Livre : John Grisham, jamais sans sa femme !

ENTRETIEN EXCLUSIF - Trente ans et 47 livres après « La Firme », le maître du thriller judiciaire livre la suite : « Le Réseau ». Il nous dévoile les coulisses de son écriture.
John Grisham, écrivain américain.
John Grisham, écrivain américain. (Crédits : © LTD / Donald Johnson/NYT/Redux/REA)

Mitch McDeere revient. Trente ans après La Firme, John Grisham ressuscite le fougueux avocat qui a fait tomber le cabinet Bendini, Lambert & Locke. On l'avait laissé avec sa femme Abby, fuyant Memphis, la mafia à leurs trousses. On les retrouve quinze ans plus tard, dans un splendide appartement new-yorkais avec deux brillantes carrières et d'adorables jumeaux. Mitch part pour affaires à Tripoli, mais le voyage tourne mal, et une avocate est kidnappée. S'engage alors un contre-la-montre effréné où l'avocat va faire jouer tous ses réseaux juridiques, économiques et politiques pour la faire libérer.

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Rondement mené, Le Réseau n'est peut-être pas le meilleur thriller de John Grisham, mais c'est sans doute l'un des plus touchants. On aime retrouver ces personnages qui ont construit notre imaginaire. Que deviennent nos héros quand ils vieillissent ? Le jeune loup, incarnation de l'ambition des années 1990, est désormais un homme d'honneur, bon père et bon mari. Certes, Grisham abuse des descriptions de déjeuners et de contingences de déplacements - on ne sait parfois plus dans quel pays se trouve Mitch, mais on n'ignore rien des modalités de transport. Ce que l'intrigue perd en ressort judiciaire, elle le gagne en profondeur et en chair.

Quand il se dresse devant nous par écrans interposés, depuis le porche d'une maison victorienne de Floride où il s'accorde quelques jours de vacances avant de rejoindre la France pour Quais du polar - dont il est l'un des invités d'honneur -, on sent que se remémorer la période du premier Mitch le plonge dans la nostalgie. Petit avocat du Mississippi se rêvant écrivain, il vivait déjà avec Renee, sa compagne de toujours. Le succès immédiat de La Firme lui permit de quitter son travail. Celui qui est aujourd'hui l'un des plus gros vendeurs de livres aux États-Unis préfère le « on » au « je », car comme Columbo il associe souvent sa femme. Un Columbo version américano-proprette - chemise blanche et regard azur - qui répond avec humilité à nos questions.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Pourquoi avoir attendu trente ans avant de retrouver Mitch McDeere ?

JOHN GRISHAM - Mitch n'a jamais été bien loin, mais j'attendais la bonne histoire et une disponibilité d'esprit pour m'y consacrer. Après le succès de La Firme, j'ai écrit plus d'un nouveau roman par an, j'avais tellement d'histoires à raconter ! Tout s'est aligné quand un ami avocat m'a parlé d'un dossier qu'il avait traité entre la Libye et une entreprise de construction turque...

Le succès de La Firme tient beaucoup à celui du film avec Tom Cruise. Est-ce que l'adaptation cinématographique a changé votre regard sur votre propre livre ?

Pour moi, Mitch McDeere sera toujours Tom Cruise. Quand je pense au personnage, je n'arrive même plus à me souvenir de l'image que j'en avais quand je l'ai écrit. Dès qu'ils ont acquis les droits, les producteurs voulaient Tom Cruise. Et ils l'ont eu. C'était fou, car il était si populaire à l'époque. Il l'est encore. Et semble toujours avoir 30 ans ! Pour être franc, c'est un peu grâce lui que j'ai pensé à une suite. Un soir, dans la cuisine, je discutais avec ma femme, Maverick venait de sortir au cinéma et avait encore plus de succès que Top Gun. On s'est dit que s'il y avait une suite à La Firme, ça pourrait marcher.

Savez-vous si Tom Cruise a lu Le Réseau ?

On le lui a évidemment envoyé, un peu avant sa parution en octobre aux États-Unis. On a entendu qu'il le lisait. Et puis... plus rien. Tom Cruise et moi nous sommes croisés quelques fois. Il m'a toujours salué amicalement, mais nous n'avons pas gardé contact. La seule certitude, c'est que s'il a envie de reprendre le rôle de Mitch, le film existera.

Il paraît que vous ne relisez jamais vos romans après parution. Pour écrire une suite, trente ans plus tard, comment avez-vous fait ?

J'ai payé un stagiaire.

Êtes-vous sérieux ?

Oui ! Je ne relis jamais mes romans. J'abandonne au bout de quelques pages, quand je bute sur une formulation bancale. [Rires.] Et puis je m'ennuie vite. Je sais ce qui va se passer, ce qui gâche le plaisir de lecture d'un thriller ! Or, depuis l'écriture de La Firme, entamée en 1987, j'avais quelques trous de mémoire, surtout que j'ai écrit tellement d'autres livres depuis... J'ai donc pris un stagiaire qui a lu La Firme et Le Réseau pour traquer les incohérences.

"Pour moi, Mitch McDeere sera toujours Tom Cruise.

S'il a envie de reprendre le rôle...

En quinze ans, Abby a gagné en assurance, et Giovanna, l'otage, se révèle très solide. Est-ce à dire que, cette fois, vous misez sur des femmes fortes ?

