Taylor Swift, une idole à Paris

Dans le cadre de sa tournée mondiale, la pop star investit Paris pour quatre concerts. Retour sur un phénomène culturel, sociétal et politique.
Taylor Swift.
Taylor Swift. (Crédits : © LTD / CASEY FLANIGAN/IMAGESPACE/SIPA USA VIA REUTERS ; AUDOIN DESFORGES ; INSTAGRAM/@LUDOVIC_TURAC ; CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Attention, un séisme d'une intensité encore inconnue pourrait secouer la région parisienne jeudi prochain. Ce jour-là, Taylor Swift prendra ses quartiers à La Défense Arena dans le cadre de sa tournée planétaire, The Eras Tour. Durant quatre soirs, le sol du quartier des affaires francilien risque de trembler, au sens propre... En juillet, lors d'un concert de la pop star à Seattle, une sismologue a mesuré des vibrations équivalentes à un séisme de magnitude 2,3 sur l'échelle de Richter provoquées par la ferveur tellurique de ses fans, les « swifties ». Un exemple des passions déchaînées par Taylor Swift, sacrée en 2023 personnalité de l'année par le magazine Time.

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Après avoir sillonné les États-Unis, l'Amérique latine et l'Asie, « Tay Tay » a donc choisi Paris pour donner le coup d'envoi de ses spectacles européens. Un événement. Son premier concert parisien remontait à 2011 dans un Zénith à moitié rempli, et sa dernière tournée mondiale avait tout simplement snobé l'Hexagone. Car l'artiste la plus influente de sa génération aura mis du temps à conquérir un public français peu sensible à l'esthétique country de ses premiers albums. Elle apparaît également trop lisse avec son côté « girl next door », loin de la sophistication d'une Beyoncé, des audaces stylistiques d'une Billie Eilish ou de l'aura sulfureuse d'une Madonna. Taylor Swift devra attendre 2022 pour classer l'un de ses albums (Midnights) numéro un des ventes dans notre pays ! « La France est clairement une priorité », avait déclaré en 2019 la chanteuse au Parisien, en marge d'un concert privé à l'Olympia. Cinq ans plus tard, elle fait carton plein. Les 180 000 places pour ses quatre concerts à La Défense Arena se sont écoulées en à peine une heure ! Idem pour ses deux prestations, les 2 et 3 juin, au Groupama Stadium à Lyon.

Un show XXL

C'est la tournée de tous les records. The Eras Tour a déjà engendré 1 milliard de dollars de recettes et devrait atteindre les 2 milliards selon les prévisions. Soit la tournée la plus lucrative de l'histoire des États-Unis devant le Farewell Tour d'Elton John. Record de durée également, avec un show de trois heures et demie et un dispositif scénique qui nécessite cinq jours d'installation (contre un jour ou deux pour n'importe quelle autre pop star). Au menu, « un voyage musical à travers les ères musicales » de sa carrière. Quarante-cinq chansons puisées dans ses dix premiers albums (et sans doute quelques titres du dernier, sorti en avril), illustrant les mutations artistiques de la chanteuse qui commença sa carrière à 16 ans comme chanteuse country dans les bars de Nashville, pour ensuite opérer un virage pop en 2014 avec l'album 1989. Ses fans de la première heure crient à la trahison. Elle persiste et emporte l'adhésion du public comme de la critique. Taylor Swift nourrit sa musique d'électro pointue, de rap et de R'n'B, mais aussi de folk épurée et contemplative avec ses albums Folklore et Evermore, sortis en 2020. Un virage confirmé avec The Tortured Poets Department, son dernier opus aux climats élégiaques, loin de son aura de star mainstream habituée à remplir les stades. Cet art de la réinvention, Taylor Swift l'avait théorisé dans sa chanson Mirrorball, puis en interview : « Les femmes artistes ont dû se réinventer vingt fois plus que les hommes. Il faut constamment trouver de nouvelles facettes de soi-même qui brilleront pour les autres. »

