Livres : le bestiaire à plumes de Beigbeder

Dans son « Dictionnaire amoureux des écrivains français d’aujourd’hui », le célèbre critique littéraire jette plus de roses que de tomates.
Frédéric Beigbeder
Frédéric Beigbeder (Crédits : © Astrid Di Crollalanza)

Depuis que Charles Dantzig a lancé la mode avec son Dictionnaire égoïste de la littérature française, on ne compte plus les abécédaires subjectifs des écrivains. Visitez Venise avec feu Philippe Sollers, découvrez la bretonnitude enamourée de Yann Queffélec... Et voilà maintenant que Frédéric Beigbeder nous présente ses 281 compatriotes à plume préférés - comprenez ceux qu'il aime et ceux qu'il se plaît à fustiger, qui sont parfois les mêmes ! S'assumer en écrivain autocentré n'empêche pas de s'intéresser aux autres : ici, chaque notice est un petit morceau d'écriture réjouissant et renseigné. Et puisque les dictionnaires peuvent s'ouvrir à n'importe quelle page, on picore avec bonheur dans cet ensemble aux saveurs parfois piquantes, mais toujours délectables.

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Car, n'en déplaise à ceux qui ne le connaissent que par la télévision, Beigbeder est un critique nuancé, capable de louer les premiers livres de David Foenkinos puis de foudroyer ses romans à succès (qui feraient de Foenkinos « le digne successeur d'Alexandre Jardin dans le domaine de la mièvrerie démagogique ») pour finir par reconnaître du mérite à son Charlotte. Plus loin, il s'attaque à Pierre Lemaitre, auteur archi-populaire d'Au revoir là-haut et robuste héritier du Zola de La Bête humaine. Verdict : « Il publie au XXI e siècle des romans du XIX e siècle qui parlent du XX e siècle. » Lesdits romans ne sont pas sa tasse de thé, mais Beigbeder leur concède des qualités « burlesques et sardoniques », même s'il craint que Lemaitre ne soit en voie de muer en Martin du Gard 2.0. On a connu plus méchant.

Jouissance sorcière

« L'excessive indulgence » revendiquée en préface serait donc réalité ? Oui, même si heureusement il arrive à Beigbeder de voir rouge : Édouard Louis, l'auteur de l'autofiction En finir avec Eddy Bellegueule, se voit traité de « Calimero » dès le titre. Beigbeder l'attaque sur sa « douleur récurrente » et, pire, « prévisible » : « Le genre de type qui vous injurie pour pouvoir se réconcilier avec vous. » Une belle exécution. Reste que Beigbeder paraît un bisounours comparé aux critiques du XIXe qui s'adonnaient à fond à leur jouissance sorcière de descendre un livre, insoucieux des dommages pour leur cible ou leur propre réputation ! Tel Barbey d'Aurevilly enterrant le Flaubert de L'Éducation sentimentale : « Ci-gît qui sut faire un livre, mais qui ne sut pas en faire deux ! » Beigbeder, lui, n'est pas haineux, et c'est en cela aussi que son dictionnaire est d'aujourd'hui. Il célèbre ses amis (Jean-Jacques Schuhl, Simon Liberati) et idoles (Michel Houellebecq, « le meilleur d'entre nous »), mais concède des qualités à l'ennemi (Christine Angot, Annie Ernaux) ou s'incline devant son succès (Maylis de Kerangal). Notons aussi que Beigbeder sévit dans sa zone de confort : par « écrivains français d'aujourd'hui », il entend « romanciers vivants publiés en couvertures monochromes claires et un seul auteur de polars [Jean-Christophe Grangé] ».

Exit poètes, dramaturges, maîtres du noir et de la science-fiction. Mais il faut bien trier et Beigbeder s'en explique en préface, où il résume joliment l'impossible profession de critique : « Je reçois cinquante livres par semaine, parmi lesquels un seul mériterait d'être imprimé ; mon métier consiste à trouver lequel. » Remarquons aussi l'effort de classement : de petites icônes surmontent chaque notice, qui permettent d'étiqueter, par exemple, Virginie Despentes « glauquiste apocalyptique » (émoticône terrifié) ascendant « néoféministe » (symbole féminin). Parfait : le marais littéraire français a grand besoin d'un fléchage, fût-il ironique, et ce n'est pas parce qu'on ne parle plus des familles de romanciers qu'elles ont disparu. Quant à Beigbeder, il mériterait lui-même un pictogramme spécial, avec masque, cœur, plume et coupe de champagne, qui dirait à la fois le goût du jeu et du rire, la mondanité revendiquée et une passion profonde et irréfutable de la littérature.

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