante du génocide des Tutsis au Rwanda, les dessous d’un miracle

À 15 ans, Beata Umubyeyi Mairesse a échappé au génocide des Tutsis au Rwanda. Des années plus tard, elle analyse les ressorts de son salut.
Alexis Brocas
(Crédits : © Céline Nieszawer/Leextra via opale.photo)

À ceux qui doutent de l'utilité des ONG, nous conseillons la lecture du remarquable Convoi. La romancière rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse y raconte comment, adolescente, elle fut sauvée des machettes des milices hutues par un convoi de camions vers le Burundi formé par la discrète association suisse Terre des hommes, avec sa mère et un bon millier d'autres enfants tutsis. Un salut qu'elle doit notamment à l'activisme d'un humanitaire et d'un consul italien, à un barbouze français qui a bien voulu fermer les yeux, aux contradictions d'un régime au bord de la débandade et soucieux d'apparaître moins génocidaire qu'il ne l'était, et à sa propre ruse, à son français courant et à sa peau métisse - autant dire à un sidérant concours de hasards, de déterminisme et de portes forcées au bon moment. Puis elle est partie en France, a travaillé pour des ONG, est devenue l'autrice de fictions fondées sur la réalité rwandaise où elle contournait sa propre histoire. Jusqu'à ce qu'au fil des rencontres - avec des survivants d'autres génocides, des rescapés tutsis, des lycéens - s'impose la volonté d'en savoir plus sur ce convoi que ne lui en disaient ses souvenirs... Trente ans la séparent de cette histoire ; et de cette attente, le livre tire un grand bénéfice.

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Vers sa propre histoire

Il ne s'agissait pas de prendre de la distance pour retrouver un visage humain dans ceux des tortionnaires : les victimes du génocide rwandais savaient très bien que leurs assassins étaient leurs voisins, chauffés à blanc par la propagande. Il s'agit, plutôt, en première partie, de raconter le chemin de l'autrice vers sa propre histoire, pour dépasser ses doutes entretenus par des remarques blessantes. Une éditrice lui explique que le créneau rwandais est déjà pris, un ami lui demande si « rescapée » est son métier. « Il suffit de quelques entailles pour me faire vaciller », témoigne l'autrice. Alors elle se raccroche à du solide : Primo Levi, qui a fait le chemin inverse en passant du témoignage à la fiction, Imre Kertész, dont le Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas ne l'a pas découragée de devenir mère. Et son propre mari français, qui a lancé l'enquête en 2007 en appelant la BBC, parce que « des gens [leur] ont dit [les] avoir vues, [sa] mère et [elle], dans un reportage diffusé sur la chaîne britannique en juin 1994 ».

Dès lors, le livre devient à la fois la quête d'une image et une enquête révélant les dessous du miracle. Derrière l'association Terre des hommes apparaît Alexis Briquet, qui a monté le convoi et auquel le récit rend un hommage d'autant plus beau qu'il n'élude pas ses ambiguïtés. Derrière la belle histoire journalistique du sauvetage des enfants apparaissent des réalités plus amères - si les militaires hutus ont laissé partir ces camions pleins de petits tutsis, c'était aussi parce que certains d'entre eux, sentant poindre la débâcle, y avaient placé leur propre progéniture. Et derrière l'expression « génocide rwandais », on découvre la confusion entre victimes et bourreaux entretenue, hélas, par les autorités françaises « engluées dans leurs liens » avec le régime génocidaire, et flattant l'opinion dans le sens de ses supposés préjugés racistes : en Afrique, c'est bien connu, on s'entretue tout le temps...

Reste le témoignage de l'autrice, le cœur du livre, qui trouve, entre volonté de précision et hésitations de la mémoire, le juste point d'équilibre pour aborder l'horreur. Ce que c'est que d'avoir 15 ans et de voir massacrer des gens, de se faire arrêter puis sauver par un officier génocidaire qu'on aura embobiné... Une plongée en apnée dans un monde où la vie ne tient à rien, gouvernée par l'absurde dans son incarnation la plus sanglante. Il fallait bien quinze ans de doutes puis quinze ans de patientes recherches pour donner sens à cette histoire.

LE CONVOI, Beata Umubyeyi Mairesse. Flammarion, 334 pages, 21 euros.

Alexis Brocas

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