Le verdict est tombé jeudi dernier 12 novembre de la bouche de Jean Castex : les règles du nouveau confinement « resteront inchangées pour au moins quinze jours ». Soit jusqu'au 1er décembre. Cette décision intervient alors que les critiques sur la gestion de la crise fusent de toutes parts et s'accumulent. Et ce ne sont pas les chiffres clés de l'épidémie qui les feront taire. Avec plus d'1,8 million de cas confirmés, la France est le pays le plus touché d'Europe. Plus de 3.600 clusters sont en cours d'investigation et près de 20.000 nouvelles hospitalisations sont décomptées sur les sept derniers jours. Au total, le coronavirus a provoqué 42.500 décès en France.
Auteur d'un livre sur l'épidémie vue du terrain « La Vague » (CNRS Editions), le professeur Renaud Piarroux, épidémiologiste à l'hôpital de La Pitié Salpêtrière, observe : dés le début, « il y a d'abord eu une mauvaise appréciation de ce qui se passait en Chine. Beaucoup d'experts et de scientifiques ont pensé que cela ne serait pas grave, c'est ce qu'on appelle un biais cognitif. Ensuite, l'Italie a réveillé les experts, et les politiques ont suivi. Pour la deuxième vague, la situation est vraiment différente. Cette fois, les politiques étaient relativement bien avertis, mais ils n'ont pas eu la force d'aller contre l'opinion publique ».
À cela s'ajoute une absence totale de préparation à ce type de crise, comme l'ont relevé les experts missionnés par Emmanuel Macron pour évaluer la gestion de la crise sanitaire. Cette mission conduite par un infectiologue indépendant suisse, Didier Pittet, pointe « un déclin progressif du degré de priorité accordé à la prévention des pandémies ». Dans leur premier bilan, ces experts relèvent notamment l'absence d'exercices de simulation depuis 2014 et la diminution non maîtrisée des stocks de masques, avec les effets que l'on connaît. La France a aussi fait les frais d'un système de soins curatif très peu tourné vers la prévention.
« Nous avons souffert d'une grave crise logistique avec un manque d'équipements de protection pour les soignants, un manque de lits de réanimation, lits que nous n'avons pas plus aujourd'hui », rappelle Philippe Juvin, chef des urgences de l'hôpital Georges Pompidou et maire de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine), qui était aux premières loges.
Hyper-centralisation du système de santé
Qui plus est, pour Laurent Chambaud, médecin de santé publique et directeur de l'École des hautes études en santé publique (EHESP), « notre organisation n'était pas du tout adaptée, car comme dans tous les pays européens, nous n'avions pas anticipé la crise. Jusqu'ici, les menaces ne s'étaient pas révélées. D'où la stupeur et la difficulté à mettre en place des organisations, avec des tensions extrêmement importantes. En France, notre culture de la centralisation est très forte, avec une faible implication des acteurs locaux, même s'il y a eu des tentatives de concertation avec le nouveau gouvernement. Or, dans ce type de crise, l'adhésion des populations est un élément majeur et passe par celle des corps intermédiaires. Il faut développer une vraie culture de la santé publique pour répondre collectivement à ce type de situation ».
Une adhésion mal maitrisée comme le souligne Philippe Juvin :
« Nous connaissons une grave crise de confiance et de désobéissance civile nourrie par le sentiment que les décisions sont prises au plus haut et s'imposent sans données scientifiques claires ni concertation. Si nous voulons que les mesures soient pleinement respectée, il faut associer, et non imposer ».
Et de fait, pour l'heure, la confiance n'est toujours pas vraiment au rendez-vous. La faute à une communication erratique et aux ratés de la première vague, comme l'épisode calamiteux sur l'utilité des masques. Mais aussi à l'absence de transparence du gouvernement et à l'hyper-centralisation des décisions sans concertation.
Difficultés d'articulation
Car la mission Pittet a également observé ce qu'elle a appelé diplomatiquement des « défaillances structurelles » dans la gouvernance. Elle n'en épingle pas moins l'organisation complexe entre le ministère de la santé et ses différentes instances, ainsi que les « difficultés d'articulation entre agences régionales de santé (ARS) et préfectures ». Des agences qui ont aussi dû assumer des missions logistiques pour lesquelles elles n'avaient ni les compétences, ni les réflexes.
Mais les couacs ne se limitent pas au champ politique. L'organisation de notre système de soins a ainsi conduit à une pression sans précédent sur l'hôpital public. Avec des situations absurdes, comme le transfert de patients de la région Grand-Est vers Toulouse au printemps dernier, alors même que des cliniques voisines demeuraient vides et prêtes à les accueillir !
Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), souligne :
« Les difficultés de gestion de cette épidémie sont liées au fait que notre système de santé est complètement hospitalo-centré. Pendant la première vague, les tests ont débuté à l'hôpital et les laboratoires de ville ont dû batailler avec les ARS pour obtenir les autorisations nécessaires. En cas de symptômes, les patients étaient invités à appeler le 15, avant de se rendre aux urgences hospitalières. Mais on ne leur a jamais dit de solliciter leur médecin traitant » !
Sur ce point, des leçons semblent avoir été tirées de la première vague.
Les insuffisances de la stratégie « Tester, tracer, isoler »
Le nouveau reconfinement montre également que la stratégie « Tester, tracer, isoler » n'a pas fonctionné. Comme le constate le sénateur écologiste de Paris, Bernard Jomier, rapporteur de la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de la crise : « La France n'est pas dans une logique d'éradication contrairement à d'autres pays, notamment en Asie du Sud-Est. La stratégie du gouvernement repose sur une maîtrise de la circulation du virus, pour faire en sorte que notre système de santé ne soit pas débordé ». A contrario, grâce à une politique volontariste impliquant la population, le Japon ou la Corée du Sud réussissent à combattre plus efficacement les phénomènes de contamination et le virus.
En matière de dépistage, le gouvernement français a privilégié une approche quantitative. Certes, le nombre de tests PCR dépasse les 2 millions par semaine, mais les délais à rallonge pour avoir les résultats présentent peu d'intérêt pour stopper la propagation. « La stratégie "Tester, tracer, isoler" est un échec depuis fin juillet, lorsque nous avons vu les files d'attente s'allonger devant les laboratoires, confirme Bernard Jomier. Lors de leurs auditions devant notre commission, la Caisse nationale d'Assurance maladie (Cnam) et la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) nous ont confirmé qu'environ 80 % des personnes testées positives n'étaient pas identifiées dans une chaîne de transmission. Ce qui voulait donc dire que le traçage avait fonctionné pour 20% d'entre elles, pas plus ».
En outre, malgré l'urgence sanitaire, les vieux réflexes n'ont rien arrangé dans le très compartimenté parcours de soin : « Certains dysfonctionnements dans le chaînage informatique de contact tracing excluent la médecine de ville, remarque Jean-Paul Ortiz. Par exemple, si un patient se révèle positif après un test PCR sans ordonnance. Et s'il réalise un test antigénique chez une infirmière ou un pharmacien, son médecin traitant ne sera pas au courant ».
Quant au deuxième pilier du système, la fameuse appli gouvernementale « Tous anti-Covid », il a bien du mal à s'imposer. Avec 8,6 millions de téléchargements, le nombre de Français équipés a certes triplé par rapport à la première version. Mais en couvrant seulement 12 % de la population, sa portée reste toute relative. Enfin, en cas de contamination, rien n'a été prévu pour isoler les patients, malgré les propositions du groupe Accor d'accueillir les patients dans les hôtels fermés.
Mettre plus de moyens sur le terrain
Le diagnostic de Renaud Piarroux est clair : « Il aurait vraiment fallu mettre plus de moyens sur le terrain pour empêcher la transmission. Actuellement, le dispositif de l'Assurance maladie se limite à un appel aux cas positifs, puis à des SMS adressés aux cas contact, je ne crois pas que cela soit suffisant. La complexité du contact-tracking n'a pas été suffisamment comprise. Il nécessite l'adhésion de la population avec des explications adaptées au contexte et à chaque personne. C'est ce que met en œuvre le programme Covisan avec des équipes mobiles. Dans ce cadre-là, on a plus de chances d'obtenir des modifications de comportements au moins pendant les 10-15 jours suivant le contact ». Ce dispositif de prévention a été mis en place à Paris et en Seine-Saint-Denis, associant les hôpitaux de Paris et de nombreux partenaires. Le modèle sera reproduit à Marseille dès cette semaine.
Et peut-être que pour son troisième reconfinement, en espérant l'éviter, la France aura enfin réussi à tirer quelques leçons des précédents couacs: « Errare humanum est, perseverare diabolicum » (« L'erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique »). Jean Castex, M. Déconfinement devenu M. Reconfinement, et très impopulaire, le promet pour l'après 1er décembre. Pour desserrer progressivement les contraintes sanitaires, il présentera, cette fois, un plan à long terme pour que les Français apprennent à « vivre avec le virus » en attendant le vaccin et surtout la vaccination, seul espoir pour sortir de la crise.