Un soir de semaine, ce commercial en produits parapharmaceutiques dîne seul à sa table après sa tournée de la journée. Autour de lui, les murs et le plafond sont couverts de citations et de dessins griffonnés par Marie Nimier, Douglas Kennedy, Georges Wolinski... Ruddy, 44 ans, est plongé dans L'Enragé de Sorj Chalandon. « Alors, votre impression ? » lui lance dans un sourire Dominique, la patronne, en lui servant un œuf à la neige aux pralines. Ce représentant vient dîner une fois par mois à Brive-la-Gaillarde, sous-préfecture de la Corrèze. « L'endroit m'a donné envie de lire. J'ai demandé conseil à la patronne, qui m'a recommandé Les Choses humaines de Karine Tuil, très prenant. Depuis, je suis ses prescriptions et elle m'appelle "cher monsieur". C'est notre rituel. »

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Quand Ruddy a poussé la porte de Chez Francis il y a deux ans, il ignorait qu'il s'agissait de la cantine de la Foire du livre, dont la 41e édition a lieu le week-end prochain. « Ce chef est unique : Francis prépare des plats merveilleux tout en dévorant les ouvrages afin d'échanger avec les romanciers lorsqu'ils s'assiéront à sa table », confirme l'éditrice Héloïse d'Ormesson. Comme tous les automnes depuis 1999, la fille de Jean d'Ormesson fera partie des 400 passagers du « train du livre », départ ce vendredi en gare d'Austerlitz, à Paris. « Nous avons plaisir à nous retrouver après la tension qui précède la remise des prix littéraires de ce début de semaine prochaine. »

Ce convoi spécialement affrété fut un temps ironiquement appelé le « train du cholestérol », en référence aux ripailles de foie gras et de vin de noix dont étaient coutumiers les voyageurs. Mais les auteurs et les éditeurs seraient désormais plus sages. Débarqués à Brive, ils arpentent avec plaisir ses rues médiévales bordées de maisons en pierre blonde aux toits d'ardoise. Les échoppes demeurent nombreuses dans ce centre-ville animé, carrefour millénaire de routes commerciales. Même les rugbymen du Club athlétique Brive Corrèze Limousin (CAB) ont leur boutique. Peut-être certains y achèteront-ils un maillot pour le match du soir : l'équipe locale jouera à domicile contre, hasard du calendrier, Angoulême, célèbre aussi pour son festival, de bande dessinée celui-là...

Une terre riche d'histoires

La Foire du livre prend ses quartiers sous la halle Georges-Brassens, en hommage à celui qui mentionna la cité dans sa chanson Hécatombe pour une rime. Le phare qui la surplombe, si improbable à 200 kilomètres des côtes, aurait peut-être inspiré l'artiste. La forme de ce château d'eau construit en 1834 fait référence à la mer qui recouvrait la région au Jurassique. Sur la place, une statue représente le maréchal Brune, né à Brive. La vie de ce fidèle de Napoléon Ier est relatée au musée Labenche, fraîchement rénové dans un hôtel particulier de la Renaissance. Un nouvel espace y est consacré à six œuvres spoliées par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, dans l'espoir de retrouver leurs propriétaires.

« Brive fut la première ville à s'être libérée par ses propres moyens, le 15 août 1944, rappelle François David, commissaire général de la Foire du livre et ancien professeur d'histoire. Quand ça grêle, on ne s'échappe pas. » De quoi illustrer ce caractère « gaillard » symbolisé par une fière moustache sur les dépliants touristiques. Les brochures recommandent d'explorer également les environs de Brive, riches en histoires à broder. Ainsi, Coco Chanel aurait passé son enfance dans l'orphelinat de l'abbaye cistercienne d'Aubazine, dont les vitraux lui inspirèrent la forme de son double C. D'autres vitraux font l'objet d'une balade, pourquoi pas à vélo (à louer à l'office de tourisme) : ceux de Chagall, dans la chapelle du Saillant. Ce village est bordé par les Coteaux de la Vézère, vignoble cité dans une scène du film Bernadette, où l'ancienne conseillère générale de la Corrèze est conviée à une dégustation. D'un vin, Les Périères, aussi servi Chez Francis...