Féminisation des Comex : comment les grandes entreprises contournent la loi

Elles font le CAC 40, sont des marques majoritairement très connues du grand public. Mais ces entreprises ne sont pas toujours exemplaires en termes de féminisation de leurs instances de gouvernance. Dix ans après la loi Copé-Zimmerman et un an après la loi Rixain, l’Observatoire de la féminisation des entreprises démontre que la contrainte législative est parfois contournée, que le plafond de verre n’est toujours pas une vue de l’esprit et que la féminisation est synonyme de meilleure rentabilité. Mais que les extrêmes ne sont jamais bons, comme l’explique Michel Ferrary, professeur affilié à Skema Business School, professeur de management à l’Université de Genève et créateur de l’Observatoire en 2007.
La loi Rixain, qui concerne les entreprises de plus de 1.000 salariés, oblige depuis un an la publication des écarts entre le nombre de femmes et d'hommes parmi les cadres dirigeants et les instances de direction.
La loi Rixain, qui concerne les entreprises de plus de 1.000 salariés, oblige depuis un an la publication des écarts entre le nombre de femmes et d'hommes parmi les cadres dirigeants et les instances de direction. (Crédits : Reuters)

Quotas ou pas quotas ? Telle est l'éternelle question. Surtout depuis 2011, lorsque la loi Copé-Zimmermann intervient dans la vie des moyennes et grandes entreprises en instaurant l'obligation d'un équilibre de représentation entre les femmes et les hommes dans les conseils d'administrations et de surveillance, équilibre où chacun des deux sexes ne doit pas être représentés en dessous de 40%. Une petite révolution alors, qui a surtout pour objectif de pousser à une féminisation bien difficile à obtenir sans la carotte - ou plutôt le bâton - législatif.

De la nécessité du bâton législatif

Une incitation qui semble avoir porté ses fruits même si toutes sont loin - voire très loin - d'être exemplaires, ainsi que le démontre l'Observatoire de la féminisation des entreprises, créé en 2007 par Michel Ferrary, et qui publie chaque année, un rapport s'intéressant plus particulièrement aux entreprises du CAC 40. Où on apprend donc qu'en 2022, les mauvais élèves s'appellent Essilor Luxottica, ArcelorMittal ou Stellantis et les bons élèves, Pernod Ricard, Kering ou Saint-Gobain. Mais depuis 2021, une autre incitation législative fait partie du paysage entreprenarial et elle concerne plus particulièrement la présence des femmes au sein des comités exécutifs. La loi Rixain, qui concerne les entreprises de plus de 1.000 salariés, oblige depuis un an à la publication des écarts entre femmes et hommes parmi les cadres dirigeants et les instances de direction. Mais elle devient plus sévère, obligeant à 30% d'ici 2026 puis 40% à horizon 2029, de femmes dans ces Comex.

Voilà pour le cadre idéal. Mais dans la réalité, c'est un peu plus complexe. Car si la loi Copé-Zimmermann a poussé les entreprises à véritablement nommer des femmes à la place des hommes, pour ce qui est de la toute jeune loi Rixain, il en va différemment. « Les entreprises ont rajouté des chaises autour de la table », indique Michel Ferrary. Comprendre que plutôt que de nommer des femmes en remplacement de représentants masculins, les Comex se sont agrandis en accueillant des femmes mais sans remplacer les postes existants. Une sorte de petit arrangement artificiel qui ne devrait, cependant, pas durer très longtemps.

Une déception puisque la loi Rixain a précisément été instaurée pour aller plus loin dans la féminisation des entreprises, l'espoir d'un effet ruissellement des Conseils d'administration vers les comités exécutifs ne s'étant pas produit. « Sans la loi, ça ne bouge pas », indique Michel Ferrary, professeur affilié à Skema Business School, professeur de management à l'Université de Genève et ancien membre du Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes (de 2019 à 2021 NDLR). « Le rôle du législateur est de faire changer les habitudes ».

