Nos critiques cinéma de la semaine

« May December » de Todd Haynes, « Captives » d'Arnaud des Pallières, « Le Dernier des Juifs » de Noé Debré, « L'Homme d'argile » d'Anaïs Tellenne... découvrez nos critiques des sorties cinéma de la semaine.
Mélanie Thierry dans « Captives ».
Mélanie Thierry dans « Captives ». (Crédits : © Cécile Burban/Prélude/Wild Bunch)

Jeux de miroir

Note : 3/4

Elizabeth, actrice star à première vue bienveillante, vient passer quelque temps chez Gracie et Joe, un couple qui a fait la une de la rubrique faits divers en Amérique : une enseignante de 36 ans incarcérée en 1992 pour avoir eu une relation sexuelle avec un élève de 13 ans. En prison, elle accouche de leur premier enfant ; deux autres suivront à sa sortie, lorsqu'ils s'installent ensemble dans une grande maison bourgeoise à Savannah. Gracie fait et vend ses gâteaux, Joe est infirmier, leurs enfants passent leur diplôme de fin d'études... Mais quelque chose ne tourne pas rond au pays du barbecue de Joe et des sucreries de Gracie. Elizabeth, se muant en enquêtrice de plus en plus intrusive et ambivalente, tente de pénétrer leur secret. Todd Haynes, explorateur de l'identité féminine et spécialiste de l'ironie, se lance dans un portrait à deux têtes avec son actrice fétiche Julianne Moore et Natalie Portman, toutes deux aussi manipulatrices que perdues, se débattant entre une vie réelle aux apparences idéales et le déni de réalité dans lequel elles évoluent. Un formidable jeu de miroirs féminin, parfois un peu trop souligné par l'entêtante musique du film Le Messager, qui participe néanmoins à créer une ambiance de plus en plus empoisonnée dans le beau royaume de l'Amérique aisée. (Charlotte Langrand)

May December, de Todd Haynes, avec Julianne Moore, Natalie Portman, Charles Melton. 1 h 57. Sortie mercredi.

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Les aliénées oubliées

Note : 3/4

Paris, fin du XIXe siècle. Fanni se laisse enfermer au pavillon des aliénées, à la Salpêtrière, dans l'espoir d'y retrouver sa mère disparue. Dans un climat tendu, la belle infiltrée apprend à côtoyer des femmes oubliées, abîmées, plus ou moins folles, parfois ravagées, souvent maltraitées. Car dans cette cour des miracles, les plus terrifiantes sont celles qui tiennent à l'œil les internées, Bobotte et La Douane, jouées par Josiane Balasko et Marina Foïs. Au point que l'on ne sait plus très bien, dans cet enfer sur terre, lesquelles sont les plus folles...

Au fil du voyage, sombre bien que pétri de lumières vives et d'instants d'humanité dépeignant avec tact ce qu'il reste de sororité dans un tel endroit, le cinéaste Arnaud des Pallières suit un fil historique quasi documentaire mais joue aussi, librement, la carte romanesque de son héroïne en mal de mère.

Deux axes que son film combine élégamment, préférant l'émotion et la narration à une leçon trop didactique. Ici, chacune a ses raisons que l'on ignore mais que l'on ressent intensément au fil des apparitions saisissantes d'Agnès Berthon, Dominique Frot, Yolande Moreau, Elina Löwensohn, etc. À part, Carole Bouquet joue la pianiste Hersilie Rouy, teigneuse mais pas si tarée, et historiquement reconnue pour avoir témoigné de son internement abusif dans ses Mémoires. Au-devant de ces captives bouleversantes, la plus fictive d'entre elles, incarnée avec fougue par Mélanie Thierry, pleure, frémit, surprend et émeut quand soudain elle chante... Broyée à son tour, elle prend toute sa dimension allégorique sur la fin du récit. Captives, oui, de tout un système, pervers et patriarcal à sa base. (AL.C)

Captives, d'Arnaud des Pallières, avec Mélanie Thierry, Josiane Balasko, Marina Foïs, Carole Bouquet, Yolande Moreau. 1 h 50. Sortie mercredi.

Des juifs dans la cité

Note : 3/4

Le sujet était délicat et inflammable : conter le quotidien de Bellisha, sorte de version moderne du « Juif errant », remplissant son cabas de courses chaque jour pour sa mère, Giselle, souffrante, qui ne sort guère de chez eux et commente les changements du quartier du haut de son balcon. C'est un duo attachant, mi-insouciant, mi-inquiet, que forment les deux derniers habitants juifs de la cité, où la vie foisonne de petites solidarités de voisinage, d'amours interdites, d'énormes clichés communautaires, de cambriolages ouvertement racistes... Giselle rêve d'un éden et ne cesse d'évoquer leur « départ » du quartier vers des contrées prétendument plus calmes : en l'occurrence une alya vers... Saint-Mandé ! Il fallait l'humour et la finesse d'écriture du réalisateur Noé Debré, coscénariste expérimenté (il a travaillé aux côtés d'Audiard et de Bidegain, entre autres), pour réussir à jouer avec les clichés racistes sans tomber dedans. Il fallait aussi la singularité de ses deux personnages, ni angéliques ni démons, qui permettent de prendre le sujet avec recul : Bellisha, ce jeune homme lunaire, fantasque et désarmant (premier rôle de Michael Zindel, déconnecté à souhait) qui rassure Giselle, une Agnès Jaoui sensible en mère à la fois inquiète et délicieusement irrévérencieuse. Un premier film comme un fragment d'intelligence et de réconciliation, dans un contexte géopolitique dominé par la violence aveugle. (Charlotte Langrand)

Le Dernier des Juifs, de Noé Debré. Avec Agnès Jaoui, Michael Zindel, Solal Bouloudnine. 1 h 30. Sortie mercredi.

La belle et le beau

Note : 3/4

Il existe des premiers films qui portent en eux de vraies promesses et plus encore. Celui de la réalisatrice Anaïs Tellenne en fait assurément partie. Elle nous raconte pourtant une improbable rencontre qui pourrait tourner à la farce ou à la caricature, celle d'une artiste plasticienne et d'un modèle amateur. La première s'apparente à Sophie Calle avec ses installations impudiques et provocantes. Le second pourrait jouer Quasimodo ou Shrek. Or, ces deux-là vont créer ensemble une œuvre unique, peut-être éphémère, peut-être intemporelle, en tout cas exceptionnelle de beauté et d'intensité. Elle, c'est Garance, une Emmanuelle Devos impeccable en sculptrice égocentrique bien décidée à faire naître de l'argile une créature à la mesure des sentiments qui s'en dégagent. Lui est incarné par Raphaël Thiéry, acteur confirmé au physique incroyable et dont Rodin aurait été fou pour faire son Balzac ou son Penseur. Coup d'essai, coup de maître : cet Homme d'argile bouleverse autant qu'il impressionne. (Aurélien Cabrol)

L'Homme d'argile, d'Anaïs Tellenne, Avec Emmanuelle Devos et Raphaël Thierry. 1 h 34. Sortie mercredi.

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