Bixente Lizarazu : « Vieillir est un mot qui m’est insupportable »

ENTRETIEN - À 54 ans, le champion du monde dit savourer la liberté qui lui a tant manqué pendant vingt ans de football professionnel. Mais au quotidien, il vit encore comme un athlète.
Bixente Lizarazu, mardi à Paris
Bixente Lizarazu, mardi à Paris (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Liza... la lala lala la la! Liza, tu peux nous raconter n'importe quoi, tu as porté la Coupe du monde 1998, la coupe d'Europe en 2000. Bixente, difficile de ne pas le tutoyer, le Basque nous a transmis tellement d'émotions que l'on a juste envie de lui dire « merci champion ». En pleine promo de son livre Vivre de sport - Pour rester en forme, aux éditions Flammarion, il nous reçoit dans la bourrasque du climat parisien, loin de l'air marin des Luziens, les habitants de Saint-Jean-de-Luz. « Ça reste entre nous », et ça aurait dû rester secret : ses potes de l'équipe de France le surnomment « petit bison ». Mais à La Tribune Dimanche, on s'en tiendra à Bixente.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - J'ai des courbatures rien qu'à la lecture de votre livre... Ça vous arrive de buller sur votre canapé ?

BIXENTE LIZARAZU - Seulement si je me suis blessé. Mais attention, je me transforme en ours. Je vous conseille de ne surtout pas me parler. J'étais exactement dans le même état de rage après une défaite au foot. J'ai toujours été mauvais perdant. Déjà petit, au club Mickey, je voulais gagner tous les concours. Sans cet esprit de compétition, on ne devient pas athlète de haut niveau.

Depuis votre retraite le 30 avril 2006, vous avez encore besoin d'être le meilleur ?

Je n'ai plus cette volonté. Quand tu es footballeur professionnel, tu dois être prêt le jour J, peu importe ton état, peu importe ton mental. Tu dois jouer pour gagner. Aujourd'hui, je suis beaucoup moins dans l'exigence de la performance, même si je reste un grand perfectionniste. Dans tous les sports que je pratique, j'ai ce besoin de progresser. Voilà pourquoi je ne touche plus un ballon, parce que quand tu deviens champion du monde,
champion d'Europe, tu as atteint l'Everest. Et puis on peut ressentir une certaine forme d'usure à pratiquer toujours le même sport.

Vieillir vous angoisse ?

Vieillir est un mot qui m'est insupportable. Je préfère dire « le temps qui passe ». J'ai 54 ans et j'ai encore besoin de me sentir athlète. Ce qui m'a aidé à bien vivre cette petite mort, c'est de continuer à faire du sport par rapport à l'aspect hormonal. Ceux qui arrêtent le sport du jour au lendemain risquent de tomber dans la dépression. C'est un choc psychologique colossal.

Vous n'avez pas du tout connu cette déprime ?

Deux jours, seulement. Le dernier match, c'était Bayern Munich contre Dortmund devant 80000 personnes à l'Allianz Arena. Et ce soir-là, j'ai vu défiler ma carrière. D'ailleurs, je n'étais pas vraiment dans le jeu. Ma tête était ailleurs. Mais il a bien fallu que je gère mon poste d'arrière gauche. J'avoue que ce fut un moment extrêmement douloureux. Mais deux jours plus tard, je me suis dit : « Tu es enfin libre. »

Libéré, délivré ?

J'étais enfin prêt à être le capitaine de mon bateau. Prêt à bouffer cette liberté qui m'avait tant manqué pendant vingt ans. Dans un sport collectif, tu n'as pas le contrôle de ta vie. Certains footballeurs aiment ce quotidien cadré, organisé. Mais pour moi, c'était un besoin presque vital de reprendre les commandes de ma vie.

Je ne suis pas bagarreur, mais si on me cherche, je n'ai aucun mal à me défendre

Bixente Lizarazu

Vous n'aviez jamais eu cette liberté depuis vos 13 ans.

Depuis l'âge de 13 ans, je jouais au foot tous les jours. Mais partir à Bordeaux a été la meilleure chose qui me soit arrivée. C'est plutôt ma mère qui a été complètement désemparée quand elle a appris que le recruteur des Girondins de Bordeaux me voulait pour le centre de formation. Elle était triste de voir son fils quitter le cocon familial si jeune. Imaginez la situation : elle qui pleure et moi fou de bonheur.

