Patrimoine : ma ruine, mon trésor

Ils auraient pu racheter un château mais ont préféré investir dans des usines désaffectées ou de vieilles bâtisses…
Usine Électrique de Saint-Gaultier
Usine Électrique de Saint-Gaultier (Crédits : Vincent Ducos)

Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines », écrivait Chateaubriand. Tous ? Certains plus que d'autres. Vincent Cunillère, 58 ans, est de ceux-là. Ce photographe a racheté, il y a deux ans, non pas une maison en ruine en Aveyron mais six, sur un coup de cœur.

« En scrutant les annonces immobilières, je suis tombé sur un bâtiment médiéval à vendre dans le cœur de Marcillac. À la visite, j'ai découvert une petite pièce baignée d'une lumière indirecte qui m'a fait penser à un tableau de Rembrandt... Je ne pouvais pas laisser passer l'occasion. »

Las, le toit et le plancher des trois autres maisons qui l'entouraient menaçaient de s'écrouler. Pour éviter l'effet château de cartes, Vincent Cunillère a donc racheté... l'îlot complet, soit six bâtisses. Longtemps, explique-t-il, les édifices prestigieux - comme le château de Versailles ou le Louvre - l'ont fasciné, mais aujourd'hui, avec l'âge, il a « appris à aller à l'essentiel, et à voir le beau dans la pauvreté de moyens ». Heureusement, son projet fait partie de la liste des 100 monuments retenus par la Fondation du patrimoine et une partie de ses travaux - pharaoniques - va être financée par le loto du patrimoine (lire l'interview ci-dessous).

Le goût des causes perdues

Un énorme coup de pouce dont va profiter également Marcel Burel, propriétaire d'un moulin et d'une ancienne usine hydroélectrique à Saint-Gaultier (Indre), sur la Creuse. Sa motivation pour se lancer dans pareille galère : « Je voulais mettre à profit les compétences techniques de mon métier d'ingénieur qui ne m'ont pas servi au cours de ma carrière de manager. » Mais alors pourquoi pas un château ? La réponse fuse : « Ah non ! Moi, j'aime les causes perdues et je n'ai pas le goût de la frime. »

Dans un premier temps, il entend rénover le bâti puis remettre en service la production d'électricité de l'usine, « comme au siècle dernier, avec les mêmes débits ». Ce féru d'histoire qui compte bien ouvrir un petit musée ne sait pas combien il va toucher de la Mission patrimoine.

« Mais j'ai arrêté de compter ce que je dépense, confie-t-il. Rien que pour la toiture du moulin, qui va devenir notre lieu de vie avec ma femme, il y en a pour 80 000 euros. Même chose pour la verrière d'un des trois bâtiments qui donne sur le canal ! Au total, juste pour la partie extérieure, on en est à plus de 500 000 euros ! »

De quoi rester réveillé la nuit à mouliner les idées et les tableaux Excel à partir des 65 gigas de documents stockés dans son ordinateur. Car, il l'affirme avec humour, « pour se lancer là-dedans, il faut un grain... mais mesuré ! ».

Vincent Cunillère ne dit pas autre chose : « Je suis fou mais ce que je fais a du sens. » Considéré comme le photographe du peintre Pierre Soulages, qu'il a accompagné depuis leur rencontre en 1993, et propriétaire d'une galerie en face du musée Soulages à Rodez, il est persuadé qu'il peut redonner vie au centre du village de Marcillac grâce à son îlot de maisons : « Je veux créer un lieu d'accueil pour découvrir les vins de Marcillac, aménager un musée sur le patrimoine viticole, un espace dégustation et un autre pour la vente de bouteilles. J'aimerais que l'îlot soit classé aux bâtiments historiques de France pour attirer plus de monde. C'est en cours. »

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À la rescousse de leur patrimoine

Alexandre Giuglaris, directeur général de la Fondation du patrimoine, se réjouit de voir des particuliers s'intéresser à un patrimoine qui n'est pas forcément celui de belles pierres : « Il faut du courage et de la passion pour acheter ce genre de biens. On ne peut pas se contenter d'être gestionnaire. » Marcel Burel, notre proprio d'usine, le reconnaît volontiers : « Les gros investisseurs ne voulaient pas de ces biens car ce ne sera jamais rentable. Moi, si la remise en fonction couvre mes dépenses, ça me suffit ! »

Pour Jeremy Germe, architecte associé chez Pseudonyme Architecture, à Paris, « si de plus en plus de propriétaires s'intéressent désormais aux usines désaffectées ou à des volumes existants que l'on ne pourrait plus construire aujourd'hui, c'est aussi lié à la raréfaction des terrains constructibles ». Son cabinet accompagne le propriétaire (privé) du presbytère de Wimereux, dans les Hauts-de-France, à l'abandon depuis vingt ans, dans son projet de rénovation et de transformation en établissement touristique. Un accompagnement rendu nécessaire, entre autres, par l'état du bâtiment : « Quand il n'y a plus de fenêtres ou qu'une partie du toit est béante, le diagnostic de performance énergétique ne sert à rien. » Parole d'expert !

52% de notre patrimoine se trouve dans des communes de moins de 2 000 habitants.

45.991 immeubles sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques.

125 millions d'euros, c'est la somme récoltée par le loto du patrimoine en cinq ans

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