Livre : « Compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour », guide de haute pensée

Dans ce livre centré sur la sexualité, Pascal Quignard nous élève... en prenant soin de ne pas dissiper tous les mystères.
Alexis Brocas
Pascal Quignard, écrivain français
Pascal Quignard, écrivain français (Crédits : © MATSAS/LEEXTRA VIA OPALE.PHOTO)

Un genre littéraire, c'est comme une maison : cela s'habite, et si certains écrivains préfèrent les architectures éprouvées, comme celle du polar, voire préfabriquées, comme celle de la romance, d'autres ont besoin d'édifices personnalisés pour laisser s'épanouir leur inspiration. Tel Pascal Quignard, qui s'est bâti, à force de livres inclassables, un beau domaine aux frontières de l'essai, du roman, de l'autobiographie et de l'historiographie. Dans ce lieu fascinant et ouvert à tous, les fleuves Narration et Réflexion confluent jusqu'à se confondre, et des nuages de paragraphes lyriques ont tôt fait de vous porter vers un ciel de hautes pensées. Là, les déesses locales - Antiquité, Littérature, Psychanalyse, Peinture - se renvoient la balle... Mais le problème avec les dieux et les devins, c'est qu'on ne comprend pas toujours ce qu'ils veulent dire, et l'élucidation de leurs sentences cryptiques augmente souvent le mystère.

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Quignard commence par une interrogation à la fois centrale et que nous ne nous posons jamais : pourquoi avons-nous proscrit la représentation du coït, alors que de toute évidence c'est de là que vient chacun d'entre nous ? Alors que « nous sommes la seule espèce qui relie sexualité et reproduction » et que, comme nous l'a appris Freud, « personne ne peut s'élever au-dessus de sa genèse » ? Pour y répondre, le livre invoque des foules, dont Tirésias, « le dernier chamane de l'histoire des Grecs », qui fut homme et femme, et qui jugeait que pour une mesure de plaisir masculin il y en avait neuf féminines - parlait-il des neuf mois qui prolongent éventuellement l'acte ? Vient aussi la Vénus d'Urbin, saisie nue par le Titien dans un geste d'une pudeur si ambiguë qu'il suggère aussi la masturbation : quelle leçon cache son sourire ? Et encore les figures pariétales des chasseurs-cueilleurs : l'homme bison prêt à saillir la femme lionne, en un paléolithique où cette figuration n'était donc pas honnie mais sacralisée... On y retrouve aussi le goût de l'auteur pour les chats, en qui il voit l'image de l'in-fant : l'être d'avant la socialisation... Bref, tout cela vole haut, et c'est un plaisir.

Quignard commence par une interrogation à la fois centrale et que nous ne nous posons jamais : pourquoi avons-nous proscrit la représentation du coït ?

Mais voilà, si Quignard sait bondir d'un sommet à l'autre, il lui arrive d'oublier le lecteur, qui peut s'arrêter sur certaines phrases comme celles-ci : « Sur les apparences ina-dressées de la nature. Unadressierte Erscheinungen. Une expressivité inutile excédant toute fonction, ne s'arrêtant pas à sa propre forme, qui va au-delà de tout appel - au-delà de tout appel même à l'intérieur du chant. » D'autres donnent envie de lever la main. « M'sieur Quignard, pourquoi dites-vous que Gilgamesh est le "deuxième marin", après Jason, alors que l'Épopée de Gilgamesh est antérieure au mythe de la Toison d'or ? » Mais cette obscurité ne dure jamais et, surtout, elle est évidemment voulue. Pour explorer ce qui relève de l'informulable - soit tout ce qui se cache sous la sexualité -, il faut aussi parler le langage de l'énigme...

Alexis Brocas

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