Nos critiques littéraires de la semaine

« Mes nuits sans Bardot », de Simonetta Greggio, « La Reine jaune », de Joseph Macé-Scaron, « Des souris et des hommes », de John Steinbeck : découvrez nos critiques littéraires de la semaine.
Simonetta Greggio, romancière et traductrice italienne.
Simonetta Greggio, romancière et traductrice italienne. (Crédits : © LTD / Astrid di Crollalanza/opale.photo)

Monstre Charmant

Les stars, lorsqu'elles ont cessé d'être filantes ou qu'elles se sont éteintes, ça peut toujours servir. Aux écrivains d'abord, à qui elles offrent ce qu'il leur faut de propositions mythologiques à l'usage de l'époque et du tout-venant. Ce sera Marilyn pour Joyce Carol Oates ou Norman Mailer, Garbo pour René de Ceccatty, Sinatra pour Éric Neuhoff ou Dean Martin pour Nick Tosches. Liste bien entendu non exhaustive. À ce champ (ou chant) d'honneur, il conviendra désormais d'ajouter la B.B. nationale, réenchantée par la plume à la fois sensuelle, complice et attendrie de Simonetta Greggio - qui a déjà prouvé avec les superbes Dolce vita 1959-1979 et Les Nouveaux Monstres 1978-2014 n'être jamais plus juste que dans l'évocation des « beautiful people ».

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Bardot, c'est autre chose. Une sacrée paire de manches tant la recluse de la Madrague s'est comme efforcée, l'âge venu, de décourager toute tentative de portrait empathique de cette sorte. Comme si l'éclat de sa jeunesse à la fois tourmentée et lumineuse devait disparaître face à l'évidence d'une haine de soi et de son histoire déguisée en détestation de la société des hommes. Elle était divine, elle n'est plus que gênante.

Bestiaire de réprouvés

Jusqu'à ce que Simonetta Greggio, avec ce requiem tendre qu'est Mes nuits sans Bardot, ne parvienne à nous la rendre telle qu'en elle-même, libre, audacieuse, insolente, prête à tous les risques de sa liberté. Ce serait donc l'histoire d'une jeune fille de bonne famille, Paris 16e, qui, personnifiant plus que nul autre l'élan des Trente Glorieuses, essaiera de ne pas (trop) se perdre dans le maelström d'admiration et de désir qui s'attache à ses pas. Le désir, voilà tout. Brigitte, qui n'oubliera jamais l'enfant disgracieuse qu'elle croit avoir été, est comme interdite, au moins perplexe, devant celui qu'elle suscite autant que celui qu'elle ressent. Ses amours - Jean-Louis Trintignant, Sami Frey, Serge Gainsbourg - sont d'autant plus ardentes qu'elles portent en elles leur fin prochaine. Ses mariages - avec Roger Vadim, Jacques Charrier, Gunter Sachs - sont, eux, comme autant de concessions douloureuses.

La seule chose qui demeure : les copains, les soirs d'été à Saint-Tropez et, finalement, la solitude. Du moins s'il n'y avait pas les animaux. Des ânes, des chiens, des bébés phoques, un bestiaire de réprouvés : c'est ainsi que se perçoit sans doute la danseuse de mambo d'Et Dieu... créa la femme. C'est là, depuis toujours, sa vraie cause, sa consolation ; par là qu'elle peut être comprise et - pourquoi pas - réhabilitée. C'est ainsi en tout cas que Greggio nous la représente, rendue à une innocence vraie. Il faut à cela beaucoup d'art et encore plus d'amour. Certes, Brigitte Bardot est un monstre. Mais charmant. (Olivier Mony)

Vous pouvez trouver Simonetta Greggio le dimanche 14 avril à 13 heures au Festival du livre de Paris, au Grand Palais éphémère, en discussion avec Tatiana de Rosnay. Le Québec est l'invité d'honneur cette année. Pour plus d'informations : festivaldulivredeparis.fr

Mes nuits sans Bardot

Mes nuits sans Bardot, Simonetta Greggio, Albin Michel, 320pages, 20,90euros.

En jaune et contre tout !

Vous souvenez-vous du « Roi en jaune », cette entité mystérieuse piquée à la littérature d'épouvante par les scénaristes de la première saison de True Detective pour en faire le dieu du mal auquel leurs criminels dégénérés sacrifiaient des enfants ? Joseph Macé-Scaron, lui, ne l'a pas oublié, pas plus qu'il n'a oublié l'ambiance de cette série policière imprégnée des horreurs de Lovecraft. Et, dans un polar très inspiré, il transpose toute cette esthétique à Roquebrune, petit village de Provence devenu parc à retraités, où l'on meurt surtout de canicule. Mais justement, sous les décès par déshydratation se cachent peut-être des crimes inavouables...

