Nos critiques cinéma de la semaine

« Pas de vagues », de Teddy Lussi-Modeste, « La Promesse verte », d’Édouard Bergeon, « Los delincuentes », de Rodrigo Moreno : découvrez nos critiques des sorties cinéma de la semaine.
François Civil dans « Pas de vagues », de Teddy Lussi-Modeste.
François Civil dans « Pas de vagues », de Teddy Lussi-Modeste. (Crédits : © LTD / Kazak Productions/Frakas Productions/France 3 Cinema)

Un prof dans la tourmente (3⭐/4)

Vouloir trop bien faire peut se retourner contre vous. C'est ce que Julien comprend trop tard, quand ce jeune professeur motivé et (trop ?) volontaire se retrouve accusé de harcèlement par la fragile Leslie, l'une de ses élèves. La proximité qu'il a voulu établir avec un groupe d'élèves, pour les stimuler à étudier, est mal vécue par les autres camarades, qui accusent en retour leur prof de mauvaises intentions... La rumeur se répand dans le collège et prend de telles proportions que Julien voit l'engrenage se refermer sur lui petit à petit. Collègues, parents d'élèves et conjoints s'en mêlent, mais le mot d'ordre du proviseur est implacable : l'important, c'est de ne « pas faire de vagues », que l'affaire ne s'ébruite pas au-delà de l'enceinte du collège, aux dépens de la réputation et de la santé mentale de l'enseignant.

Lire aussiNos critiques cinéma de la semaine

L'histoire de Julien, c'est (presque) celle de Teddy Lussi-Modeste, le réalisateur de ce
film tendu et édifiant qui fait office pour lui de catharsis. Accusé par une élève de 13 ans
de « la regarder en touchant sa ceinture », il avait vu l'affaire là aussi s'enflammer, allant
jusqu'à la plainte et aux menaces de mort... « J'étais sur l'écriture d'un autre scénario
avec Audrey Diwan et je n'y arrivais pas, se souvient le réalisateur. Nous avons fini par
écrire un scénario inspiré de mon histoire... Me plonger dans l'écriture me permettait de
mettre à distance tout ce qui est arrivé, de trouver du sens à ces événements douloureux et de montrer vraiment le malaise des professeurs depuis des années. »

Le titre du film illustre concrètement le hashtag #pasdevagues: lancé dans les années
2010, le slogan a reparu sur les réseaux sociaux en 2018 quand un adolescent a menacé sa professeure de français, harcelée par ses élèves, avec une arme factice dans un établissement de Créteil. « Pas de vagues dit la souffrance des enseignants au quotidien et surtout le silence de la hiérarchie qui s'ensuit ; c'est surtout lui, plus que tout le reste, qui est douloureux », poursuit le réalisateur. La fiction s'est d'ailleurs emparée du monde de l'éducation en souffrance. Ce mois-ci, on a vu les caméras des cinéastes se pencher sur la crise de vocation de Vincent Lindon, un professeur désabusé qui finit par continuer à enseigner loin de l'Éducation nationale dans Comme un fils, tandis que La Salle des profs, film allemand d'Ilker Çatak, montre aussi des professeurs mis à mal par une rumeur lancée par des élèves...

« On a l'habitude de dire qu'on ne fait pas de littérature avec des bons sentiments, mais au cinéma, c'est pareil : on ne fait pas de film là où tout va bien, estime le réalisateur.
Si le cinéma s'empare ainsi de l'école, c'est parce que c'est le symptôme d'une souffrance... Les choses s'aggravent, on manque de moyens et ça rejaillit sur le travail des professeurs et sur les élèves eux-mêmes. Il est important qu'on leur redonne un peu de force, parce que c'est la société de demain qui se construit avec eux à l'école. »

