Stéphane De Groodt : « J’aime trop, je bois le verre de trop, je pense trop »

Entretien - L’acteur joue « Un léger doute » au Théâtre de la Renaissance. Une ode à l’absurdie qu’il pratique sur scène comme dans la vie.
Stéphane De Groodt au Théâtre de la Renaissance, début octobre à Paris.
Stéphane De Groodt au Théâtre de la Renaissance, début octobre à Paris. (Crédits : Corentin Folhen pour La Tribune Dimanche.)

Il pensait arriver en retard à notre rendez-vous, mais l'ancien champion automobile a dû appuyer - un peu trop - sur le champignon de sa grosse moto. Il débarque pile à l'heure au théâtre, passe derrière le bar et allume la machine expresso. Le bar... Un lieu qui leur est familier, à lui et son acolyte de scène Éric Elmosnino. Stéphane De Groodt n'a jamais caché sa passion pour le bon, l'ivresse et ses faiblesses, mais avec sa dégaine d'étudiant intello adepte des chaussettes de cardinal rouges en fil d'Écosse et son ras-du-cou en cachemire noir, il casse tous les codes d'un ancien cancre à la scolarité avortée. Alors, pour ce Belge, jouer à la Renaissance prend encore plus de sens.

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Un léger doute est votre première pièce en tant qu'auteur. Le doute vous a-t-il empêché de concrétiser des projets ?

Non, car il a été un moteur toute ma vie. Si j'ai la réponse, je ne vais pas chercher la question. En revanche, le doute de l'adolescent n'était pas le même que celui de l'adulte. Un ado remet en question les certitudes qu'il a entendues. C'est ça, la crise d'ado.

Comment s'est manifestée la vôtre ?

Pas trop mal, car je n'ai jamais été soumis à ce que les adultes voulaient me faire croire. Très vite, j'ai voulu devenir astronaute, pilote de course ou comédien. Comme je ne voulais pas être dans les rangs, j'ai inventé mon propre rang. C'est dans la contrainte que l'on crée, sinon ça devient l'anarchie.

Vous avez l'impression d'être plusieurs dans votre tête ?

Si on est vraiment trop nombreux, ça s'appelle de la schizophrénie, mais je suis plutôt en partenariat avec moi-même. Quand je me fixais des objectifs, je comptais toujours jusqu'à trois.

C'était une forme d'obligation que je me mettais, dans l'idée de réaliser quelque chose. J'aurais préféré ne pas compter par lâcheté, mais quand je comptais, je pouvais compter sur moi.

Votre dyslexie ne vous a pas aidé à être un bon élève...

Je n'ai fait que doubler, tripler, puis être renvoyé de six écoles privées. À ma dyslexie s'ajoutent des troubles de l'attention. Je n'écoutais pas et ne traduisais pas ce que l'on me disait. Mon cerveau réfléchissait trop et à l'envers.

Vous êtes avec moi en ce moment, ou vous avez déjà perdu le fil ?

Je fais un effort pour me concentrer parce que vos questions me ramènent à des idées que j'ai envie de développer. Mais si j'écoute un conférencier ou un discours, je décroche après dix minutes.

La dyslexie est toujours un problème pour vous ?

Non, et j'espère ne pas être guéri. Je travaille encore contre et avec cette manière d'écrire, de penser, qui n'est pas un sens giratoire. J'ai l'impression qu'on aime ce que je fais à partir de ce que je suis intrinsèquement.

« Je ressens tellement le besoin d'être au bon endroit que je suis constamment en recherche »

Il paraît que vous skiez sans bâtons, une sorte d'allégorie de votre existence en général : un fonceur qui cherche l'équilibre là où il peut.

C'est pas faux. Je me sens plus libre en skiant sans bâtons. Je n'arrive pas à apprendre les choses. La théorie m'est impossible. J'ai adopté une technique qui est la mienne. C'est comme pour le tennis. Je joue en faisant des mouvements qui n'existent pas. Idem pour les langues étrangères. Je suis polyglotte de l'espace. Je ne fonctionne qu'à l'oreille et, comme je me débrouille avec l'accent, on peut penser que je suis né à Oxford, mais après deux phrases mes interlocuteurs comprennent que c'est une supercherie.

