Sandrine Kiberlain : « L’âge, je m’en fous »

ENTRETIEN - L’actrice raconte sa joie de retrouver l’univers guignolesque de Bruno Podalydès, mais aussi son souci de la nuance et ses peurs.
Alexis Campion
Sandrine Kiberlain, actrice.
Sandrine Kiberlain, actrice. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Adepte des comédies déconnantes qu'elle honore de sa fantaisie tout autant que de son sens de la nuance, Sandrine Kiberlain ne procède pas autrement en interview. Plutôt que de prendre ouvertement position face aux questions sur la guerre au Proche-Orient et sur le mouvement MeToo, l'actrice met en avant son besoin de modération. Compréhensible dans une « période folle » qui avive les transes et les extrêmes. « Je ne me sens ni le droit ni la force de prendre la parole sur des sujets aussi ténus, graves et sensibles. »

Capable, quoi qu'il en soit, de naviguer dans tous les registres, elle apparaît drôle et touchante dans La Petite Vadrouille, sa troisième incursion dans l'univers impayable de Bruno Podalydès, petit monde au désuet assumé et plus revigorant qu'il n'y paraît. Pas si molle ni bateau, cette nouvelle comédie l'affiche ainsi un peu perdue mais bien vive et débrouillarde entre Daniel Auteuil et Denis Podalydès, deux mâles narcissiques en diable et en fin de compte pas si dominants...

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Tourner au fil de l'eau avec Bruno Podalydès et une troupe d'acteurs amis, on imagine que c'est un plaisir, voire des vacances ! Est-ce aussi simple que ça ?

SANDRINE KIBERLAIN - Sur un petit bateau, ce n'est pas ce qu'on fait de plus plaisant ! Cela induit beaucoup de contraintes comme la promiscuité et des problèmes d'écluses. Et puis on a tourné en juillet, tous les jours en extérieur sous de grosses chaleurs, parfois il fallait mettre des parapluies anti-UV... C'étaient donc des conditions très particulières mais marrantes, parfois encore plus étonnantes que ce qu'on voit dans le film. On a rencontré de vrais éclusiers qui vivent avec des chats par milliers, découvert des jardins fous, un monde un peu magique, très dépaysant. Mais il fallait rester concentrés, être à l'écoute et productifs parce qu'il y avait beaucoup de texte et de choses qu'on ne pouvait pas tenter plusieurs fois. On était donc un peu à cran. Mais on a traversé tout ça plutôt joyeusement car on était dans le jeu, heureux de se retrouver en effet, inspirés par notre petit collectif.

Si le film file la métaphore de l'aventure du cinéma - le tournage étant lui-même une sorte de coup monté dans un temps limité -, il fait aussi l'éloge de la lenteur...

Bruno est un assez grand solitaire, proche de la nature et pas du tout sur les réseaux sociaux. Il fait du kayak, il a besoin de campagne, de retrait.

Son film lui ressemble et son éloge va aussi à la nature, à l'observation. S'y retrouver coincé, ça fait du bien, ça oblige le spectateur à prendre le temps et à regarder ce qu'on ne voit plus, un ruisseau, un arbre, un paysage... Car maintenant on a tous le nez collé à autre chose. [Elle désigne son smartphone.]

Dans cette bande d'amis, la plupart flirtent déjà avec la soixantaine, y compris vous.

C'est toute la drôlerie et l'émotion de cette bande un peu dépassée, emberlificotée dans sa propre dynamique. Tout ce qui a trait à avoir du boulot ou pas, et bien sûr aux galères d'argent que ça cause, Bruno en parlait déjà dans ses autres films et ça a du sens. J'aime qu'on parle de ça comme j'aime assumer mon âge.

Cela dit, dans la vie, vous échappez au fameux « tunnel de la comédienne de 50 ans »...

Je touche du bois, je suis très consciente de ma chance. Après, l'âge des gens, je m'en fous. Récemment j'ai joué la nana de Vincent Lacoste qui, dans la vie, pourrait être mon fils. Mais pas une fois je ne me suis demandé si la situation pouvait être crédible ou pas. Et si demain je devais jouer une femme de 70 ans, je n'aurais aucun problème. J'aurais plus de difficulté à jouer la jeunesse que je n'ai plus, ça ferait tout de suite maniéré et faux. En fait, je pense rarement à l'âge de mes personnages, je m'inquiète plutôt de leur vérité et de ce qu'ils vivent. Alors, quarantaine ou soixantaine, qu'importe !

Comment avez-vous vécu les débuts fracassants et très précoces de votre fille, Suzanne Lindon ?

Oh, c'est très intime, ça... Je trouve qu'elle se débrouille très bien toute seule alors qu'on veut toujours la coller aux références que sont ses deux parents. Je l'ai trouvée incroyable dans En thérapie et en ce moment elle tourne avec Cédric Klapisch. Elle fait des choix très personnels et je prends bien tout ce qui peut la rendre heureuse. Lorsqu'elle a été admise aux Arts déco mais a choisi de faire son film, j'ai respecté. Maintenant, elle écrit son deuxième film, elle mène sa vie. Mon regard n'est jamais que celui d'une mère qui souhaite le meilleur à son enfant. Sa passion serait l'architecture, je serais tout aussi confiante.

