Nos critiques littéraires de la semaine

« La clef et la croix », d'Éric Giacometti et Jacques Ravenne, « Préserver la laïcité », d'Alain Seksig, Iannis Roder et Sen Milan, « À nos vies imparfaites », de Véronique Ovaldé, « L'Autre Nom. Septologie I-II », le livre à relire de Jon Fosse : découvrez nos critiques littéraires de la semaine.
Éric Giacometti et Jacques Ravenne.
Éric Giacometti et Jacques Ravenne. (Crédits : © LTD / Vincent MULLER/opale.photo)

Tout finit dans le jardin des Monstres

Giacometti et Ravenne sur les traces du trésor des Templiers.

L'important dans un thriller ésotérique est de trouver un lieu spectaculaire pour le final », révèle Éric Giacometti. Installé sur les marches d'une bouche de l'enfer de Dante accompagné de Jacques Ravenne, il raconte la genèse de leur nouveau livre. Pour l'ultime scène de cette enquête du commissaire Antoine Marcas, les stars du thriller ésotérique ont frappé fort avec un jardin des Monstres pour le moins spectaculaire ! À 90 kilomètres au nord de Rome, ce parc du XVIe siècle est parsemé de sculptures fantasmagoriques, commandées par un duc devenu fou à la mort de son épouse. On y croise une nymphe endormie, un cerbère, l'éléphant d'Hannibal ou un Hercule écartelant Cacus.

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Chats-écrivains

 Restait à trouver le point de départ. C'est là que Jacques Ravenne intervient. Fasciné par Napoléon, il se demande pourquoi, en 1810, l'empereur a ordonné la confiscation des archives du Vatican. Qu'y a-t-il de si précieux dans ces documents? L'imagination du tandem se met en marche et Antoine Marcas reprend du service, explorant les sociétés occultes du Paris de Napoléon comme de l'Italie contemporaine, où un grand patron de la mode, membre d'une société catholique secrète, a été assassiné. Avec, au cœur de l'intrigue, la quête du trésor des Templiers. Si la complicité d'écriture entre Éric Giacometti, ancien journaliste du Parisien, et Jacques Ravenne, spécialiste de génétique textuelle et franc-maçon, date d'il y a vingt ans, leur amitié est née il y a près de quarante-cinq ans.

Savez-vous à quoi tiennent 21 polars écrits à quatre mains et vendus à 3,7 millions d'exemplaires dans le monde ? À deux adolescents du Sud-Ouest, Indiana Jones en herbe qui partaient avec leur pioche et leurs détecteurs de métaux à la recherche du Graal à Montségur ou du trésor de l'abbé Saunière à Rennes-le-Château. Ils ne se sont jamais quittés avant de décider en 2005 d'écrire des polars comme ceux qui ont enchanté leur adolescence, à raison d'un ou deux par an. Ce 15e opus est un très bon cru qui met en scène la garde rapprochée de Napoléon, de Fouché à Talleyrand et Cambacérès, avec, cerise sur le gâteau, l'impératrice Joséphine en grande maîtresse maçonnique. Les deux comparses, qui jonglent entre les époques, entrecroisent les intrigues, multiplient les codes et clés... Mais ces agiles chats-écrivains retombent toujours, à la fin, sur leurs pattes. (Anne-Laure Walter)

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La clef et La Croix, Éric Giacometti et Jacques Ravenne, JC Lattès, 22,90euros, 480pages (en librairies mercredi). (Crédits : © JC Lattès)

Pour que nos enfants restent libres

Sous l'apparence d'un essai quasi clinique, une déclaration d'amour à l'école républicaine.

Célébrer la réussite de la loi de 2004 sur l'interdiction des signes religieux à l'école vingt ans après son adoption pour mieux la défendre aujourd'hui. Tel est le parti pris de ce petit livre dont le titre sonne comme un programme : Préserver la laïcité. S'il a l'apparence d'un essai classique presque froid, il cache en fait une déclaration d'amour fougueuse à l'école et à la République signée de Iannis Roder, Alain Seksig et Milan Sen. « La République a fait l'école et l'école a fait la République », écrivent-ils.

L'ouvrage nous replonge en 1989 à Creil, où des jeunes filles refusent d'enlever leur foulard à l'école. Il nous rappelle cette gauche divisée entre ceux qui pressentaient le risque et les autres qui, comme Lionel Jospin, estimaient qu'il n'y avait « aucune menace de l'islam intégriste sur la République française ». On connaît la suite : sa position libérale, confortée par le Conseil d'État, déboucha sur quinze ans de flou. Ce que l'on a peut-être oublié, en revanche, c'est la qualité des travaux de la commission Stasi, installée en 2003 par Jacques Chirac quand reprend la « querelle des foulards ». Lors des 140 auditions, la France se regarde dans le miroir et voit notamment un corps enseignant isolé, désemparé, et des jeunes filles instrumentalisées face à « une poussée de l'islamisme et du communautarisme dans différentes couches de la société ».

