Football : en Allemagne, l'Euro-scepticisme règne

Le pays peine à s’emballer pour le tournoi qu’il organise dans trois mois. La crise de résultats de la Nationalmannschaft, en visite en France samedi pour un match amical, n’y est pas étrangère.
Ilkay Gündogan (au centre) et Antonio Rüdiger (à droite), au Stade olympique de Berlin, après la défaite contre la Turquie (2-3) le 18 novembre.
Ilkay Gündogan (au centre) et Antonio Rüdiger (à droite), au Stade olympique de Berlin, après la défaite contre la Turquie (2-3) le 18 novembre. (Crédits : © LTD / Icon Sport)

Cet après-midi-là, le Bayern reçoit un mal classé en Bundesliga. L'écran affiche 75 000 spectateurs, l'Allianz Arena est pleine à craquer. Presque banal à Munich. Sur la pelouse, les hommes de Thomas Tuchel surclassent Mayence (8-1). Moins banal cette saison. Autour du terrain, les bandeaux publicitaires tentent d'attirer l'attention sur une autre compétition : une chaîne de télévision invite à « regarder tous les matchs de l'Euro 2024 », qui débutera le 14 juin au même endroit contre l'Écosse. Le stade sera de nouveau plein. Mais pour l'instant, l'Euro est très loin dans l'esprit des Allemands.

Intérêt la Nationalmannschaft baisse

Toutes les deux semaines, Holger fait plus de 200 kilomètres pour voir « [son] Bayern ». La Nationalmannschaft, elle, le laisse perplexe. Lors de la Coupe du monde 2006 organisée outre-Rhin, ce quadragénaire bavarois organisait une retransmission des matchs de la sélection dans sa cour pour tout son village. « On était une centaine, se souvient-il. Pour l'Euro 2024, je vais le refaire parce que ça reste un grand événement, mais on ne sera sans doute pas autant. »

L'été dernier, près de 40 % indiquaient que leur intérêt pour l'équipe nationale avait baissé depuis la Coupe du monde 2022, selon une étude de YouGov. Un détachement qui s'explique surtout par les résultats. Les trois dernières compétitions internationales se sont soldées par des fiascos : éliminations au premier tour lors des Coupes du monde 2018 et 2022, et en huitième de finale à l'Euro 2021. « Quand l'équipe allemande jouait bien, elle arrivait facilement à remplir des stades comme ceux de Dortmund ou de Munich, note le sociologue Gunter A. Pilz, spécialisé dans le supporterisme. Aujourd'hui, elle joue régulièrement dans de plus petits stades. » En septembre, la défaite face au Japon (1-4) a ainsi eu lieu à Wolfsburg devant 24 980 spectateurs.

Ça donne l'image d'une équipe inaccessible et élitiste

Le sociologue Gunter A. Pilz

 Sommermärchen

Les horaires tardifs des matchs et le prix des places n'aident pas à attirer le public, selon Gunter A. Pilz, qui déplore également les entraînements à huis clos ou les hôtels choisis en dehors des villes : « Ça donne l'image d'une équipe inaccessible et élitiste. » Ce qui se répercute sur les sponsors, comme l'indique le professeur Andrea Gröppel-Klein, de l'Institut de recherche sur la consommation de l'université de la Sarre : « Ni l'équipe ni l'entraîneur ne font vraiment rêver les Allemands, c'est donc moins intéressant pour les marques de s'en emparer. Si l'image était meilleure, elles profiteraient certainement davantage d'un tel événement. »

La distance entre la société allemande et son équipe limite l'attente autour de l'Euro : en décembre, seuls 5 % des Allemands disaient croire en une ferveur aussi forte que celle qu'avait connue le pays lors du Mondial 2006. Ce tournoi, qui avait vu l'Allemagne échouer aux portes de la finale, est resté dans l'histoire sous le nom de Sommermärchen, un conte de fées qui avait fait vibrer tout le pays. « Pour la première fois, les Allemands avaient pu exprimer un patriotisme naturel », resitue l'historien Wolfram Pyta, spécialiste du sport à l'université de Stuttgart. Jusqu'à la réunification, leur relation à la notion de nation était compliquée. « C'était libérateur, reprend le chercheur. Beaucoup disaient : "Enfin on peut porter les couleurs et sortir les drapeaux sans se faire traiter de nationaliste." »

