Société du défouloir, nécessité de l'écoute, affaire Guillaume Meurice : les vérités de Sybile Veil, la patronne de Radio France

La PDG de Radio France publie un essai, plaidoyer pour la modération. Et revient sur la controverse suscitée par l’humoriste Guillaume Meurice.
Sibyle Veil dans son bureau, à Radio France, en décembre 2019.
Sibyle Veil dans son bureau, à Radio France, en décembre 2019. (Crédits : © CYRIL ENTZMANN/DIVERGENCE)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Dans votre essai, vous expliquez vouloir en finir avec la « société du défouloir ». Qu'est-ce que cela signifie ?

SIBYLE VEIL - Nous vivons une époque paradoxale. On n'a jamais eu autant d'outils de communication ; pourtant, on ne s'est jamais aussi peu écoutés. En famille, au bureau, dans la société, les écrans s'interposent entre nous, et les postures aussi. La « société du défouloir », ce sont des gens qui s'invectivent pour l'important mais aussi le dérisoire, qui jugent avant d'avoir compris, c'est celui qui parle le plus fort et le plus radicalement qui est entendu. De manière injuste - et dangereuse -, l'écoute et la modération sont dévalorisées. La conviction que je porte, c'est qu'elles ont pourtant un grand pouvoir et qu'il faudrait leur faire plus de place dans nos vies.

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La thématique des réseaux sociaux est au cœur de votre ouvrage...

Parce qu'il faut connaître leur fonctionnement pour comprendre comment on en est arrivés là. Au départ, ils portaient une promesse libératrice. C'est progressivement que l'on a pris conscience de leur mécanique insidieuse. Les algorithmes privilégient le buzz ; leur carburant, c'est l'indignation et la colère. Tous les excès y sont permis. Est-on plus heureux pour autant ? Le problème, c'est l'effet de contagion sur le reste : les médias, la rue et une société de plus en plus fracturée, polarisée et violente. Je vous avoue qu'on s'est interrogés à Radio France sur le fait de rester ou non sur X. Mais en tant que service public, ce qui prime c'est d'être là où les gens sont exposés à de la désinformation pour y apporter un contrepoids. Ça n'en est pas moins une question démocratique majeure.

Vous prônez l'écoute comme remède. Quelles sont ses principales vertus ?

L'écoute est notre premier rapport au monde. In utero, puis pour l'apprentissage du langage tout petit. Aujourd'hui, quand vous discutez avec des enseignants, ils vous disent que les enfants ont de plus en plus de mal à écouter les consignes jusqu'au bout. Il faut développer leur capacité d'attention, mère de tous les apprentissages. Les études scientifiques montrent que l'écoute stimule des facultés cognitives comme l'abstraction, l'imaginaire, la capacité à réfléchir de manière profonde. L'écoute est une solution universelle : elle est en chacun de nous, il suffit de la réactiver pour reprendre en main notre destin individuel et collectif.

France Inter est la première radio de France. C'est une contradiction de dire qu'elle est polarisée !

Sibyle Veil

Sur l'antenne de France Inter, Guillaume Meurice a comparé dans une chronique Benyamin Netanyahou à un « nazi sans prépuce ». Est-on ici dans la société du défouloir ou dans celle de l'écoute ?

Je ne vais pas revenir sur ces propos, que j'ai sanctionnés. Mais c'est un parfait exemple de ce que je décris, à savoir une spirale de la polémique qui écrase tout. Depuis dix jours, on ne parle que de ça, au détriment des 99,99 % d'autres choses que l'on fait sur nos antennes, notamment la couverture fine du conflit au Proche-Orient.

Vous lui avez notifié un avertissement...

Nous sommes un service public. Nous avons des responsabilités envers les Français, notamment celle de les écouter quand ils nous disent massivement quelque chose - nous avons reçu des centaines de courriers -, et celle de savoir reconnaître quand il y a eu un dérapage. Ce n'est pas une restriction à la liberté, c'est la manière de la protéger dans la durée.

Avez-vous songé à le licencier ?

Je n'ai pas voulu envoyer un signal que certains se seraient empressés d'instrumentaliser : la valeur de la liberté d'expression, à laquelle nous sommes très attachés, est bien plus importante qu'une phrase problématique d'un humoriste, qui fort heureusement est une exception.

En 2018, vous aviez signé dans Le Parisien un manifeste contre le nouvel antisémitisme. Avez-vous été choquée à titre personnel par sa chronique ?

Je ne prends pas mes décisions au regard de mes propres émotions.

Cette polémique a créé beaucoup de remous en interne, avec les pro- et les anti-Meurice. Y a-t-il deux Radio France irréconciliables ?

En réalité, cela ne crée pas autant de remous que vous le dites. Là aussi, c'est un effet de loupe. Cette semaine a été relativement calme, dans les faits. J'espère qu'on va maintenant tourner la page, car cela nous détourne des vrais sujets.

Dans votre livre, vous pointez du doigt la montée en puissance des « médias d'opinion ». Or, c'est précisément ce qui est reproché à France Inter par ses détracteurs !

