« Ma mission, c’était que Johnny s’en sorte » (Laeticia Hallyday)

ENTRETIEN - Leur compagnonnage se poursuit au-delà de la mort. Alors qu’une grande exposition consacrée à Johnny Hallyday vient de démarrer porte de Versailles à Paris, Laeticia, son épouse, raconte l’idole et ses démons.
Pauline Delassus
Laeticia Hallyday à Paris, le 23 novembre.
Laeticia Hallyday à Paris, le 23 novembre. (Crédits : © CHRISTOPHE MEIREIS POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Profession ? Veuve de star. Laeticia Hallyday ne badine pas avec la mort, surtout celle de son mari, elle en a même fait un métier. Gardienne de la mémoire de « Mamour », vestale du feu sacré hallydes-que, elle raconte la légende avec talent, soucieuse de continuer à donner aux fans ce qu'ils veulent : c'est-à-dire tout. L'intime n'a jamais été que public chez l'idole, sa carrière a évolué au fil d'un storytelling minutieusement construit où (presque) rien ne fut caché. Sa femme, mère des deux seuls enfants dont le rocker sut s'occuper - Jade, 19 ans, et Joy, 15 ans -, est en conflit avec les aînés, David Hallyday et Laura Smet. Si les désaccords autour de la succession ont été résolus, l'inimitié demeure au sein de la famille la plus célèbre du showbiz français. Dépit, ressentiment... les héritiers se disputent le souvenir du patriarche disparu, à coups de déclarations publiques et d'ouvrages autobiographiques. Nous rencontrons Laeticia en novembre à Paris, svelte et souriante. En habituée, elle répond à toutes les questions, bavarde mais attentive à chacun des mots qu'elle prononce. À la fin de l'entretien, elle confie son inquiétude de ne pas réussir à vendre leur demeure de Marnes-la-Coquette. Les importantes dettes fiscales laissées par son époux pèsent désormais sur ses épaules, et pour les rembourser Laeticia doit aussi devenir femme d'affaires. Elle s'est occupée de la direction artistique de l'exposition « Johnny Hallyday » présentée jusqu'en juin et a en tête d'autres projets pour rendre hommage au chanteur tant aimé des Français. Une vie avec Johnny, quelle histoire !

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Aviez-vous évoqué cette exposition avec Johnny lui-même ?

LAETICIA HALLYDAY - Une seule fois, quand nous sommes allés voir celle consacrée à David Bowie, en 2015. Pour ce projet, commencé il y a trois ans, il me fallait une équipe à la hauteur de ce qu'il aurait voulu. J'en ai parlé autour de moi et on m'a conseillé de me mettre en relation avec Tempora. C'est une société belge ! J'ai pris ça comme un signe et les ai engagés. Johnny était fier de ses racines, même si le fait que son père l'ait abandonné a été un traumatisme. Il a toujours aimé le public belge comme sa propre famille, peut-être pour rattraper un manque et se raccrocher à une histoire qu'on ne lui avait pas transmise.

En quoi consiste l'exposition ?

L'idée est de raconter comment il est devenu Johnny Hallyday, avec ses joies et ses faiblesses. C'est un parcours immersif, un voyage dans le temps, guidé par la voix de Jean Reno et celle de Johnny. Je me suis occupée de la direction artistique et je me suis plongée dans les archives, j'ai même appris des choses sur lui. On a reconstitué sa chambre d'adolescent grâce aux photos de Paris Match et le studio de Salut les copains. On montre aussi sa passion pour les collections de motos, de voitures, de bijoux et de couteaux. La pièce la plus impressionnante, c'est le bureau, reconstitué à l'identique avec les vrais meubles. Il s'y est passé tant de choses en vingt ans, des réunions de famille, des créations d'album, et c'est là qu'il a quitté ce monde, son lit y était installé. À la fin, on y dormait avec nos filles.

Charlotte Gainsbourg a mené un projet similaire en ouvrant au public la maison de son père. L'avez-vous visitée ?

J'ai eu la chance de pouvoir y aller avant l'ouverture. Je n'ai jamais rencontré Gainsbourg mais Johnny l'a bien connu, il était allé chez lui. Il m'avait dit que la maison était toute petite. Et en effet, c'est bas de plafond. Les odeurs m'ont émue. Dans la chambre, j'ai fondu en larmes. La voix de Charlotte raconte sans filtre ce que vivent toutes les familles qui perdent un être aimé. C'est bouleversant.

Vous parlez des faiblesses de Johnny. Quelles étaient-elles ?

Quand je l'ai rencontré, en 1995, c'était une âme cabossée. Il était torturé, fragile, dépressif, il avait beaucoup d'addictions. Il se faisait du mal et en faisait aux autres. Il fallait beaucoup de résilience et de force pour ne pas sombrer avec lui. Ce n'est pas facile d'être Johnny Hallyday au quotidien, d'avoir ce destin pas ordinaire, de traverser les époques, de toucher tant de gens différents et d'être à la hauteur de leurs attentes. Il a su avoir de l'audace et se réinventer en travaillant avec des plus jeunes, Pascal Obispo, Matthieu Chedid, Calogero ou Yodelice, mais il angoissait toujours de revenir en France et de remonter sur scène. C'est à Paris souvent que ses démons surgissaient.

