Livre : les dévoilements de Finkielkraut dans « Pêcheurs de perles »

S’appuyant sur ses citations fétiches, l’académicien se raconte.
Aurélie Marcireau
Alain Finkielkraut
Alain Finkielkraut (Crédits : © CÉDRIC PERRIN/BESTIMAGE)

C'est par l'amour, pas le tiède, mais l'éperdu, qu'Alain Finkielkraut commence ce livre un peu à part dans sa bibliographie : « Avant le grand saut dans l'éternel nulle part, j'ai ainsi dressé, sans chercher à être exhaustif ni à faire système, le bilan contrasté de mon séjour sur la Terre. »

Le bilan, donc, commence par sa vie amoureuse ; il relate comment il a reconquis celle qui allait devenir son épouse. Elle le quitte, il est désespéré : « Dans le métro, je croquai des cachets de Lexomil comme un lapin sa carotte. » Il prend conseil auprès des uns et des autres, mais finalement renonce aux stratégies et se met à nu : « J'avais tout fait à l'envers, j'avais joué cartes sur table. Entre l'amour et l'amour-propre, j'avais choisi l'amour et je ne m'en étais pas caché. » Au passage, l'académicien honni par les néo-féministes offre un très bel hommage à sa femme. Les confessions affectives ne sont pas exemptes de politique : « J'aime être aimé, comme tout le monde. Mais je ne suis pas prêt à tout pour y parvenir, et quand le découragement menace, je m'en remets, une fois encore, à Thomas Mann : "Servir son temps, me semble-t-il, ne comporte pas l'absolue nécessité d'emboîter servilement le pas et de hurler avec les loups." » Être aimé, mais pas à n'importe quel prix, pas au prix d'une soumission aux diktats de l'époque. Dans ce texte, Alain Finkielkraut se montre tel qu'en lui-même : parfois agaçant, sempiternellement accablé par le monde, incroyablement sensible. À la manière d'un pêcheur, il s'est mis en quête de ces citations, ces perles qui « désentravent [son] intelligence de la vie et du monde ». Pas des phrases pour faire joli, non, de celles qui enclenchent la réflexion ou l'émotion. Ce faisant, il se dévoile. On retrouve bien sûr Nietzsche, son cher Kundera, Hannah Arendt ou Paul Valéry. On aime quand il cite Soljenitsyne pour illustrer la complexité du monde : « La ligne de partage entre le bien et le mal passe par le cœur de chaque homme. » À Paul Ricœur, il emprunte cette prière : « Être vivant jusqu'à ma mort. » Est-ce pour s'y conformer que l'écrivain n'en finit pas de ferrailler contre le mauvais air du temps ? Quoi qu'il lui en coûte. Il ne s'épargne en effet aucun des thèmes qui fâchent : l'Europe et son identité, l'enseignement, le wokisme, le féminisme...

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L'exigence de sa mélancolie

S'il se reconnaît bien volontiers en « Grand-Papa Ronchon » critique de l'ère de « l'adolescent surmoïque », c'est pour mieux déplorer par exemple la progression du wokisme à l'université. Qu'il corrèle à un phénomène plus large : la mise à distance du passé. « Nous ne sommes plus ses héritiers, nous sommes son tribunal. Il ne nous éclaire plus, il ne nous instruit plus, il ne nous construit plus ; nous mettons toute notre science à le confirmer ou à le déconstruire. » Notre mécontemporain s'emporte contre la glorification du transsexuel, « figure emblématique du troisième millénaire », « notre avant-garde et même notre rédemption ».

À ces ulcérations, on préfère l'exigence de sa mélancolie. Et surtout les dernières pages où il dresse l'inventaire de tout ce que nous avons perdu. Entre autres choses : « Cours magistral, autrefois, c'était un pléonasme. Aujourd'hui, c'est un oxymore. La transmission y a-t-elle gagné ? » « Les rêveries des promeneurs solitaires, c'était mieux que la connexion permanente au lit, assis, debout, à pied, à vélo et en voiture. » « Être en deuil, c'était plus humain que faire son deuil. » « La nostalgie, c'était mieux avant sa criminalisation par tous ceux qui voient se profiler le museau de la Bête dans la moindre marque d'affection pour le monde antérieur à la diversité heureuse. » « Le Club des cinq, c'était mieux avec le passé simple. » « Ennuyeux, c'était moins pénible que chiant. » Jamais Finkielkraut n'en est autant éloigné que lorsqu'il est, comme ici, désordonné et sentimental.

Aurélie Marcireau

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