Dans sa chair

 L'évolution des membres de la commission, dont seulement une poignée penche au départ en faveur d'une interdiction, est particulièrement analysée par les auteurs. Si l'apaisement scolaire et la protection des jeunes filles contre le prosélytisme religieux guident d'abord les sages, un troisième argument - l'universalisme républicain - devient progressivement « le ciment de tout l'édifice législatif en train de se mettre en place ». Et un large accord naît autour du principe de l'interdiction. Il importe d'autant plus de revenir sur la genèse de la loi du 15 mars 2004, plébiscitée par les Français, qu'elle est remise en question aujourd'hui « au nom de la tolérance, de la liberté et de la lutte contre les discriminations » par une partie de la jeunesse et des intellectuels. Au moment où l'islamisme attaque l'école dans sa chair, celle de Samuel Paty et de Dominique Bernard. Le livre n'est pas un brûlot laïcard, loin de là. Il rappelle que l'école républicaine est « le lieu du dépaysement, de l'éloignement d'avec soi-même, pour que l'élève puisse, en connaissance de cause, faire ses choix intellectuels en toute autonomie ». Plus que jamais cela mérite d'être dit. (Aurélie Marcireau)

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Préserver la laïcité, Iannis Roder, Alain Seksig et Sen Milan, Éditions de l'Observatoire, 208 pages, 20 euros. (Crédits : © Éditions de l'Observatoire)

Comme des braves

 Véronique Ovaldé traque l'irruption de l'étrange dans notre quotidien.

Nos critiques littéraires de la semaine

Véronique Ovaldé (Crédits : © PHILIPPE MATSAS/LEEXTRA VIA OPALE.PHOTO)

La vie, c'est affaire de composition. Toujours il faut composer. Avec la poisse qui s'attache aux pas d'Auguste, ingénieur du son ; avec la solitude d'Éva, agente immobilière ; avec les aléas de l'adolescence pour Marguerite, qui préférerait qu'on l'appelle Bob ; avec son récent veuvage pour Rachel ; avec une appétence pour les plans foireux pour Laszlo, chauffeur de maître... Quelques spécimens parmi d'autres de notre commune humanité, souffrante et tout de même généreuse auscultés par Véronique Ovaldé dans ces huit nouvelles.

Cabinet de curiosités

 Huit histoires, huit vies minuscules, toutes dédiées à nos vies imparfaites. Dans chacune d'elles, le personnage central est subtilement relié à l'un ou l'une des protagonistes des nouvelles précédentes, selon un principe « marabout de ficelle » aussi malicieux que judicieux. En fait, en matière de jubilation romanesque, Ovaldé s'en donne ici à cœur joie. Comme chez Marcel Aymé, la morosité du quotidien laisse apercevoir sa paradoxale étrangeté, allant parfois jusqu'à flirter avec le fantastique (un homme venu du futur ou un inquiétant amateur de cabinets de curiosités se dissimulent dans ces pages...). On n'est pas sûr que tout ce qui est dit là et sur ce temps soit spécialement joyeux, mais cela l'est toujours de manière très gaie. Véronique Ovaldé rit, mais jamais aux dépens de ses héros et héroïnes, navrés et touchants. Morale des histoires, tous font front. Comme des braves. (Olivier Mony)

ovalde

À nos vies imparfaites, Véronique Ovaldé, Flammarion,160pages, 19 euros. (Crédits : © Flammarion)

LE LIVRE À RELIRE : L'autre nom, de Jon Fosse

En transformant quelques heures dans la vie de quelques personnages en Odyssée dans son Ulysse aux 1600 pages, James Joyce a inventé un genre littéraire très particulier. Il consiste à se faire le greffier d'une existence, et à relater l'expérience humaine comme en direct, en saisissant les micropensées et événements dont sont tissés nos présents. Ulysse a inspiré bien du monde: les écrivains du Nouveau Roman, le Norvégien polémique Knausgaard... et son compatriote Jon Fosse, Nobel de littérature 2023, plus connu pour son théâtre (lui-même inspiré par Beckett, autre Irlandais d'avant-garde) que pour sa Septologie en sept volumes, en cours de republication. Elle vaut pourtant le détour. La côte norvégienne. Un village, Dylgja, où personne ne ferme sa maison, face à la mer, « le plus grand cimetière du coin ». Un homme qui traque la lumière à coups de pinceau. Il s'appelle Alse, barbe grise, cheveux longs, cœur endeuillé, foi en Dieu, tête pleine de souvenirs et compte en banque garni.

Alse n'a jamais su compter, mais a toujours peint et eu du succès. Alse maudit ses tableaux de jeunesse: « Il y avait de la lumière partout et par conséquent il n'y avait pas de lumière. » Alse n'est pas toujours facile à suivre car il peut prendre sa voiture et se voir au même moment dans sa chambre hésitant à marcher dans la mer jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ou alors il s'aventure comme un quidam en bordure d'un souvenir pour regarder le jeune homme qu'il était jouer à ensevelir de sable cette femme qui ne lui donnera pas d'enfant. Mais Alse a Asleik, son voisin pêcheur, son complément spirituel. Et après la patiente relation d'un monde où des côtes d'agneau fumées sont élevées en mythologie, la narration s'accélère... Mais à ce stade, on aura été conquis par l'écriture hypnotique de Fosse, par ses phrases infinies aux formules réitérées, et par l'incroyable impression qu'elle procure: celle d'habiter effectivement le cerveau parfois diracté d'Alse! Ou, en version Fosse, « elle et lui que j'ai vus couchés sous le manteau noir, car c'était le même long manteau noir qu'il portait à l'instant, je pense, et c'est le même manteau noir que je porte en ce moment ». (Alexis Brocas)

Nos critiques littéraires de la semaine

L'Autre Nom - Septologie I-II, Jon Fosse, traduit du néo-norvégien par Jean-Baptiste Coursaud, Bourgois, 448 pages, 12 euros. (Crédits: © LTD / Bourgois)

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