Ski alpin : anatomie des chutes

La saison, qui se clôture aujourd’hui à Saalbach, a été marquée par une vague inédite de blessures. Pour les acteurs, il est urgent de comprendre et d’agir.
Alexis Pinturault, le 12 janvier à Wengen (Suisse).
Alexis Pinturault, le 12 janvier à Wengen (Suisse). (Crédits : © LTD / REUTERS / Leonhard Foeger)

Les cinq heures de réunion prévues à l'agenda, le 8 mai à Portoroz (Slovénie), ne seront pas de trop. Au cœur du congrès de la Fédération internationale de ski (FIS), les membres de la commission médicale auront des tas de trucs à se raconter. C'est sur les carnets de santé que s'est écrite la grande histoire de la saison : une trentaine de blessures sérieuses relevées au fil des étapes de Coupe du monde. Dont 23 menant à une fin d'hiver en béquilles ou chaussons d'hôpital. Si le genou, surexposé, a absorbé une grosse moitié des cas, les avaries ont été localisées du pied à la tête.

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« Je n'ai pas souvenir d'une saison aussi fournie en matière de traumatologie », pose le docteur Stéphane Bulle, qui sera du débrief en tant que référent médical de l'équipe de France. Il rappelle toutefois : « En 2013-2014, quand le rayon de courbure des skis avait été allongé, nous, Français, avions tiré la sonnette d'alarme devant les dégâts observés. On s'était fait un peu éconduire, avant que les autres nations ne prennent le relais la saison suivante, poussant la FIS à faire machine arrière. »

Les cadors sur le bas-côté

La séquence actuelle a ceci de singulier qu'elle allie nombre et lumière : une flopée de cadors, outillés en globes de cristal, s'est retrouvée sur le bas-côté. De l'Autrichien Marco Schwarz au Norvégien Aleksander Aamodt Kilde en passant par le Français Alexis Pinturault chez les hommes. La Slovaque Petra Vlhová, l'Italienne Sofia Goggia, la Suissesse Corinne Suter ou encore l'Américaine Mikaela Shiffrin côté féminin. La faute à pas de chance ? « Ce serait trop court comme explicationentonne Pinturault, reparti du Super-G de Wengen en hélicoptère avec une rupture des ligaments croisés et une déchirure de 12 centimètres au mollet. Pour moi, la blessure n'arrive jamais vraiment par hasard. À 80-85%, il y a une raison derrière. Les facteurs sont multiples. Certains appartiennent à l'athlète, mais on peut se poser des questions devant l'hécatombe. »

Aleksander Aamodt Kilde


Aleksander Aamodt Kilde, le 13 janvier à Wengen (Suisse). (© LTD / ALESSANDRO TROVATI/AP/SIPA)

La première tient au calendrier. Ou plutôt aux enchaînements de courses (44, réparties sur quatre disciplines). Le transfert des rendez-vous raturés en début de saison, faute de neige ou en raison des conditions climatiques, n'a rien arrangé. Certains coureurs, entre Val Gardena et Alta Badia, ont ainsi pris cinq départs en cinq jours. Wengen, théâtre de la plus longue descente ? Trois épreuves de vitesse à la suite. Le troisième jour, Kilde a fini inconscient dans les filets, épaule luxée et, surtout, mollet éventré par la carre de son ski. La photo témoin postée par le Norvégien fut une douleur pour les yeux.

« En janvier, la densité du calendrier devient énorme et la gestion du temps un problèmesoupèse le Dr Bulle. Si vous avez "perfé" le matin, vous enchaînez avec le protocole, le podium, les médias. Le soir, tirage au sort de la course du lendemain. Bref, vous n'êtes pas dans la récupération et la fatigue s'accumule. »

Résultat : le risque de partir pleine balle à la faute augmente. Que faire ? Des impasses, a proposé Michel Vion, secrétaire général de la FIS, prenant appui sur les joueurs de tennis. Retour laser du Suisse Marco Odermatt, désormais trois gros globes : « Seuls des clowns peuvent parler ainsi ! »

Priorité à l'espacement du calendrier

 Sur les pistes, à la différence des courts, toutes les étapes se valent d'un point de vue comptable. Dur d'en snober si on veut son reflet dans le cristal. « Une solution serait d'établir le classement selon les meilleurs résultats de chacun », suggère David Chastan, directeur du ski alpin français. En attendant, la priorité des coureurs réside dans l'espacement du calendrier, avec des semaines de repos ou de réserve. Alexis Pinturault propose même d'étirer la saison « jusqu'en juin, afin de passer de quatre mois et demi de compétition à sept ou huit ».

