« J’ai toujours fait confiance aux inconnus » (Fanny Ardant)

ENTRETIEN - Dans « Ma France à moi », l’actrice incarne avec une émotion déroutante une femme souffrant de solitude qui décide d’accueillir un réfugié afghan. Un film tiré d’une histoire vraie.
Fanny Ardant
Fanny Ardant (Crédits : © CAROLE BELAICHE/H&K)

Un mardi soir, 17h30, c'est comme un doux rêve qui nous attend dans le salon feutré de l'Hôtel de l'Abbaye à Saint-Germain-des-Prés. Un rendez-vous avec Fanny Ardant, ça ne se raconte pas, ça se vit passionnément. Passionnément comme elle a choisi de mener sa vie, loin des conventions et de la bien-pensance. Avec un penchant pour l'art de la contradiction et la liberté sans condition. Elle fait partie d'une poignée d'artistes à avoir défendu Gérard Depardieu, mais elle ne souhaite pas être interrogée sur le sujet pendant ce tête-à-tête. Si Fanny Ardant est « venue au monde avec un fond sombre », son sourire solaire et son discours anticonformiste apportent un peu d'aspérités dans ce monde où la pensée unique est délétère. Sa poignée de main est si chaleureuse qu'elle nous enivre d'un parfum apaisant, voire rassurant. Elle commande « de l'eau chaude » pour réparer ses « excès de la veille », souriante et lumineuse dans sa jupe crayon noire en cuir, avec ses dix bagues aux dix doigts et son brushing impeccable. Je n'ose pas lui dire que son trait de khôl noir a légèrement coulé sous son œil droit. Ça ajoute encore plus de charme à cette Fanny ardente.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous n'avez jamais voulu rentrer dans le rang. Pourquoi une telle révolte en vous ?

FANNY ARDANT - Je me le demande encore aujourd'hui. À cause de mon mauvais caractère, peut-être ! Je n'aimais pas l'école. Une fois arrivée à l'université, j'ai tout aimé : les discussions, les antagonismes, la diversité des opinions, la fureur des prises de position. Je comprenais qu'il fallait structurer son envie de convaincre en écoutant les arguments de l'autre. Mais déjà je me méfiais de la société, des partis politiques.

Ce n'est pas fatigant d'être dans votre tête ?

[Rire.] Souvent je me fatigue moi-même. Je crois que chacun est pris dans le chaos et le désordre de sa propre vie. J'ai vécu ce que je croyais, ce que j'aimais dans un désordre inimaginable. J'ai toujours aimé cette phrase de Victor Hugo : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. »

C'est vraiment comme ça que vous voyez votre vie ?

C'est comme un drap. Il se déchire, vous le recousez, puis ça se déchire ailleurs. J'aurais dû pratiquer le yoga ! Peut-être qu'au fond je n'ai jamais cherché à aller mieux.

Il vous arrive d'arrêter de penser ?

Tout est spectacle comme un miroir où tout rebondit et provoque la pensée. J'ai toujours aimé lire pour ça. Les grands auteurs vous disent ce qu'on n'entend jamais dans les conversations. J'ai souvent dit que je lisais comme on se drogue. J'ai une vision de la vie mélancolique. J'aime surtout les musiques et les chansons qui vont me faire mal au ventre. Comme s'il y avait une joie sombre de vivre. J'aime les chants tsiganes pour ça : pour danser et chanter malgré tout. C'est cette musique que j'aimerais à mon enterrement.

Aujourd'hui, vous savez exactement qui vous êtes ?

Je sais juste ce que je ne veux pas. Je ne veux pas que l'on m'achète, que l'on me fasse peur, que l'on me force à rentrer dans le rang. Et peu importe si ma détermination m'entraîne jusqu'à ma destruction.

Pourquoi la destruction ?

Peut-être que dans la destruction il y a un rêve de renouveau, la possibilité d'un ailleurs, une envie de ne pas accepter les compromis, les arrangements. Mais je ne fais jamais de prosélytisme. C'est ma vision, et je ne l'impose à personne. J'ai toujours défendu l'idée qu'il y avait de la place pour tout le monde.

Vous vous considérez comme asociale et en même temps vous aimez les gens. En voilà une contradiction !

