Savoir-faire : le verre des îles du Ponant

Une filière crée le lien entre quinze îles habitées de la Manche à l’Atlantique. La matière première ? Du sable, des carapaces et des rebuts du BTP.
L’atelier Lucile Viaud, installé dans le laboratoire Verres et céramiques de l’Institut des sciences chimiques de Rennes (Ille-et-Vilaine).
L’atelier Lucile Viaud, installé dans le laboratoire Verres et céramiques de l’Institut des sciences chimiques de Rennes (Ille-et-Vilaine). (Crédits : © Atelier Lucile Viaud)

Au premier essai, il était bleu lagon, à l'image de la carte postale de ces rivages. « Tout le monde était très content », s'amuse Lucile Viaud, artiste-chercheuse. Puis, petit à petit, en peaufinant la recette, le verre recyclable à l'infini a pris une teinte ambrée. « Une nuance terrienne, chaleureuse, de fougère, voire gourmande comme le caramel au beurre salé : c'est le paysage qui révèle une couleur. » Ce nouveau matériau a été fabriqué à base de sable excavé lors de la construction de logements sociaux sur l'île d'Hoëdic (Morbihan), de chaux issue des filtres du matériel de plongée professionnelle à Ouessant (Finistère), de cendres du fumage du poisson sur l'île d'Yeu (Vendée) et l'île de Groix (Morbihan). Mais pas seulement : une cinquantaine d'autres ingrédients ont été aussi glanés pour la palette d'émaux, telles des coquilles d'huître ou des carapaces de homard.

Pour la fabrication, trois verriers - les Verreries de Bréhat (Côtes-d'Armor), Fluïd et Bo Glass Studio à Belle-Île-en-Mer (Morbihan) - ont été mis à contribution. Installée au sein du laboratoire Verres et céramiques de l'Institut des sciences chimiques de Rennes (Ille-et-Vilaine), Lucile Viaud a chapeauté le processus de bout en bout. L'idée lui était venue à Ouessant alors qu'elle accompagnait des élèves de l'École européenne supérieure d'art de Bretagne (Eesab) pour un atelier sur la valorisation des trésors de grève apportés par les marées.

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Trois ans de recherche

La designer de 29 ans contacte en 2020 l'association Savoir-faire des îles du Ponant, qui relie les îles du Ponant - de l'archipel de Chausey (Manche) à l'île d'Aix (Charente-Maritime) -, laquelle investit 150 000 euros dans ce projet au long cours. « Cet objet formalise le lien inter-îlien », souligne Charlotte Courant, chargée de mission tourisme et économie. « Notre objectif reste de pouvoir ainsi offrir du travail aux habitants et leur permettre de se loger, gros enjeu actuel », précise-t-elle. Il a fallu récolter ces déchets jusqu'alors non valorisés, les sécher, les broyer, les tamiser... Et après trois ans de recherche, 35 kilos de verre ont vu le jour. Un premier lot a été soufflé en début d'année chez Bo Glass Studio à Locmaria, à Belle-Île, dans un four de fusion mobile conçu par des étudiants de l'Eesab et de l'école d'ingénieurs de Brest. Des fioles, des pailles et des sculptures y ont pris vie grâce au feu. « J'ai été étonné par la facilité avec laquelle ce mélange se travaille », constate le maître des lieux, Alan Le Chenadec, davantage habitué au verre cristallin provenant d'Europe de l'Est. Les étapes de cette aventure sont détaillées dans une exposition itinérante, « Terre insulaire », présentée jusqu'au 12 janvier à Palais, à Belle-Île, avant de voguer ailleurs en Bretagne, jusqu'à Bréhat, Batz, Ouessant et Molène.

Prochaine étape pour ce verre des îles du Ponant ? Une nouvelle production de mobiles, de pailles et de verres vient d'être financée grâce à un appel de fonds qui a permis de récolter 20 000 euros l'été dernier. Des partenariats pourraient être envisagés avec un chef cuisinier pour de la vaisselle, un pâtissier pour une fève à l'Épiphanie, un couturier pour des boutons, un office de tourisme pour un souvenir 100 % local... « J'aime bien l'idée d'une bille, telle une perle d'huître présentée dans un écrin, pour montrer la préciosité de ce territoire et de cette matière », imagine Lucile Viaud, tout en rêvant de vitraux dans une église désacralisée ou d'une œuvre dans l'espace public. « Et pourquoi pas un menhir ! » Née en Lorraine, région à la longue tradition verrière, cette diplômée de l'École Boulle partira en mission dans une nouvelle région en 2024, la Champagne. « Le verre n'y sera pas forcément doré, qui sait : le paysage décidera ! »

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