Coécrit avec Audrey Diwan, le scénario sait prendre de la hauteur par rapport à la réalité et ne tombe pas dans un manichéisme qui opposerait binairement les élèves aux professeurs. Les personnages sont plus complexes qu'il n'y paraît : les élèves, qui accusent de bonne ou de mauvaise foi, sont par ailleurs soumis aux influences de leurs camarades ou à la résonance des faits de société actuels à l'intérieur de l'enceinte du collège ; l'enseignant idéaliste, incarné par un François Civil très juste dans sa foi absolue et presque naïve dans son métier et dans son angoissante descente aux enfers, n'est pas non plus exempt de faux pas éducatifs... Tout le monde ne peut pas être M. Keating, le prof du Cercle des poètes disparus ! « L'idée n'était pas d'être dans l'accusation des uns ou des autres, car chacun agit selon sa vérité, précise Teddy Lussi-Modeste. J'essaie plutôt de dire qu'il est important que l'école retrouve son statut de sanctuaire, qu'on ne laisse plus entrer dans la salle de classe tous les problèmes, tous les discours qui nous montent les uns contre les autres. » Ce film, palpitant et engagé, emmène, en même temps que le piège se referme sur le professeur, le spectateur en apnée avec lui, jusqu'au dénouement.

Pas de vagues, de Teddy Lussi-Modeste, avec François Civil, Shaïn Boumedine, Toscane Duquesne, Mallory Wanecque. 1h31. Sortie mercredi.

En vert et contre tous (2⭐/4)

« Le sang de l'Indonésie. Un poison qui nous tue à petit feu. » C'est par ces quelques mots, à la fois forts et emplis de sens, qu'est décrite l'huile de palme dans La Promesse verte. Après le drame agricole Au nom de la terre inspiré de l'histoire de sa famille, le réalisateur Édouard Bergeon livre un thriller écologique édifiant, décryptant la terrible réalité qui se dissimule derrière la production de ce que l'on fait passer pour du « carburant vert ». Bien loin des campagnes françaises, c'est au cœur des décors luxuriants de l'Asie du Sud-Est que l'on découvre Martin, touriste français condamné à la prison et risquant la mort pour trafic de drogue. Fallacieux, ce motif déguise une vérité pointée du doigt par le jeune homme : la déforestation de l'Indonésie. Pour tenter de sauver son fils, Carole va mener un combat politique et invariablement déséquilibré face aux puissants exploitants et aux lobbies industriels. Fruit de nombreuses recherches, et malgré ses longueurs, le film se distingue par son style convoquant les codes du documentaire et est animé par une musique signée Thomas Dappelo, à la fois vibrante et obsédante. Magnétique, Félix Moati impressionne dans les scènes où l'inquiétude le terrasse, quand Alexandra Lamy et Sofian Khammes forment un duo frondeur qui convainc dès les premières minutes. Un long-métrage qui explore les failles de tout un système en dénonçant en filigrane l'hypocrisie de ceux qui détruisent les poumons de notre planète, et qui se révèle d'emblée comme un film indispensable.

La Promesse verte, d'Édouard Bergeon, avec Alexandra Lamy et Félix Moati.
2h04. Sortie mercredi.

En vert et contre tous

Escrocs mais pas trop (3⭐/4)

Qu'on se le dise : il y a bel et bien une nouvelle vague dans le cinéma argentin
actuel, avec entre autres le fascinant Trenque Lauquen en porte-étendard. Cette
fois, c'est un film de Rodrigo Moreno, Los delincuentes (« les délinquants »), qui
déboule sur nos écrans, sous les apparences bien trompeuses d'un banal film de
braquage. Certes, on pourrait se contenter de la réjouissante histoire de deux
employés de banque qui décident de dérober à leur employeur de quoi ne plus
travailler jusqu'à la fin de leurs jours. Mais notre plaisir de spectateur est décuplé
quand le récit se transforme ensuite en un road-movie qui prend des allures d'ode
à la liberté la plus totale. Aimer, boire et chanter pourraient être les mots d'ordre
des deux protagonistes au cours de leurs improbables rencontres et
pérégrinations. Il ressort de l'ensemble un charme indéniable, preuve irréfutable
que le cinéma reste le réceptacle idéal des fables qui nous font tenir les yeux
grands ouverts dans les salles obscures.

Los delincuentes, de Rodrigo Moreno, avec Daniel Elías, Esteban Bigliardi,
Margarita Molfino. 3h03. Sortie mercredi.

Escrocs mais pas trop

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.