Absolument ! [Rire.] Peut-être que j'aime les gens un par un, les individus en tête à tête, l'Autre. C'est vrai que j'ai en moi une sorte de violence et en même temps j'aime la main tendue, la dialectique. J'aimais Danton et je détestais Robespierre. J'ai toujours cru que la vérité et la richesse de l'être humain c'était sa contradiction.

Quelle sorte de violence évoquez-vous ?

La vie, c'est comme une rue que vous descendez avec des envies de destruction. Et puis, en remontant cette rue, vous voyez les choses différemment, quelque chose a changé. Je respecte la dualité, l'ombre et la lumière. Je ne peux pas entrer dans des groupes ou des partis à cause des mots d'ordre ou des lignes de conduite.

Deux personnes qui s'aiment, c'est de la dynamite, rien ne peut les atteindre

Vous n'auriez pas pu avoir une vie normale...

Donnez-moi une définition de la vie normale.

Vous avez l'impression d'avoir une vie romanesque ?

On a toujours pensé que je vivais sur une autre planète parce que je crois en l'amour fou, celui qui dure toute la vie. L'amour, c'est la grande aventure de la vie.

La fidélité n'est pas si évidente ?

Vous me posez la question ? Ce n'est pas essentiel. Deux personnes qui s'aiment, c'est de la dynamite, rien ne peut les atteindre. La tromperie n'est pas une raison pour se séparer. Ça arrive comme la fièvre. Mais ça va s'en aller. J'ai toujours en tête cette phrase de Marguerite Duras : « Aucune histoire d'amour ne résiste à un inconnu qui entre dans un bar. »

Même dans l'amitié ?

J'ai très peu d'amis et je ne raconte jamais ma vie privée. J'ai toujours fait confiance aux inconnus. Je me rappelle m'être confiée très jeune à un inconnu dans un bar à Londres. C'est comme s'il avait fait une radiographie de moi. Comme s'il avait déchiré le rideau rouge qui m'empêchait de vivre. J'ai écouté ce qu'il m'a dit et j'ai changé.

Que voulez-vous que l'on retienne de vous ?

Rien. Je sais que tout est éphémère et que tout va disparaître. Ça m'est égal. Très jeune, j'ai été frappée par le nevermore. Ce moment que vous êtes en train de vivre et qui ne reviendra plus jamais.

Êtes-vous consciente de l'image de la femme que vous véhiculez ?

Quand quelqu'un me dit « vous me faites peur », je n'ai déjà plus envie de parler. Pourquoi avoir peur de moi ? Que je donne une claque ?

Vous étiez très timide avec les hommes, jusqu'à faire tapisserie dans les boums...

Je préférais ne pas danser plutôt que de tout faire pour être acceptée.

J'ai lu que vous aviez souvent tendance à vous ennuyer dans les conversations. C'est le cas à présent ?

Pas du tout. Finalement, on ne me pose jamais ce genre de questions.

C'est comment, le dimanche de Fanny Ardant ?

C'est une promesse de bonheur. Et puis souvent, on la gâche. Je me rappelle que, quand j'étais une jeune fille, je restais allongée sur mon lit et je lisais en mangeant du chocolat. Je connais beaucoup de personnes qui disent : « J'ai peur de mourir un dimanche. » Vous ne trouvez pas ça étrange ? Pourtant, il y a moins de bruit le dimanche...

SES COUPS DE CŒUR

Fanny a un côté obsessionnel. Elle peut savourer des spaghettis tous les jours et écouter en boucle Il mio rifugio, de Richard Cocciante, tout le répertoire de Leonard Cohen, Wagner, Barbara ou le fado. Sa radio est branchée sur France Musique et l'actrice n'est pas au fait des musiques actuelles. « J'aime les chansons qui soit vont me plomber la journée, soit me donneront envie de vivre. »

Ma France à moi, de Benoit Cohen, sortie le 20 décembre.

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Commentaire 1
à écrit le 17/12/2023 à 9:31
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Il faut le dire aussi, un physique agréable permet de largement faciliter le contact social, les apparences c'est 50% de notre cerveau parce qu'à une époque il était vital de ne pas s'assoir sur un tigre à dents de sabres. Les gens "beaux" ont une re...

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