Cinéma : « Je suis plus une instinctive qu’une intellectuelle » (Cécile De France)

ENTRETIEN - L’actrice, qui incarne une journaliste politique dans le nouveau film d’Albert Dupontel, « Second Tour », se confie au naturel.
Cécile de France, mardi à Paris
Cécile de France, mardi à Paris (Crédits : Cyrille George Jerusalmi pour La Tribune du Dimanche)

Cécile de France ne joue pas l'actrice. Elle fait partie de ces femmes que l'on aime parce qu'elles nous parlent. Pas de chichis ou de caprices de diva, elle est à l'aise partout. Aux côtés de Clint Eastwood, des frères Dardenne, de Wes Anderson ou de Roschdy Zem. Mais aussi dans un troquet du 15e arrondissement de Paris où nous la rencontrons autour d'un thé vert. Il est encore trop tôt pour commander un chicon gratin, mais elle espère bien se rattraper tout au long de son séjour en France. Elle est désarmante de naturel, et depuis qu'elle a joué Isabelle dans L'Auberge espagnole de Cédric Klapisch, c'est un peu comme si elle faisait partie de la famille...

Après avoir mené notre petite enquête auprès des personnes qui ont travaillé avec vous, elles sont unanimes : « Cécile est formidable. »

Ça me conforte dans l'idée que l'on a encore envie de travailler avec moi. Grâce à eux, je peux continuer à vivre de ma passion.

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C'est la raison pour laquelle Albert Dupontel vous a proposé le rôle principal de Second Tour ?

Après avoir joué ensemble dans Fauteuils d'orchestre, nous avions très envie de nous retrouver. Il m'impressionne par son intelligence hors norme. Il a cette générosité de ne pas vous faire sentir que vous êtes moins intelligent que lui. Je suis tellement touchée qu'il ait pensé à moi pour incarner Mlle Pove, cette journaliste politique ultra-sérieuse... Et pourtant, ce n'était pas gagné. Il trouvait que ma candeur desservait parfois le côté cérébral de mon personnage.

Ça ressemble un peu à un complexe d'infériorité...

Je suis plus une instinctive qu'une intellectuelle. J'aime être impressionnée par des gens brillants car je me nourris d'eux. En revanche, j'ai aussi besoin de me connecter à des personnalités comme la mienne. Les complexes sont davantage apparus quand je suis arrivée à Paris. Les blagues de Coluche ou de Charlie Hebdo sur les Belges n'ont pas toujours été faciles à vivre.

Vous en avez souffert ?

Souffert est un grand mot car nous les Belges avons beaucoup d'autodérision. Mais on a pu se sentir un peu comme le petit bigleux de la famille. Celui dont on se moque sans que personne n'ose dire quoi que ce soit... Aujourd'hui, ce n'est plus un complexe d'infériorité. On reçoit beaucoup de marques d'amour et de confiance de la part des Français.

Vous avez toujours été une grande rêveuse. Vous vous sentiez en décalage par rapport aux autres enfants ?

J'étais souvent dans ma bulle mais j'ai eu la chance d'avoir des professeurs qui m'ont aidée à développer ma fibre artistique. Ils ne m'ont jamais montré que j'avais moins de valeur qu'un adulte, et grâce à eux j'ai pu trouver ma place sans jamais douter de moi.

Quel regard portiez-vous sur le métier d'actrice depuis votre chambre d'enfant ?

Certaines m'impressionnaient mais je trouvais qu'elles incarnaient souvent les mêmes rôles. Comme si elles s'enfermaient dans cette image glamour sans pouvoir s'en défaire. Du haut de mes 6 ans, j'avais déjà envie de rester libre pour pouvoir incarner plusieurs personnages.

« Selon moi, une actrice n'a pas de date limite de péremption »

Cécile de France

Vous refusez de toucher à votre visage pour paraître plus jeune. Pensez-vous avoir raté des rôles ?