Vous avez tenu à poursuivre vos études jusqu'au bac. C'est plutôt rare !

J'étais au centre de formation, mais aussi en sport études à Mérignac, ce qui m'a permis de passer le bac. Et puis j'étais plutôt un bon élève. Je n'ai pas voulu quitter l'école, car dans le milieu du foot, il y a très peu d'élus. De ma génération dans le centre de formation, je suis le seul à être devenu joueur professionnel. Je pense que l'on ne se rend pas compte. On parle de la difficulté de faire partie de l'élite dans les grandes écoles, maths sup, Sciences-Po... Mais faire partie de l'élite du football, ceux qui rejoignent l'équipe de France de football un jour, est un véritable exploit. Sur plusieurs milliers de joueurs, il n'en reste que vingt-trois.

Votre taille, votre corpulence ont-elles constitué un handicap ?

Ça a été le cas vers mes 14-15 ans, car j'étais en retard physiquement par rapport aux autres sur mon développement. J'étais le plus petit. Cela dit, ça n'a pas trop changé pendant ma carrière. [Rires.]

Vous l'avez vécu comme un complexe ?

Bien au contraire ! On m'a tellement dit « il est trop petit, pas assez costaud » que, chaque fois que je me retrouvais devant un adversaire plus costaud ou plus grand que moi, je n'avais qu'une seule envie : l'éclater. J'en faisais même ma target ! [Rires.]

Basque à l'esprit bagarreur ?

Je ne suis pas bagarreur, mais si on me cherche, je n'ai aucun mal à me défendre... Les joueurs de foot des grandes équipes touchent beaucoup d'argent. Vous comprenez que ces sommes peuvent choquer ?  C'est l'économie du football. Les footballeurs génèrent aussi beaucoup d'argent. J'ai eu la chance d'avoir été très bien payé aussi, mais l'argent ne peut pas être ton seul moteur. Quand on me demandait, enfant, ce que j'aimerais faire plus tard, je répondais « champion ». Aujourd'hui, le plus beau compliment que l'on puisse me faire, c'est de me dire « ça va champion ? ». C'est ma plus grande satisfaction, et je reste toujours très ému d'avoir pu faire vibrer la France. Il faut toujours avoir la passion du sport. C'est ça le vrai moteur.

Vous en parlez avec vos camarades de 1998 lors de vos dîners annuels ?

Tout ce qui se raconte dans nos dîners reste très intime. Nos liens sont indéfectibles. Nous ne parlons pas nécessairement de foot, même si pour eux, je représente le dingo du sport... [Rires.]

Le monde du football a évolué depuis votre génération. Quel regard portez-vous dessus ?
Oui, le milieu de foot a changé. Il y a davantage d'argent, de médiatisation. Et puis les réseaux sociaux font aussi beaucoup de mal. Je suis bien content de ne pas avoir été confronté à cette violence virtuelle. Ça doit être terrible de recevoir des messages d'insulte de supporters.

Vous voyez Mbappé au Real Madrid ?

C'est son rêve. Pour différentes raisons, il ne peut pas l'annoncer, mais je comprends qu'il ait besoin d'aller voir ailleurs. Kylian est un gamin exceptionnel. Il est tellement fort dans sa tête, malgré toute la pression qu'il subit.

C'est comment, le dimanche de Bixente Lizarazu ?

C'est Téléfoot sur TF1 avec Grégoire Margotton. Et parfois, je rêve d'un poulet-frites en famille, chez moi au Pays basque.

SES COUPS DE CŒUR

Un Basque ne divulgue jamais ses bonnes adresses resto par peur de se sentir « envahi ». En revanche, ses choix musicaux sont assez variés. De Metallica, qu'il écoute en grimpant le sommet de la Rhune à vélo, aux douces mélodies de la chanteuse Santa, chaque musique correspond à son état d'esprit... et surtout à son degré de performance.

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Commentaire 1
à écrit le 15/04/2024 à 11:25
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Et vivre c'est un mot qui vous est insupportable aussi ? Si non c'est incohérent comme affirmation puisque vieillir c'est vivre. Mais enfin quand on est un personnage du spectacle, même méritant ce qui est rare, mais souvent réservés aux sportifs et ...

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