L'opération des « 100 jours » se finit dans un chaos social. Quatre jours après la validation par le Conseil constitutionnel de la réforme contestée des retraites en avril dernier, Emmanuel Macron avait annoncé une période « d'apaisement » lors d'une intervention au journal télévisé de 20 heures. La France venait de traverser quatre mois de fortes mobilisations dans les rues et de débats houleux au Parlement.
L'utilisation de l'article 49-3 pour faire adopter le recul de l'âge légal de la retraite de 62 ans à 64 ans avait provoqué une vague de sidération dans tout le pays. Après plusieurs mois en retrait, le chef de l'Etat était reparti sur le terrain, au contact de la population, espérant ainsi relancer son second quinquennat. Et cette période des « 100 jours » devait se conclure le 14 juillet prochain par des annonces de la Première ministre, Elisabeth Borne.
Un agenda ministériel chamboulé
Mais la mort du jeune Nahel tué par un policier à bout portant le 27 juin a fait l'effet d'une bombe. Après une semaine d'embrasement, la France est encore abasourdie par la violence des émeutes et les agressions commises à l'encontre des élus. Emmanuel Macron a organisé plusieurs cellules de gestion de crises pour tenter de trouver une réponse à l'urgence de la flambée des violences.
Et il doit recevoir près de 200 élus au palais de l'Elysée ce mardi, après un week-end marqué encore une fois par des dégradations et des pillages. Ces événements ont complètement chamboulé l'agenda ministériel. Le gouvernement d'Elisabeth Borne se retrouve désormais en première ligne alors que des rumeurs sur un possible remaniement se multipliaient ces dernières semaines.
« Avant la crise des violences urbaines, Emmanuel Macron avait vu s'apaiser la violence des oppositions depuis quelques semaines et pouvait envisager d'entrer dans une phase de réconciliation avec les citoyens, de reconstruction d'un lien détérioré. Cette crise inédite sous sa présidence va élargir le chantier présidentiel de l'apaisement », confie à La Tribune Erwan Lestrohan, directeur d'études à l'institut de sondages Odoxa.
Des réformes économiques et sociales mises sur pause ?
Sur le front des réformes, le gouvernement d'Elisabeth Borne avait lancé plusieurs grands chantiers au cours de ces trois mois. Entre France Travail, le projet de loi industrie verte, et a transformation du RSA, l'exécutif a déroulé un agenda chargé pour tenter de faire oublier la douloureuse réforme des retraites. Emmanuel Macron avait multiplié les grands raouts sur l'industrie à l'Elysée, sur l'attractivité au prestigieux château de Versailles avec les grands patrons ou sur la finance mondiale au Palais Brongniart.
Force est de constater que le gouvernement va devoir modifier sa feuille de route dans les semaines à venir. Il est encore tôt pour savoir si toutes ces réformes économiques et sociales seront mises sur pause. Mais l'ambition d'initier un nouveau souffle au mandat du chef de l'Etat vole en éclats après cette semaine émaillée d'affrontements entre les forces de police et de gendarmerie et les émeutiers.
À Bercy, bras de fer sur la prise en charge du coût des dégâts
Dans les vastes couloirs du ministère des Finances, les équipes du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, s'apprêtent à passer un été bien rempli. Entre la préparation du projet loi de finances 2024, habituellement présenté au début de l'automne, et les réunions de crise, la pile des dossiers ne cesse de grimper. Samedi dernier, le ministre de l'Economie et la ministre des PME Olivia Grégoire ont reçu des représentants du patronat et des organismes consulaires. A l'issue de cette réunion, Bercy a fait plusieurs annonces sur les assurances, les banques, mais aussi l'Etat.
Le ministère de l'Economie veut mobiliser les conseillers en sortie de crise présents dans tous les départements pour venir au chevet des entreprises les plus en difficulté. Ces sociétés pourront, en outre, bénéficier d'un report des prélèvements obligatoires (charges fiscales et sociales). Le Medef a appelé dans un communiqué à ne pas « relâcher la vigilance pour maintenir l'ordre dans de très nombreuses communes. La sécurité des biens et des personnes est un impératif ». .
Vers quelle sortie de crise ?
A l'approche du 14 juillet, le gouvernement va tenter de trouver une issue à cette crise. En avril dernier, le président Macron avait promis de faire le bilan de sa méthode au 14 juillet. Lors de la crise des « gilets jaunes » en 2018, le chef de l'Etat avait lancé « le grand débat » partout sur le territoire. Accusé d'avoir une pratique verticale du pouvoir, Emmanuel Macron avait promis « une nouvelle méthode » pour apaiser les colères autour des ronds-points.
Mais la plupart des corps intermédiaires avaient exprimé leur déception à l'issue de ces réunions. Six ans après, la tension est toujours loin d'être retombée. Le locataire de l'Elysée va devoir répondre « à la préoccupation première des Français qui reste le pouvoir d'achat », ajoute le sondeur Erwan Lestrohan.
« La sortie de crise devra passer par des réponses à l'amélioration des conditions de vie. L'exécutif est attendu au tournant sur ces questions », conclut-il.
L'inflation a certes commencé à ralentir depuis quelques mois, mais les prix alimentaires demeurent très élevés. Beaucoup de Français continuent de subir les effets dévastateurs de la guerre en Ukraine sur leur porte-monnaie. En attendant le jour de la fête du 14 juillet, Emmanuel Macron va devoir tirer les leçons de cet épisode de fracas inédit depuis le début de son second mandat.