Quels démons ?

Les drogues et l'alcool. Je l'ai aidé à les combattre. Il a arrêté de se droguer, mais pour l'alcool ça a été plus compliqué, il replongeait à chaque tournée. J'avais compris que je ne pouvais pas lui dicter ce qu'il devait faire, il fallait que ça vienne de lui. Très jeune, j'avais soutenu mon père, qui a été suicidaire. Ce vécu, qui a tout de même brisé mon adolescence, m'a aidée à rester auprès de Johnny. Cette résilience, c'est aussi une éducation. J'ai été élevée par une arrière-grand-mère qui était dans le don de soi, l'écoute, l'abnégation. Ça m'a permis d'être résistante dans cette vie avec mon mari. À la fin, il allait moralement beaucoup mieux. L'adoption de nos filles a réparé son propre abandon. Il a pu pardonner à ses parents. Ce n'était pas le genre à aller voir un psy, mais il en parlait beaucoup. J'ai eu la chance d'être sa confidente.

Comment expliquez-vous qu'il ait su se confier à vous ainsi ?

On se ressemblait. Il m'a parlé de ses parents dès que l'on s'est rencontrés, à Miami, où je vivais avec mon père. J'avais 20 ans et je voulais mourir, je me faisais du mal, je souffrais d'anorexie, je faisais des allers-retours à l'hôpital. Johnny était aussi torturé que moi, mais on n'avait pas le même âge. Le premier soir, on a dîné tôt, puis on est allés dans la boîte de nuit que mon père possédait. On s'est raconté nos vies, il avait les larmes aux yeux. On s'est quittés à 6 heures du matin en s'embrassant sur le capot d'une deux-chevaux. On a su se reconnaître et se réparer. Je n'avais pas d'amis à l'époque, j'étais en conflit avec mon père qui ne comprenait pas l'anorexie et m'accablait. À Johnny, je ne disais pas que je m'affamais ou que je me faisais vomir. Il voyait que je ne mangeais pas, je trouvais toujours des excuses, je mentais. Dans une anorexie, on manipule les gens qu'on aime.

Son départ m'a donné de grandes leçons sur la médiocrité de la nature humaine

Ses souffrances étaient liées à son enfance ?

Oui, bien sûr. Tout est lié à l'abandon de ses parents. Il a cherché l'amour, inconsciemment, partout. Et il le brisait dès qu'il le trouvait. Moi, j'ai encaissé. Ma mission, c'était qu'il s'en sorte. Dans son entourage, il y avait de mauvaises influences. Il fallait qu'il comprenne qu'il y avait des gens toxiques, là pour de mauvaises raisons. Il a fini par avoir plus d'instinct que moi, il me disait quand j'allais me faire avoir. Et il visait juste. Je m'en suis rendu compte après sa disparition. Son départ m'a donné de grandes leçons sur la médiocrité de la nature humaine.

Comment avez-vous géré le phénomène de cour qui s'organise autour d'une star de son ampleur ?

Je n'en avais pas conscience au début. Lui, quand il était déçu de quelqu'un, il tournait la page, sans donner d'explication. Après sa mort, ceux qu'il avait exclus m'ont demandé des comptes, d'ailleurs. À l'arrivée de Jade en 2004, il a commencé à faire du ménage. Nos priorités ont changé. Il avait beaucoup de culpabilité envers ses deux premiers enfants [qu'il a eus avec Sylvie Vartan et Nathalie Baye], pour qui il n'a pas été à la hauteur. Il était très jeune quand David est né, il n'a pas su gérer cet événement. Il a été dans la fuite et a manqué de courage. Il s'est séparé de la mère de Laura six mois après la naissance. Et quand il gardait sa fille, il y avait toujours une gouvernante, il ne s'en occupait pas vraiment. Il a été un père différent avec Jade et Joy, ça a causé des jalousies et des rancœurs.

Avez-vous revu David et Laura depuis la mort de Johnny ?

Non, mais ce n'est pas de mon fait. Nous n'avons eu des nouvelles que par leurs avocats. Pour mes filles, c'est difficile. Ils leur ont fait des promesses lors de l'enterrement, à Saint-Barth. Ils ont promis qu'ils seraient là pour Jade et Joy, qui n'avaient alors que 13 et 9 ans. Deux mois après, ils les assignaient en justice. Ça m'attriste car ces histoires de famille auraient pu se régler en discutant ensemble autour d'une table.

Johnny a-t-il été lâche dans sa façon de gérer sa succession ?

Peut-être qu'il a effectivement manqué d'un peu de courage sur ce sujet.

D'anciens amis de Johnny vous ont reproché d'avoir fait le vide autour de lui. Que leur répondez-vous ?