France Inter est la première radio de France, avec 7 millions d'auditeurs, et rassemble toujours plus de Français. C'est une contradiction dans les termes de dire qu'elle est polarisée ! Cette critique est un écran de fumée utilisé par ceux qui ont choisi la stratégie de la polarisation. Cette technique d'illusionniste sert à fidéliser le public en désignant un ennemi commun. C'est vieux comme le monde. Ma lecture est que les médias ne se départagent pas entre privé et public, mais se structurent de plus en plus entre ceux qui cherchent à rassembler et ceux qui ont consenti à cliver. Ces derniers ont désormais un modèle économique construit autour du défouloir.

Ces médias « clivants » que vous évoquez sont-ils aujourd'hui majoritaires ?

Non, heureusement ! Mais c'est compliqué pour les médias « traditionnels » de résister, car leur modèle économique est fragilisé. Au moment de l'affaire Dreyfus, la presse d'opinion était majoritaire et l'opinion très clivée. Après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une prise de conscience de la nécessité d'un espace pour créer du commun, partager les faits et se parler. C'est à ce moment-là que sont nés les médias de service public.

Vous écrivez que plusieurs moments vous ont inspiré ce plaidoyer pour l'écoute. Et notamment une séquence de Touche pas à mon poste diffusée en janvier dernier...

Il ne vous échappera pas que l'on partage assez peu de choses sur le fond. Mais plutôt qu'un débat d'arguments, je me suis retrouvée avec ma photo et ma rémunération affichées, comme dans les mises à prix des westerns. Quand l'animateur [Cyril Hanouna] désigne une personne en disant « Je la réafficherai à chaque fois que Radio France parlera de moi », on est au cœur de la société du défouloir, où l'on délégitime et intimide l'autre. Aucun dialogue n'est plus possible.

Êtes-vous optimiste sur le fait que l'écoute finira par l'emporter ?

Oui ! C'est la raison pour laquelle je parle autant des enfants. Pour eux, il n'est pas trop tard. Mais la clé, c'est la prise de conscience des adultes et de la société en général. Je finis le livre en lançant un appel : faire du temps libre une grande cause nationale. On ne se doute pas du creuset d'inégalités qu'est le temps libre. Dans beaucoup de domaines, les loisirs de qualité sont devenus un luxe que tout le monde ne peut pas se payer. Il faut une réflexion de fond sur ces moments. En attendant, Radio France a pris ses responsabilités en créant de toutes pièces une offre de podcasts pour enfants gratuite et accessible à tous. Son énorme succès [près de 100 millions d'écoutes en quatre ans] est un signe : il y a un public qui n'attend que de pouvoir étendre les temps d'écoute dans sa vie.

LE POUVOIR DU SON

Le tout premier essai de Sibyle Veil, Au commencement était l'écoute, émaillé d'anecdotes personnelles et professionnelles, est une ode à la radio. « Elle m'a toujours accompagnée, assure-t-elle. Quand je suis arrivée à Paris à 17 ans, le poste de radio occupait une place centrale dans ma petite chambre d'étudiante. Aujourd'hui, je suis fière d'être à la tête d'un groupe public dont les stations cultivent le sens de l'écoute. » La dirigeante insiste également sur le pouvoir de la voix, qui a selon elle « quelque chose de puissant ». « Je suis marquée par le souvenir des voix de mes proches, par le bruit du balancier de l'horloge alsacienne dans ma maison d'enfance ou encore par les musiques que l'on écoutait le dimanche matin avec mes parents. » À la lecture de l'ouvrage, on mesure d'ailleurs toute la place que la musique occupe dans la vie de Sibyle Veil. « Dans un film, par exemple, elle apporte un supplément d'émotion. J'avais envie de citer dans cet essai des musiques qui ont pour moi des vertus apaisantes. » R.J..

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Commentaires 7
à écrit le 14/11/2023 à 16:07
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on marche sur la tete, tout le monde comprend ce qu'il se passe!!!!!!! tout ce bon peuple de gauche qui detient la morale hypertolerante depuis 50 ans et traite de fachos tous ceux qui ne pensent pas bien, et n'hesitent pas a sindigner en s'offensant...

à écrit le 12/11/2023 à 15:11
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Elle est gentille, la madame, mais elle ferait bien de balayer devant sa porte. Si elle ne laissait pas France Inter se vautrer dans la médiocrité bien grasse de certains animateurs en poste depuis des années, elle n'aurait pas besoin de stigmatiser ...

le 13/11/2023 à 22:53
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Vous devriez étendre vos remarques à l'espèce de caste qui nous gouverne, et vous serez très proche de la réalité...

à écrit le 12/11/2023 à 10:42
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RADIO FRANCE devrait s'appeler RADIO DE LA GAUCHE, comment peut on admettre que les déclarations d'un tel personnage restent impunies, sauf à petit rappel à l'ordre, un mec copain avec DIEDONNE mais des amitiés bien sûr pas condamnables en haut lieu....

le 12/11/2023 à 11:45
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Un peu confus votre propos où il est question de gauche et de Dieudonné pas vraiment de gauche ???

le 12/11/2023 à 12:19
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Encore un gros commentaire qui tâche, ça sert à quoi les gars ? A prouver sa partialité je suppose. -_-

à écrit le 12/11/2023 à 8:50
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Cette pensée unique médiatique devient de plus en plus étroite et imposée à l'ensemble des personnages du spectacle, ce que fait Meurice est bon pour tous vos bons gros postes bien pépères à tous mais vous êtes incapables de le voir.

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