Il est 16 h 30, la cloche retentit. Les élèves affluent dans la cour de l'école primaire et maternelle Frida-Kahlo en ce jeudi de novembre à Bruges, en banlieue de Bordeaux. Alors que certains s'attardent dans la cour à jouer avec des Kapla de bois géants ou à se poursuivre autour des îlots en copeaux, d'autres filent déjà vers la sortie. Tandis qu'une petite fille raconte à sa mère l'atelier potager du jour, plus loin, un garçonnet se lamente de n'avoir pas pu emprunter le toboggan pour descendre dans la cour de récréation, en raison du mauvais temps. C'est qu'à Frida-Kahlo, l'école ne se vit pas tout à fait de la même façon qu'ailleurs. Ici, point de marelle, de terrain de foot ou de bâtiments tristounes à la peinture écaillée mais des jeux encerclés de grandes maisons de bois dont les formes évoquent des cabanes d'enfants grandeur nature. Si aujourd'hui le projet est porté aux nues par de nombreuses communes de France et que l'agence qui l'a conçu fait partie des lauréats du prestigieux prix d'architectures 10+1, il y a quelques années, l'emplacement n'était encore qu'un vaste terrain maraîcher.

C'est en 2018 que tout commence, quand la maire de la ville, Brigitte Terraza, décide de construire un groupe scolaire ambitieux tant sur le plan environnemental que d'un point de vue pédagogique. « Avec l'augmentation de la population, il fallait un nouvel établissement pour accueillir les élèves, explique-t-elle. Et en tant que collectivité territoriale, nous voulions montrer l'exemple. Les ingénieurs de la métropole de Bordeaux m'ont parlé du label E4C2, le plus exigeant sur le plan écologique en ce qui concerne les bâtiments. Nous nous sommes donc donné pour objectif de tendre vers cela. » Après neuf mois de dialogue compétitif, l'agence Compagnie architecture, familière des constructions vertueuses, remporte le projet. « Nous nous sommes beaucoup inspirés du mouvement des écoles en plein air du XX e siècle, retrace Chloé Bodart, cofondatrice de l'agence. Nous voulions mettre en avant un autre rapport à l'apprentissage, connecter l'enfant avec le vivant pour le sensibiliser au monde de demain. » Résultat ? Cinq grandes maisons de bois reliées entre elles par des passerelles et des coursives, des classes ouvertes sur l'extérieur, des sanitaires mixtes pour éduquer les élèves au respect de l'autre, une serre, des mini-potagers et des espaces d'ateliers partagés au sein de chaque maison.

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Sensibiliser les élèves au développement durable

Retour dans la cour de récréation. Alors que l'école se vide d'une partie de ses élèves, la directrice de la maison des jeunes et de la culture de Bruges s'engouffre dans l'un des bâtiments. « Deux fois par semaine, la MJC organise de l'aide aux devoirs pour tous les enfants de la commune, explique Léa Jouet, directrice de l'accueil de loisirs périscolaire. Le but est vraiment que les espaces soient mutualisés, afin qu'ils puissent aussi être utilisés en dehors des temps scolaires. » Le soir, les salles d'ateliers se transforment donc en salles de yoga, ou d'activités pour diverses associations locales. Pendant la journée, les enseignants les utilisent pour rassembler les élèves de différentes classes autour d'activités communes, comme des ateliers d'écriture de contes, de couture ou d'arts plastiques : « Ces espaces permettent aux enseignants de travailler sur des projets transverses et favorisent le mélange maternelle-élémentaire, constate la directrice du groupe scolaire, Karine Junca-Perruchot. Il y a beaucoup d'entraide, les grands aident les plus petits à s'habiller... Cela développe les compétences sociales et émotionnelles. »

Mélanger les âges au sein des mêmes espaces, faire cours à l'extérieur, miser sur des jeux et des sanitaires mixtes était un pari osé. « Au début, on ne pensait pas que cela se passerait aussi bien, reconnaît Maxime Fiabane, président de l'association de représentants des parents d'élèves. Ma fille trouvait qu'il n'y avait pas assez de jeux dans la cour par exemple, il manquait un peu de matériel... Et finalement, les enfants apprennent à jouer différemment, ils sont plus en lien avec le vivant. » Pour mieux sensibiliser les élèves au développement durable, Chloé Bodart et son associé Jules Eymard ont tenu à rendre visible les structures de l'école : « Le fait d'avoir une charpente en bois apparente, des puits canadiens visibles, ou des zones plantées était crucial pour montrer aux enfants comment fonctionne leur école. »

De sept classes à la première rentrée en 2022, l'école Frida-Kahlo est passée à neuf cette année et prévoit d'en accueillir jusqu'à seize. « Nous recevons de plus en plus de demandes de dérogation, mais nous essayons de ne pas trop en accorder, et de respecter la carte scolaire », souligne Brigitte Terraza. Car c'est l'autre point notable de cette école novatrice : elle est publique, et son seul critère d'intégration est le secteur d'habitation. En attendant que l'école affiche complet, Compagnie architecture a déjà prévu la suite : les terrasses sont toutes conçues pour supporter la construction de nouvelles classes et, en cas de vieillissement de la population, les cabanes pourront être converties en résidences individuelles, voire en Ehpad. À Bruges, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.