Ça me fait de la peine. Ce n'est pas comme ça que je l'ai vécu, j'avais un rapport familial avec tous ceux qui composaient sa vie. Quand Johnny est parti, notre histoire a été réécrite. Il n'était plus là pour remettre l'église au milieu du village. C'est facile de raconter des mensonges. Ma mémoire est là pour attester de tous les échanges que j'ai eus avec les membres de cette grande famille. Heureusement, les plus fidèles sont toujours proches de nous, Jean Reno notamment.

Vous racontez que vous n'appeliez jamais votre mari « Johnny ». Pourquoi ?

Je l'appelais Mamour. Ou « mon homme ». Il adorait. Il était extrêmement jaloux et possessif. Il avait beaucoup d'emprise sur moi. Ça m'allait très bien, mais j'essaie d'expliquer à mes enfants de ne pas nourrir ce sentiment-là.

En 2003, Johnny est accusé de viol par une hôtesse d'accueil sur un bateau : comment avez-vous surmonté cette épreuve ?

C'est une époque que j'essaie d'oublier. Ça a été extrêmement violent. La plaignante racontait des choses terribles, elle disait que j'étais une femme battue par mon mari. J'ai été confrontée à elle dans un tribunal. Je savais que ce qu'elle racontait était physiquement impossible et puis j'avais confiance en mon mari. Il n'a jamais été violent. Ce complot avait été monté pour de l'argent. Ça a été prouvé et il y a eu un non-lieu, comme après les accusations de viol de son ex-femme Adeline Blondieau.

Je porte toujours mon alliance, j'appelle Johnny « mon mari ». C'est dur pour les hommes que je rencontre

Ces affaires vous ont-elles rendue prudente face à la libération de la parole des femmes et au mouvement MeToo ?

L'affaire Weinstein m'a beaucoup marquée. Ce qui a suivi est très important et nécessaire. Je comprends la méfiance qui peut gagner certaines femmes. Mais on vit dans une époque où on a peur de se draguer. C'est dommage.

Vous avez peur de draguer ?

Je ne sais pas draguer. Il faudrait que j'apprenne. [Rires.] Je porte toujours mon alliance, j'appelle Johnny « mon mari ». C'est dur pour les hommes que je rencontre. Je n'arrive pas à me projeter. Quand il est parti, il ne m'a pas donné sa bénédiction pour être heureuse avec un autre. Résultat, je culpabilise. C'est pour ça que je foire toutes mes histoires d'amour !

Vous n'avez rencontré personne depuis votre relation avec l'acteur et réalisateur Jalil Lespert ?

Non. Mais je vais très bien ainsi. Je travaille sur moi. Il faut que j'arrive à accepter de refaire ma vie.

Vos filles vous encouragent ?

Oui, tous les jours. Elles me disent que j'ai le droit d'être heureuse. Il faut que Johnny ne soit plus qu'une source d'inspiration et non un refuge où je m'enterre avec lui.

Vivre en Californie, cela vous aide ?

Beaucoup. On ne va pas revenir en France pour l'instant. Ça fait partie des promesses que j'ai faites à Johnny, élever nos filles aux États-Unis. Nous avons la double nationalité. Il le voulait parce qu'elles y sont protégées. Personne ne sait qui on est. C'est un cadeau de vivre ainsi dans le monde actuel.

Comment vont vos filles ?

Joy prend des cours de guitare et joue dans une troupe de théâtre. Elle rêve d'être actrice ou danseuse pour Beyoncé. Jade préfère la mode, elle dessine des vêtements et étudie à l'université de fashion design.

Connaissent-elles les parts d'ombre de leur père ?

Oui. Il n'y a jamais eu de faux-semblants.

Vous préparez un livre sur votre vie, avec Simon Liberati aux éditions Stock. Où en êtes-vous ?

Ça avance. C'est comme une thérapie, ça me fait beaucoup de bien. Il devrait sortir dans un an et demi. J'ai d'autres projets : ouvrir une école de musique et créer une comédie musicale sur Johnny pour les dix ans de sa mort.

« Johnny Hallyday - L'Exposition », à Paris Expo - Porte de Versailles, jusqu'en juin, de 10 heures à 19 heures. Entrée de 16,50 € à 24,50 €. (johnnyhallydaylexposition.com)

Le couple Hallyday en quelques dates

1943 Naissance de Jean-Philippe Smet à Paris

1961 Premier album 33 tours, sous le nom de Johnny Hallyday

1975 Naissance de Laeticia Boudou à Béziers (Hérault)

1996 Mariage à Neuilly-sur-Seine

2004 et 2008 Adoptions de leurs filles Jade et Joy au Vietnam

2017 Mort de Johnny à Marnes-la-Coquette le 5 décembre

Pauline Delassus

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Commentaires 3
à écrit le 25/12/2023 à 19:45
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Johnny....! Il a bouffé à tous les râteliers, traversé toutes les modes en rocker d'opérette et une partie de son "cercle"tente de faire perdurer l'imposture . Perdu.!

à écrit le 25/12/2023 à 11:03
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Ha le business de Johnny au moment des fêtes...l argent n'a pas d'honneur...

à écrit le 24/12/2023 à 9:20
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Mission ratée donc.

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