Selon votre ex-femme, la mère de vos filles, vous avez un mode de vie un peu casse-gueule mais comme vous n'avez pas peur, vous tombez rarement...

Je pense toujours que je rate quelque chose. C'est pathologique. Je vais dans un resto en me disant qu'il y en a toujours un meilleur ailleurs.

Je ressens tellement le besoin d'être au bon endroit que je suis constamment en recherche.

Quand je le trouve, je suis satisfait mais je passe à autre chose. C'est pour ça que je dis dans la pièce que le présent n'existe pas. Il y a des gens qui sont très forts pour travailler sur le moment présent, la pleine conscience. En même temps, s'ils travaillent là-dessus, ça tend à démontrer que le présent n'existe pas.

Vous êtes un nourrisseur. Quand vous viviez avec votre femme et vos filles, elles étaient sous perfusion de hachis parmentier et de carbonara...

Comment savez-vous ça ? J'adore faire la cuisine et quand je constate que ça plaît, je réitère pour m'améliorer à chaque fois...

Quels sont vos complexes, à part votre calvitie ?

J'ai réussi à l'accepter. En revanche, petit, j'étais très gros. Ma mère me faisait beaucoup trop à manger. J'avais le corps de 30 personnes en une. C'était un énorme complexe. C'est sûrement la raison pour laquelle je voulais faire de la course automobile, être comédien, pour que ce corps ne soit plus un obstacle. À l'époque, le regard des autres était déterminant. Je faisais marrer les gens pour tenter de me faire adopter malgré ma corpulence. Cette ultrasensibilité me poursuit encore maintenant.

Et aujourd'hui ?

Quand on est gros, on pense qu'on le sera toute sa vie. Quand je prends 3 kilos parce que je picole et que j'adore bouffer, j'en suis malade. C'est un combat de tous les jours. Je préfère avoir 3 kilos en moins que 3 kilos en plus. Mon problème, c'est que je suis bon vivant. J'adore boire du bon vin, refaire le monde avec mes potes Stéphane Freiss et François-Xavier Demaison. Ce sont des moments très précieux pour mon équilibre.

Vous faites la fermeture des bars et des restos ?

Ça se termine à pas d'heure et à pas dire.

Avec une gueule de bois ?

Souvent. Non seulement j'aime bien le goût de l'alcool, mais aussi le goût de l'ivresse. Comme je ne lâche pas assez prise dans la vie, j'ai besoin d'anesthésier mon cerveau. J'arrête de penser et je me mets à réfléchir. Je fais toujours les choses en trop. J'aime trop, je bois le verre de trop, je pense trop. Mais c'est mon adrénaline.

C'est comment, un dimanche avec Stéphane De Groodt ?

Je joue au théâtre le dimanche après-midi puis je prends mon train pour Bruxelles. J'espère croiser mes filles, surtout la grande, qui vit à Londres. Je prends le temps pour bouquiner, regarder le Grand Prix de Formule 1, faire du sport. Je suis content d'être chez moi, loin de Paris. Tout est plus calme à Bruxelles. ■

Ses coups de coeur

En toute objectivité, Stéphane De Groodt reconnaît le talent d'écriture de son ex-femme, Odile d'Oultremont. « Elle vient de sortir un livre brillantissime, Une légère victoire. » Un titre très proche de celui de sa pièce de théâtre. Serait-ce une coïncidence ? « J'avais déjà trouvé le nom de ma pièce sans lui en avoir parlé. » Il aime découvrir les restaurants et aime s'évader dans l'univers gourmand de François Simon, qu'il suit sur Instagram. Mais pour déguster les meilleures pâtes, c'est chez Carboni's, dans le 3e arrondissement de Paris, qu'il noue sa serviette autour de son cou, ou encore au Marco Polo, dans le 6e, pour son ambiance familiale. Avec une bouteille de saint-joseph ou de côte-rôtie, évidemment.

Un léger doute au Théâtre de la Renaissance, jusqu'au 7 janvier 2024.

Stéphane De Groodt a rejoint l'équipe de C à vous, où il propose une nouvelle pastille quotidienne, « Les radoteurs ». Sur France 5, du lundi au vendredi.

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