Taylor Swift


À l'automne 2023, The Eras Tour passe par l'Amérique du Sud. Ici à Rio de Janeiro, au Brésil, le 20 novembre. (© LTD / BACKGRID USA/BESTIMAGE)

« A good girl »

C'est son mantra. Dans le documentaire Miss Americana (Netflix), la native de Reading (Pennsylvanie) revient sur le « code moral » qui la guide depuis sa plus tendre enfance : « J'avais besoin d'être considérée comme une bonne personne. Mon système de croyance était simple : fais ce qu'il faut, fais-le bien. » Au fil de vidéos d'archives, on découvre une gamine de 12 ans pleine d'aplomb face caméra, consciente de son talent et de son destin consigné dans son journal intime : « Ma vie, ma carrière, mon rêve, ma réalité. » Soit les problématiques inhérentes à toute star de son envergure... On n'est pas obligé d'adhérer au narratif taylorien, mais les faits parlent pour elle. Championne incontestée des œuvres caritatives, elle met sa notoriété au service de ses convictions (contre Trump, l'homophobie, les armes à feu, le sexisme...) et reste fidèle à son image d'icône sans chichi plus à l'aise en salopette qu'en tenue de gala, qui assume ses kilos face aux diktats de la beauté (« Il vaut mieux avoir l'air grosse qu'avoir l'air malade »). Une fille bien, à ce détail près : Tay Tay a récemment été élue « célébrité la plus polluante du monde », en raison de sa passion pour les déplacements en jet privé.

Self-made-woman

Ses fans l'ont surnommée « capitalist queen ». À 34 ans, Taylor Swift peut se targuer d'être la première artiste devenue milliardaire grâce aux seuls revenus générés par sa musique. Son dernier coup de maître remonte à trois ans, quand elle décide de retourner en studio pour réenregistrer ses quatre premiers albums (enrichi d'inédits) et ainsi récupérer ses royalties après la vente de son label historique à un fonds d'investissement. En novembre dernier, la réédition de son opus 1989 s'est écoulée à 2 millions d'exemplaires aux États-Unis ! Quant à son nouvel album, il a cumulé 300 millions d'écoutes sur Spotify en vingt-quatre heures. Un record « historique », a twitté le géant suédois du streaming. Taylor Swift gagne beaucoup d'argent, mais elle le fait ruisseler sur l'économie américaine. La Réserve fédérale des États-Unis parle même d'un « facteur Taylor Swift » lié aux retombées financières générées par The Eras Tour. Selon le média Travelpulse, son impact économique sur le secteur touristique du pays serait de 5 milliards de dollars. L'État du Colorado a constaté une hausse de 140 millions de dollars de son PIB après le passage de la tornade Swift. Rien de très surprenant... En moyenne, un swiftie débourse 1 300 dollars pour assister à un concert de son idole (billet d'avion, hébergement, produits dérivés...). À titre d'exemple, 30 % du public présent à La Défense Arena vient de l'étranger, dont 20 % des États-Unis.