Le plafond de verre, une réalité souvent auto-alimentée

Et le changement, ce n'est pas évident. Car, souligne Michel Ferrary, « les entreprises féminines (perçues comme telles par le grand public NDLR) le sont de plus en plus et les entreprises masculines également ». Non pas que les entreprises elles-mêmes rechignent à embaucher une femme ou un homme selon la catégorie où elles sont placées, mais ce sont les candidats eux-mêmes qui s'auto-censurent, un homme n'ayant pas volontiers candidater dans une entreprise féminine. « Airbus ou Thales font des efforts pour recruter des femmes mais ce sont les femmes qui ne souhaitent pas les rejoindre ». Exemple extrêmement révélateur : L'Oréal arrive à la 35e place dans le listing d'un homme ingénieur, quand la marque de luxe s'affiche tout en haut du listing d'une femme ingénieur. « Tant d'éléments sont ancrés dans notre culture, nos institutions, avec des rôles sexués », note encore Michel Ferrary, indiquant que l'évolution de ce qui est très ancré culturellement peut nécessiter des générations pour être profondément modifié.

Où la question de plafond de verre demeure toute entière, « les femmes ayant largement tendance à vouloir aller dans les détails, à ne pas oser s'imposer ou prendre la parole si elles-mêmes ne s'estiment pas à la hauteur ».

La preuve en chiffres, les femmes étant à 22,59% présentes dans les Comex alors qu'elles représentent 35,46 % des cadres, là où précisément sont issus les membres des comités exécutifs. En termes de diversité - la capacité à recruter des femmes - et d'inclusion - la capacité à promouvoir des femmes - « on ne peut pas trop taper sur les entreprises dites masculines, puisque ce sont celles qui ont peu de femmes dans leur encadrement », pointe Michel Ferrary. « En revanche, les entreprises qui possèdent de nombreuses femmes dans l'encadrement mais peu au sein de leur Comex, sont des entreprises machistes ». C'est notamment le cas d'Axa, Hermès, LVMH ou Vivendi.

Féminiser oui, mais c'est la mixité qui compte

Souvent répandue, l'idée d'une entreprise qui serait plus rentable parce qu'elle sait féminiser ses instances de gouvernance est validée par le rapport. Ainsi plus le pourcentage de femmes dans la population cadres comme dans les effectifs est important, plus la rentabilité opérationnelle est élevée. Et Michel Ferray de dénier l'argument selon lequel une meilleure rentabilité serait possible par l'écart de salaires entre femmes et hommes. Une féminisation des Comex comme de l'encadrement qui a tout aussi un impact positif pour ce qui relève de la responsabilité sociétale comme de la responsabilité environnementale.

« Ce qui est essentiel, c'est la mixité »

Est-ce à dire alors qu'il faut beaucoup féminiser ? Surtout pas, recommande Michel Ferrary. « Nous avons démontré que ce qui est vraiment essentiel c'est la mixité ». Car a contrario, une entreprise qui serait trop féminisée n'obtiendrait pas une bonne rentabilité. Si à partir d'un taux de féminisation de 30% la courbe monte, elle redescend au-delà de 50%.

Volontariste sur la féminisation des instances de gouvernance, la France se retrouve ainsi être la meilleure élève de l'Europe. Et, fait remarquer Michel Ferray, « la loi Rixain place la France comme le premier pays au monde à légiférer sur ce sujet ». Comme quoi, tout est vraiment question d'équilibre.

Commentaires 2
à écrit le 21/02/2023 à 22:47
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ce qui est essentiel c'est la compétence ( hommes ou femmes ) pas la mixité

à écrit le 21/02/2023 à 20:22
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Donc, en définitive, on n'a pas le droit de publier une offre d'emploi annonçant qu'on veut recruter un homme ou une femme, parce que c'est du sexisme, mais lorsqu'il s'agit des COMEX on doit assurer un équilibre et recruter en priorité des femmes, ...

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