Livre : la sélection de la semaine

Plongez dans les « Écrits américains » de Philippe Labro et découvrez, quinze ans après sa mort, « La vie extraordinaire d'un homme ordinaire » de Paul Newman.
L'écrivain Philippe Labro.
L'écrivain Philippe Labro. (Crédits : ©FRANCE SCA MANTOVANI / GALIMARD)

Irrésistible cow-boy

On ne peut pas rater la chevalière que Philippe Labro porte à l'annulaire de la main gauche - parce qu'il parle avec les mains, et qu'elle est imposante. Elle l'accompagne depuis qu'à 18 ans l'aventureux est parti aux États-Unis étudier dans une université de Virginie, à Lexington. Ce qui, en 1954, n'était pas franchement commun. Labro a débarqué du Queen Mary dans la baie de New York avant de rejoindre la Washington and Lee University. Tom Wolfe, l'auteur du Bûcher des vanités, d'Un homme, un vrai, et chef de file du Nouveau Journalisme, était sorti diplômé de la même université trois ans auparavant. Plus tard, les deux hommes deviendront amis - Labro a le don des amitiés.

Le « désir d'Amérique » fut un moteur pour notre écrivain - également journaliste de presse écrite et de télévision, scénariste, parolier, et on en passe. Le pays continent est le fil directeur du volume que la collection « Quarto » lui consacre, et qui porte ce titre : Écrits américains. Y sont réunis des romans - Un Américain peu tranquille, L'Étudiant étranger - et des textes journalistiques, essentiellement des portraits, un art où il excelle.

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Il dresse dans la préface un tableau de l'Amérique comme incarnation de l'excès et des paradoxes. S'il adore ce pays, il ne l'idéalise pas : « L'Amérique est un continent peuplé d'ingénieurs, d'inventeurs, de créateurs, de poètes et de pionniers. Ils ont fait le monde moderne. Ils ont marché sur la Lune. L'Amérique est aussi un pays d'incultes, de racistes, de mufles butés, armes d'assaut semi-automatiques à la main. » Né en 1936, Labro établit sa brève autobiographie à l'aide de photos qu'il commente avec des extraits de ses livres. Ses phrases nominales, qui participent de son côté cow-boy efficace, égrènent les noms d'écrivains qui l'ont fabriqué : London, Faulkner, Fitzgerald, et surtout Hemingway, duquel il retient cette loi: « Tout écrivain devrait posséder en lui un radar à merde. » Entre 1960 et 1962, lors de son service militaire, Philippe Labro est envoyé comme journaliste militaire en Algérie. De cette expérience naît son premier roman, Des feux mal éteints (1967).

Kessel et Londres comme modèles

L'engagement était une valeur familiale. Les parents de Philippe Labro furent honorés comme Justes parmi les nations pour avoir abrité des Juifs dans leur maison de Montauban pendant la guerre. Après son expérience fondatrice en Virginie, Labro devient journaliste, avec en tête, en guise de modèles, Kessel et Albert Londres. Il travaille pour Europe 1 et France-Soir. Lazareff le surnomme son « fils spirituel ». Le 22 novembre 1963, il est à Yale pour Cinq Colonnes à la une afin de réaliser un sujet sur les universités américaines. Il aperçoit au loin un étudiant qui hurle en courant : « The President has been shot. » Labro reçoit de Lazareff l'ordre de foncer à Dallas pour couvrir l'assassinat de Kennedy. On a tiré sur le président (2013) figure évidemment dans ce volume.

Labro est d'autant plus attachant qu'il n'est pas avare de son admiration. Il aime Romain Gary à une époque où l'auteur de La Promesse de l'aube n'est pas pris au sérieux, et il chérit Jean-Pierre Melville. Le réalisateur compte tant pour Labro qu'à sa mort, en 1973, un vide s'ouvre. L'homme révèle ses failles. En 1999, sur le point de présider RTL, il s'effondre. Dépression. Cette fragilité et cette sensibilité éclairent la chaîne d'amitiés que dessine ce « Quarto ».V B-L

 ÉCRITS AMÉRICAINS - ŒUVRES CHOISIES Philippe Labro, Gallimard, collection « Quarto », 1 152 pages, 28 euros.

Paul Newman sur le divan

Voilà les Mémoires posthumes d'une légende qui détestait l'être - et à la lecture de ce livre, on comprend que ce n'est pas une posture... Cinq ans durant, Paul Newman, acteur oscarisé aux magnétiques yeux bleus, s'est confié à son ami Stewart Stern entre deux crises d'angoisse, non pas pour nourrir le mythe, mais pour communiquer avec sa descendance - six enfants, tout de même... Quinze ans après sa mort paraît donc La Vie extraordinaire d'un homme ordinaire, un texte en contrechamp élaboré à partir de ces entretiens et enrichi de témoignages (George Roy Hill, Elia Kazan, Sidney Lumet, Tom Cruise...). On y découvre un homme se voyant comme « un comptable qui va au boulot tous les matins ».

Sa filmographie - dont La Chatte sur un toit brûlantButch Cassidy et le KidLuke la main froide ou L'Arnaque - n'est évoquée que pour servir de repère temporel dans un récit qui tient plus d'une saison d'En analyse que des Cahiers du cinéma !

Paul Newman y raconte son enfance dans l'Ohio, sa mère qui le considère comme un ornement, l'antisémitisme qui lui ferme les portes de la fraternité lycéenne. De ces années, il reste surtout les copains, la fête, le jeu et l'alcool. C'est d'ailleurs parce qu'il est viré de l'équipe de foot à la suite d'une bagarre dans un bar qu'il s'inscrit au théâtre. Très vite sa beauté et son charisme lui offrent les premiers rôles. Son diplôme de Yale puis son passage par l'Actors Studio ne gommeront jamais son syndrome de l'imposteur. « Si j'ai percé, c'est d'abord grâce à mon physique, analyse-t-il. Mon physique a toujours été ma rente. »

Grand philanthrope

Toute sa vie, il s'efforcera d'être quelqu'un de bien, de combattre son addiction à l'alcool, de ménager son foyer malgré l'échec de son premier mariage, de protéger ses enfants, lui qui ne s'est jamais remis de la mort de son fils Scott en 1978. Grand philanthrope, il est selon The Economist « l'individu le plus généreux, proportionnellement à ses revenus, de toute l'histoire du XX e siècle aux États-Unis ». Mention spéciale pour la déclaration d'amour qu'il fait à sa femme, l'actrice Joanne Woodward. « C'est elle qui m'a inventé », affirme celui qui considère leur demi-siècle de relation comme « un miracle d'égalité ». Cette autobiographie se lit comme un grand roman américain. A-L W.

LA VIE EXTRAORDINAIRE D'UN HOMME ORDINAIRE. Paul Newman, traduit de l'anglais (États-Unis) par Serge Chauvin, La Table ronde, 336 pages, 24,50 euros.

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