Cette ferveur bon enfant semble bien loin, y compris dans la société. Mais elle ne pourrait revenir qu'avec une équipe performante sur le terrain. Or l'Allemagne, quatre titres de champion du monde et trois d'Europe, fait moins peur. Depuis sa sortie de route au Qatar, elle n'a gagné que trois de ses 11 matchs, pointant aujourd'hui à la 16e place au classement Fifa, entre le Mexique et le Sénégal. Comment expliquer un tel déclassement ?

L'ancien international Holger Badstuber, 31 sélections entre 2010 et 2015, une période faste pour le football allemand, regrette que des valeurs allemandes comme la rigueur et le travail soient désormais « passées au second plan ». « À mon époque, il y avait un noyau de 14 ou 15 joueurs qui ne changeait pas, rembobine-t-il. Nous avons vécu des expériences ensemble, sur le terrain et en dehors du terrain. Ça crée naturellement des liens. On formait une vraie équipe, on se serrait les coudes. On ne voulait pas que la faute retombe sur le coéquipier. C'est ce que j'ai vécu, notamment avec Jérôme Boateng. »

L'ancien défenseur du Bayern Munich insiste aussi sur la stabilité à la tête de l'équipe qu'il y avait alors puisque lui n'a connu que Joachim Löw comme sélectionneur. Mais l'homme qui a dirigé la Nationalmannschaft à 197 reprises en quinze ans (2006-2021), un sacre mondial à la clé (2014), a donc terminé son mandat sur deux gros échecs (Mondial 2018 et Euro 2021). Depuis, le poste a été occupé par Hansi Flick, vainqueur de la Ligue des champions avec le Bayern (2020), et Rudi Völler pour un intérim. Il l'est désormais par Julian Nagelsmann, 36 ans et déjà une longue carrière sur le banc. Une inconstance qui traduit « un problème d'entraîneur », selon Oliver Fritsch, qui suit l'équipe nationale pour le Zeit.

Seuls 5 % des Allemands disent croire en une ferveur aussi forte qu'au Mondial 2006

Bayern Block

Flick comme Nagelsmann ont eu toutes les peines du monde à définir un onze type. Le premier a aligné près de 20 défenses différentes en 25 matchs. Le second, en poste depuis septembre, en a utilisé quatre en autant de rencontres. Le paradoxe fait que l'Allemagne ne manque pas de joueurs de très haut niveau, qu'il s'agisse d'anciens (Manuel Neuer, Toni Kroos, Ilkay Gündogan) ou de promesses, comme Jamal Musiala, sans compter la génération Joshua Kimmich - par ailleurs, cela pousse au loin, à l'image des U17 champions du monde l'an passé. Mais, depuis le départ de leaders comme Bastian Schweinsteiger et Philipp Lahm, les différents sélectionneurs n'ont pas su mettre en place une véritable hiérarchie ni imposer un style de jeu.

Autre élément marquant : le Bayern Block, cette colonne vertébrale munichoise qui a très souvent fait la force de l'équipe nationale, est moins dominant aujourd'hui. Seuls trois ou quatre Bavarois peuvent prétendre à une place de titulaire. Lors de la finale de la Coupe du monde 2014 contre l'Argentine (1-0 a.p.), ils représentaient plus de la moitié du onze de départ. C'était il y a dix ans, une éternité à l'échelle du football, mais surtout pour cette équipe d'Allemagne qui se déplace samedi pour un match amical à Lyon afin de défier les Bleus et de créer, enfin, un élan avant son Euro.

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