Quant à la sécurisation des pistes, le flot de reports et d'annulations laisse penser qu'elle prévaut. « Même si parfois, pour des raisons médiatiques, on insiste un peu, en étant limite côté visibilité ou vent dans le dos », tempère Chastan. Avec le dérèglement climatique, les revêtements peuvent aussi se transformer fissa. « On passe de -10 degrés à +10 le lendemain, ça devient plus difficile de s'adapter, atteste Pinturault. Mais on a assez de repères : on sort le set-up [la configuration] neige agressive, puis le set-up neige salée si nécessaire. »

Petra Vlhová


Petra Vlhová à Jasná (Slovaquie), le 20 janvier. (© LTD / GIOVANNI MARIA PIZZATO/AP/SIPA)

Le lauréat du général 2021 préfère pointer la préparation des bosses dans les épreuves de vitesse, qui agrègent le gros des pépins : « Je suis étonné de voir à quel point les sauts, au même endroit, peuvent différer d'une année à l'autre. Parfois ça décolle de folie, parfois non. Et si le saut va vers le haut plutôt que dans la pente, c'est dangereux. Quel que soit l'enneigement, on a pourtant la technique, ratrak [dameuse] et système GPS, pour reproduire ces sauts. »

Port obligatoire des airbags

Avant même les débats de Portoroz, la FIS a livré une première conclusion : le port obligatoire des airbags en vitesse dès l'hiver prochain. Placés sous la combinaison, ils permettent d'atténuer les chutes en se déclenchant, même s'ils ne peuvent pas grand-chose pour les genoux qui partent en vrille. À Saalbach (Autriche) cette semaine, il a aussi été question des combinaisons anticoupure. « Les trois quarts des descendeurs n'en portent pas car on ignore si ça fonctionne réellement, alors qu'on sait que ça fait perdre une demi-seconde sur une descente de deux minutes, émet Pinturault. Mais la FIS pourrait les imposer, avec des contrôles comme pour le reste. Voire aller plus loin, avec un tissu identique pour tous. » Égalité et sécurité.

Sarrazin peut rêver d'un scénario de folie

Ça paraît dingue mais la dernière fois que Cyprien Sarrazin a pris le départ d'une descente officielle, c'était il y a un peu plus de deux mois à Kitzbühel (Autriche) pour son doublé historique. On attendait alors un duel de haut vol avec Marco Odermatt pour le globe de cristal de la spécialité. Depuis, l'étape de Chamonix a été annulée en raison des températures trop élevées et la nouvelle coqueluche du ski français s'est blessée à l'entraînement à Kvitfjell (Norvège). Là où son rival suisse n'a pas fait mieux que 7e, laissant finalement un peu de place au suspense.

À 11h30, horaire prévu de la dernière course de la saison à Saalbach (Autriche), il y aura donc 42 points entre les deux hommes de la saison 2023-2024. Il faudrait un joli concours de circonstances pour que Sarrazin empêche Odermatt de s'offrir un quatrième globe (après ceux en super-G, géant et général). Mais il faut s'attendre à tout avec cet ovni, passé de l'ombre à la lumière à 29 ans avec ses trois victoires et deux podiums. Parmi les scénarios triomphaux, le plus simple est celui-ci : il gagne et le Suisse ne fait pas mieux que 4e.

Mission impossible ? Demandez à Cornelia Hütter, qui s'est adjugé le globe de la descente hier à Saalbach, privant Lara Gut-Behrami d'un quadruplé. L'Autrichienne avait 72 points de retard avant de s'élancer. Elle les a rattrapés en s'imposant tandis que la Suissesse s'égarait (17e) au bout d'une course tronquée par le vent dans un paysage sans neige. Rebelote chez les hommes ? Vendredi pour son retour à la compétition, Sarrazin (4e) a devancé Odermatt (5e) en Super-G. Deux jours plus tôt, il avait terminé 2de la descente d'entraînement, le Suisse 13e... (Solen Cherrier)

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Commentaire 1
à écrit le 24/03/2024 à 10:37
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Moins de neige plus dure et plus glacée, forcément...

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