À la parution de La Firme, ma femme m'avait reproché des personnages féminins trop faibles. Or j'écoute presque toujours ma femme. Dans mes deux romans suivants, L'Affaire Pélican et Le Client, j'ai dessiné des héroïnes fortes, magnifiées à l'écran par Julia Roberts et Susan Sarandon. Quand je me suis mis à l'écriture du Réseau, j'étais déterminé à ce qu'Abby ait un plus grand rôle dans l'histoire et une vraie carrière.

Vos personnages ont aussi développé un goût prononcé pour la bonne chère. Abby est éditrice culinaire. Et Mitch, malgré son rythme effréné, ne saute jamais un repas, détaillé par le menu. Pensez-vous comme le dit Alberto Manguel que « la nourriture humanise une histoire » ?

Je crois juste que j'adore manger et que ça transparaît dans presque tous mes livres. J'ai écrit deux romans [Le Clandestin et La Revanche] qui se passent en Italie. Ces textes sont jalonnés de bons repas, de recettes alléchantes... Quel que soit l'endroit où nous nous trouvons avec ma femme, nous explorons la gastronomie locale. Nous venons à Paris plusieurs fois par an et nous répertorions nos restaurants favoris, nous testons les petites tables du quartier et évitons les restaurants à la mode.

Dans ce roman, les méchants sont les terroristes, alors que dans La Firme c'était la mafia. Le Réseau est-il un roman de l'après-11-Septembre ?

C'est plus une règle de base de storytelling. Les méchants, dans un roman populaire à suspense, doivent être immédiatement réalistes. La mafia fait partie de l'imaginaire des lecteurs, tout comme les terroristes. Ça marche aussi avec les tueurs en série, les laboratoires pharmaceutiques ou les compagnies d'assurances.

Le réseau de John Grisham

Le Réseau est très documenté sur les prises d'otages, les négociations des États et les rançons... À quel moment ce que vous lisez dans la presse devient un début de roman ?

Je me jette sur les histoires de tribunaux. Instinctivement, je me demande comment prendre l'histoire, ajouter un rebondissement, un personnage pour qu'elle devienne une intrigue à suspense. La plupart des bonnes idées ne tiennent pas sur la durée. Passé l'excitation de la découverte, elles s'étiolent. Celles qui vous collent à la peau, ce sont celles qui deviennent un livre.

Vous avez donc une réserve de potentiels livres qui dorment dans votre ordinateur ?

J'en ai une douzaine. Par exemple, l'une des plus grosses affaires judiciaires de ces dernières années concerne les laboratoires qui fabriquent des antidouleur. Aux États-Unis, environ 150 personnes meurent chaque jour d'overdose d'analgésiques comme le fentanyl. Il y a de nombreuses actions en justice. J'ai mille notes, articles, documentations sur les opioïdes... II y a là matière à un bon polar judiciaire, mais je ne l'ai pas encore trouvé.

Et Donald Trump, votre ancien président au cœur de multiples procédures judiciaires, ne serait-il pas aussi matière à un thriller judiciaire ?

Je crois qu'aucun écrivain, même avec l'imagination la plus hypertrophiée, n'aurait pu créer un tel personnage. Qu'une personne aussi corrompue, narcissique, immorale se fraie un chemin jusqu'à la Maison-Blanche, ce n'est pas crédible. En réalité, je n'en peux plus de Trump. Il existe une « Trump fatigue » aux États-Unis. Ce type fait la une tous les jours. On veut juste qu'il perde en novembre, aille en prison, et qu'on n'en parle plus.

Vous n'avez jamais mâché vos mots concernant Trump. Vos livres prennent position contre la peine de mort et les injustices sociales. L'engagement est-il un de vos moteurs ?

Je m'implique pour de nombreuses causes, dans mes écrits et dans ma vie. Je suis au conseil d'administration d'Innocence Project, un groupe de juristes bénévoles qui défend des prisonniers que nous considérons comme condamnés à tort. Ma femme et moi militons aussi politiquement. Nous avons été de solides soutiens à la campagne de Hillary Clinton. Nous faisons de gros chèques à des candidats progressistes, pratiquement tous démocrates, ceux qu'on voudrait voir élus au Congrès.

Vous êtes l'un des invités d'honneur du 20 e festival Quais du polar à Lyon*. Vous qui connaissez bien la France, lisez-vous aussi ses écrivains ?

Un peu. J'apprécie les romans de Guillaume Musso. C'est un bon auteur, traduit ici. Et dernièrement je me suis fixé comme défi de lire toute La Comédie humaine. J'avance lentement, mais c'est fascinant.

La France pourrait-elle vous inspirer un roman ?

Bien sûr. Déjà dans Le Cas Fitzgerald, la scène finale se déroule dans une librairie d'occasion du 6ᵉ arrondissement. Quand vous allez dans un endroit, en tant qu'écrivain, vous vous demandez immédiatement comment le mettre dans un livre. Et je viens souvent en France : Paris, la Provence, les caves à Beaune ou Bordeaux... Il y a matière à un bon livre avec de belles scènes de repas !

* Du 5 au 7 avril à Lyon, l'incontournable Quais du polar fête ses 20 ans avec 130 des plus grands auteurs mondiaux du genre,

LE RÉSEAU, John Grisham, traduit de l'anglais (États-Unis) par Dominique Defert, Lattès, 496 pages, 22,90 euros (en librairies mercredi).

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