Vous venez de jouer Sarah Bernhardt dans La Divine, le prochain film de Guillaume Nicloux. À quel âge de sa vie ?

Plusieurs âges justement, de 30 ans jusqu'à 75, quand elle est accomplie... avec sa jambe coupée. Ce n'est pas un biopic, plutôt un moment de vie avec elle, avec son grand amour pour le théâtre, ses libertés, sa passion, son autorité, sa folie, sa démesure, son envergure... Je ne sais pas ce que je peux vous raconter tellement le personnage est riche et tellement ça a été génial de le faire. J'ai adoré.

Cela a-t-il influé sur votre rapport au théâtre, qui a été important à vos débuts mais que vous avez laissé de côté ?

Le cinéma a toujours été plus important. Au Conservatoire, déjà, j'avais été l'une des seules à passer le concours d'entrée avec une scène de cinéma - un extrait du film Annie Hall. On me l'avait déconseillé et j'étais vue un peu de traviole pour ça. Mais ma passion, c'était l'image, alors j'ai fait ce que je sentais et ça a marché. Si j'ai adoré jouer au théâtre, j'ai toujours eu un problème avec son aspect répétitif. On a beau dire qu'il n'y a pas deux soirs pareils, mon rythme n'est pas celui-là. J'adorerais y revenir, mais il me faudrait des garanties pour que ça ne dure pas trop longtemps.

Exposée à la célébrité un siècle après elle, comment avez-vous incarné la « première influenceuse » que fut Sarah Bernhardt ?

J'ai cherché, pensé à Lady Gaga, à Barbara... Mais je n'ai pas trouvé d'équivalent et j'ai préféré imaginer le personnage. En fin de compte, j'ai surtout pensé à son énergie, sa démesure comme un tourbillon, son côté sans limites, sa liberté de dire et d'agir, son besoin surdimensionné d'être aimée et d'exister, symptomatique quand même, car elle joue tout le temps. Je n'ai pas travaillé scolairement ni trop fouillé la documentation car finalement on sait peu de chose d'elle, son visage n'est jamais le même d'une photo à une autre.

« On ne s'écoute plus, on n'ose plus parler. Bref, la période est folle... »

On vous sait très sensible à la montée des extrêmes et de l'antisémitisme en particulier. Comment avez-vous vécu cette année depuis le 7 octobre ?

C'est compliqué de parler, c'est compliqué de faire entendre, en France, qu'on attend la libération des otages et qu'on est choqué des bombardements à Gaza. Comme disait Marceline Loridan-Ivens, l'histoire ne nous apprend rien, elle se reproduit. C'est en train de revenir car ça n'est jamais vraiment parti. Je regrette qu'aujourd'hui on soit dans un monde complètement binaire. On ne peut pas dire qu'on est anéanti et suffoqué par les attentats du 7 octobre sans qu'on pense que, par conséquent, on est contre la Palestine... Ce n'est pas vrai. On peut être concerné par les deux et vouloir la paix. Il n'y a pas de morts justifiables ni de morts plus invivables que d'autres. Les victimes du 7 octobre étaient contre Netanyahou et pour la paix. Il n'y a pas de justice là-dedans. C'est juste des morts et c'est insoutenable que les Juifs soient montrés du doigt toute leur vie. Dénoncer l'antisémitisme et l'islamophobie est plus que jamais nécessaire pour éviter les malentendus, les amalgames. Mais on ne s'écoute plus, on n'ose plus parler. Bref, la période est folle, on n'est pas rendus.

Et la deuxième vague MeToo, vous pouvez en parler ?

Alors, après l'antisémitisme, on fait MeToo ? Ce sont des questions que l'on pose, inévitables... Comment dire ? Je trouve super que les langues se délient, c'est un miracle pour nos filles, pour nous. Je me sens évidemment très concernée, reconnaissante envers les femmes qui ont le courage de témoigner. C'est une chance. Mais j'ai très peur de la résolution par les médias avant jugement. Cet acharnement médiatique est terrifiant, il bousille des gens bien alors que la présomption d'innocence, ce n'est pas pour les chiens. Regardez Kevin Spacey, il a été déclaré non coupable. Mais le mal est fait, il ne tournera probablement plus.

Aujourd'hui, on pense à Édouard Baer...

J'aime trop Édouard pour le réduire à ce dont on l'accuse. Et même en parler, je trouve que c'est y accorder trop d'importance. Il a très bien su s'excuser lui-même, ce qu'il a dit est très parlant, il est intelligent.

Reste que l'expression « monstre sacré », employée à l'origine par Jean Cocteau à propos de Sarah Bernhardt, désigne aujourd'hui des hommes, acteurs ou réalisateurs, qui tombent de leur piédestal...

Si vous pensez à Gérard Depardieu, je suis de celles qui l'ont rencontré dans des situations extrêmement privilégiées, et si demain j'apprends que ce dont on l'accuse est juste et vérifié, je serai horrifiée, comme tout le monde. Mais pour l'instant je ne sais pas, je l'ai connu de près mais je ne sais rien de sa vie intime. On ne peut plus parler de lui, pourtant j'aime parler de l'acteur qu'il a été et qu'il restera. Quand les procès auront lieu, on saura. Il faut que les plaintes soient entendues, mais au bon endroit : devant des juges. Ce n'est pas à nous de faire le procès.

Alexis Campion

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