L'équipe de Joe Biden multiplie les appels du pied pour rallier la pop star

Songwriting

C'est la rançon de son succès hors norme, Taylor Swift a connu son lot de critiques - sur ses innombrables amants, son sens aiguisé du marketing, son incapacité à composer des titres marquants... Sans oublier les insultes proférées par Kanye West qui, dans sa chanson Famous (2016), la traitait de « bitch » (garce). Mais s'il est un point sur lequel il ne faut pas l'attaquer, c'est son talent d'autrice. Damon Albarn, leader de Blur et de Gorillaz, l'a appris à ses dépens après avoir déclaré au Los Angeles Times : « Taylor Swift n'écrit pas ses chansons. » Réponse cinglante de l'artiste sur X : « Tu n'es pas obligé d'aimer mes chansons, mais c'est complètement dégueulasse de discréditer mon écriture, WOW. » Et de conclure : « PS J'ai écrit ce tweet toute seule. » Dans l'heure, le sarcastique Damon Albarn présentait ses plates excuses. L'écriture de Taylor, qui fait l'objet d'un cours à Harvard, c'est son arme secrète. Une plume trempée dès son enfance dans la grande tradition de la musique country : concision poétique, paroles sentimentales et cash, sens de la métaphore, inventivité narrative... « Je ne serais pas là aujourd'hui si je n'écrivais pas mes chansons », affirme Taylor Swift, dont la discographie s'écoute comme le journal intime d'une jeune femme devenue une star planétaire. Si elle a signé une poignée de titres engagés, l'amour reste son obsession. Malgré sa romance avec la star du football américain Travis Kelce, son nouvel album ausculte toutes les étapes du deuil sentimental (déni, colère, dépression, acceptation). Rien de très original, mais son sens de l'autodérision évite le pathos larmoyant, notamment quand elle balance à son ex-chéri l'acteur britannique Joe Alwyn : « Tu n'es pas Dylan Thomas, je ne suis pas Patti Smith [...], nous sommes juste des idiots modernes. »

Swifties


Des « swifties », fans de Taylor Swift, avant son concert à Sydney, en Australie, le 23 février. (© LTD /LISA MAREE WILLIAMS/GETTY IMAGES/AFP)

Cauchemar de Trump

Longtemps, la chanteuse s'est contentée d'être « la petite chérie de l'Amérique ». Souriante et surtout apolitique. La donne change en 2017. Taylor Swift gagne son procès contre un DJ pour agression sexuelle, mais ressort exsangue de cette bataille judiciaire « déshumanisante ». C'est le déclic. Elle mettra désormais sa notoriété au service de ses convictions, malgré les avertissements de sa garde rapprochée. Dans Miss Americana, on voit son père l'interpeller : « Pendant douze ans, on ne s'est pas mêlés de politique et de religion ! » Peu importent les risques pour sa sécurité, sa carrière, elle veut être « du bon côté de l'Histoire ». La presse imaginait Taylor Swift en « crypto-républicaine » ; elle découvre lors des élections sénatoriales de 2018 une pasionaria qui dézingue la candidate républicaine du Tennessee, Marsha Blackburn, un « Trump avec une perruque ». Premier engagement, premier échec, mais elle récidive en 2020 en soutenant publiquement Joe Biden lors de la présidentielle. « L'Amérique a une chance d'entamer le processus de guérison dont elle a si désespérément besoin », déclare la chanteuse, qui accuse Trump d'avoir « alimenté le feu des suprémacistes blancs tout au long de sa présidence ». Quatre ans plus tard, son rôle est scruté avec une question : Taylor Swift peut-elle faire basculer l'élection présidentielle ? L'équipe de Biden en rêve et multiplie les appels du pied pour rallier la pop star. De son côté, la « magasphère » (les sympathisants de Donald Trump ralliés à son slogan « Make America Great Again ») cible « la traîtresse » à coups de deepfakes et de théories conspirationnistes - « c'est un agent du Pentagone, elle pratique la magie noire »... En guise de réponse, Taylor Swift invitait en septembre ses 272 millions d'abonnés Instagram à s'inscrire sur les listes électorales. Dans les vingt-quatre heures, le site Vote.org constatait une augmentation de 1 226 % de sa fréquentation. Le 5 mars, jour du « Super Tuesday », où un grand nombre d'États votent aux primaires, elle s'est fendue d'un nouveau message : « Je voulais vous rappeler de voter pour les personnes qui VOUS représentent le mieux. » Inutile d'en dire plus, les convictions politiques de Taylor Swift sont connues de tous...

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Commentaires 2
à écrit le 07/05/2024 à 8:03
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Une vedette planétaire dont le talent est reconnu !

à écrit le 05/05/2024 à 11:02
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Taylor Swift c'est le pathétisme structurel des médias de masse qui courent derrière une star qui ne leur doit absolument rien, alors ils mendient derrière elle car un buzz à elle toute seule H24. Ah les temps sont durs avec internet les gars hein !?...

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