Peu m'importe. Je crois que les réalisateurs aiment que les actrices aient le courage d'assumer leur âge. Une femme de 50 ans a la possibilité de raconter plein de choses au cinéma. Selon moi, une actrice n'a pas de date limite de péremption.

Vous vous imaginez tourner encore à 80 ans ?

Bien sûr ! Je n'envisage pas de prendre ma retraite. Il faut des actrices pour incarner ces femmes, et Françoise Fabian en est la preuve.

Gérard Depardieu a été votre partenaire de jeu dans trois films. Que pensez-vous de la polémique actuelle qui le met en accusation ?

C'est très difficile de donner mon avis car c'est un sujet très délicat. J'ai toujours encouragé la libération de la parole et c'est formidable que la société puisse enfin prendre en compte les témoignages des victimes. De mon côté, j'ai vécu trois tournages exceptionnels avec Gérard. C'était très intense artistiquement et sans aucun rapport de séduction. Il m'a juste fait sentir que j'étais son égale.

Vos parents tenaient un bar à Namur, le QG des anarchistes... C'est dans ce milieu que vous avez évolué ?

Nous habitions au-dessus du café et j'ai baigné dans ce bouillon d'idéalisme, d'esprits libertaires. Ils étaient tous très jeunes mais rêvaient déjà d'un autre monde. C'étaient de futurs cinéastes, dessinateurs. C'est ici que j'ai rencontré Benoît Poelvoorde. Ils fumaient tous des clopes et buvaient beaucoup de bière. [Rires.]

Vous avez donc grandi dans cet esprit baba cool ou il est interdit d'interdire...

Cette éducation m'a permis d'ouvrir les yeux. À la maison, il y avait le poster d'un homme avec un masque à gaz devant une usine sur lequel était écrit « Perdre sa vie à la gagner ». Ça m'a tellement marquée que je me suis juré de faire un métier qui me remplirait de bonheur.

Quel regard portiez-vous sur vos parents ?

Ils étaient aimants, mais je reconnais que parfois j'avais honte quand mon père m'accompagnait à l'école en tongs, avec sa longue barbe, ses cheveux longs et son jean. Ce n'était pas trop le style des autres parents !

C'est quoi, cette histoire de road-trip en camionnette ?

Quand j'avais 8 ans, nous sommes partis faire le tour de la Crète. Nous dormions dans une camionnette. C'était fantastique. J'ai loupé l'école pendant six mois, et ce n'était pas du tout un problème pour mes parents !

À 18 ans, vous posez vos valises à Paris pour devenir fille au pair dans une famille du 16 e arrondissement. Un choc des cultures, non ?

J'ai littéralement débarqué sur une autre planète. Tel un poisson hors de l'eau. Tous leurs codes étaient différents de ceux que j'avais reçus de mes parents. Mais ce décalage a permis de tester ma malléabilité.

Quel est le plus gros malentendu sur vous ?

On croit que j'ai inventé le « de » à mon nom de famille. Je m'appelle bien Cécile de France avec un « de » comme dans « pomme de terre ». Les gens fantasment sur mon nom et ça m'échappe totalement. En Belgique, nous n'avons pas du tout la même histoire avec la royauté.

C'est comment, le dimanche de Cécile de France ?

C'est une journée simple. Un déjeuner à la bonne franquette en famille, avec des copains. C'est passer du temps en bottes dans mon jardin. J'ai la chance de ne jamais m'ennuyer car je m'entends bien avec moi-même.

SES COUPS DE CŒUR

Jamais sans My Absolute Darling de Gabriel Tallent, livre qui la suit partout, tout le temps. Attention, Cécile est très exigeante en matière de lecture. « Quand un livre ne me plaît pas au bout des 20 premières pages, j'arrête. » Elle s'évade avec Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, se divertit avec La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole ou Le Démon de Hubert Selby Jr. En matière de films, elle aime le cinéma anglais « social, bien trash » d'Alan Clarke et voue une passion à Tim Roth et à Gary Oldman.

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