Macé Scaron

Le roman commence moderato : Paule, la chartiste croisée dans le polar précédent de l'auteur, expertise un manuscrit Renaissance qui parle de la guerre entre catholiques et protestants et de cadavres découverts dans une grotte du rocher de Roquebrune, au pied d'une statue païenne couronnée de bois de cerf. Puis c'est une bibliothécaire du village qui voit apparaître sur sa table un livre inconnu. Puis on retrouve Guillaume, l'ami gendarme de Paule, muté à Fréjus, et confronté à une légende urbaine devenue réalité - quatre jeunes filles persuadées d'avoir pris en stop une dame en jaune évanouie dans un virage. Puis l'intrigue prend de la vitesse : Paule enquête sur un livre peut-être annoté par le célèbre disparu Dupont de Ligonnès, vu dans la région. Le cadavre d'une femme coiffée d'andouillers est découvert. Un affairiste local adipeux à souhait est assassiné - il ne sera pas le dernier, mais en révéler davantage serait divulgâcher...

Femme fatale, lieu maudit

Disons seulement que ce genre de polar représente l'équivalent littéraire du jeu d'échecs. Un cadre donné (celui d'une enquête policière), un nombre de combinaisons à la fois vaste et limité, avec des coups balisés à éviter car le lecteur les voit venir à des kilomètres... Or Joseph Macé-Scaron joue une partie remarquable. Il lance beaucoup d'ouvertures - beaucoup d'intrigues - mais toutes finissent par converger sans que rien ne grince. Il s'appuie sur des motifs classiques : femme fatale, lieu maudit (un village abandonné remontant à l'Antiquité), visite de la région. Mais il invente aussi beaucoup (le modus operandi des criminels, d'une glaçante originalité) et ne traite jamais ses personnages en pions - de la bibliothécaire médium au guide hanté par la mort de sa fille, tous ont leur petit supplément d'âme. Et il joue avec assez de style pour nous maintenir sur les nerfs jusqu'au mat final. (Alexis Brocas)

La reine jaune

La reine jaune, Joseph MacéScaron, Les Presses de la Cité, 320pages, 21 euros.

Le livre à relire

Des souris et des hommes de John Steinbeck

Plutôt que des romans, John Steinbeck écrivait des paraboles : des textes universels nourris de Bible et d'un socialisme plus soucieux de souffrances contemporaines que de lendemains qui chantent. Cela - plus sa science de journaliste de terrain et son style capable de parler toutes les langues, garants de son réalisme - lui a valu l'éternité. Le fantôme rebelle du Tom Joad des Raisins de la colère n'en finit pas de hanter la culture
américaine. Et deux braves journaliers persistent à rêver d'un paradis plein de lapins et sans patron au gré des rééditions de Des souris et des hommes.

Ainsi cette traduction récente reparue dans une version bilingue qui permet de juger de sa qualité : pour traduire l'anglais bousculé du prolétariat des ranchs d'autrefois, si bien saisi par Steinbeck, la romancière Agnès Desarthe a opté pour la limpidité. C'est ainsi que « Ain't nobody goin' to suppose no hurt to George », aux négations intraduisibles, devient « J'laisserai personne imaginer qu'George est blessé ». Et c'est ainsi que l'on replonge dans un classique que l'on connaît par cœur, l'équivalent pour adultes du Petit Chaperon rouge, comme dans une eau neuve. Reprenons la parabole. George et Lennie cheminent vers le ranch Carlson, où un boulot les attend.

George est un petit malin, Lennie une armoire à glace dotée d'un cerveau handicapé et d'un cœur tendre... Lennie aime les souris mais ne peut les caresser sans les tuer. Lennie aime George, qui veille sur lui mais leur attire toujours des ennuis. Pas sa faute si les souris sont fragiles, si les robes rouges sont fascinantes et si les filles dedans prennent peur. Et pas sa faute non plus si, au ranch Carlson, le fils du patron, odieux petit coq, cherche la bagarre avec les employés, tandis que sa jeune épouse s'amuse à les provoquer. Elle a aussi de jolis cheveux, très doux à caresser, c'est pourquoi tout finira mal. Pas de miracle chez Steinbeck, sinon dans l'écriture, capable de faire confluer rêves d'avenir, preuves d'amitié et assassinat dans une scène finale. Sa restitution par Desarthe est un tour de force d'autant plus admirable qu'il se fait oublier. (Alexis Brocas)

Des souris et des hommes

Des souris et des hommes, John Steinbeck, traduit de l'anglais (États-Unis) par Agnès Desarthe, Folio bilingue, 304 pages, 9,90 euros.

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