Fractures : élus et patronat militent pour un « New Deal » entre l'État et les collectivités

Sans attendre la présentation de la loi de décentralisation le 12 mai en Conseil des ministres, le Medef a confronté les points de vue des responsables politiques et des décideurs économiques. Leurs constats sont unanimes : les territoires n'attendent pas l'État pour se développer et veulent que ce dernier se concentre sur ses fonctions régaliennes.
César Armand
(Crédits : iStock)

Un pays éparpillé façon « puzzle », « profondément déséquilibré ». C'est le constat du Mouvement des entreprises de France (Medef) deux ans après l'hiver des Gilets jaunes et la publication de l'essai du politologue Jérôme Fourquet, L'Archipel français (Seuil). S'appuyant sur des données de l'institut Montaigne du printemps 2021, le patronat relève que quinze métropoles concentrent 81% de la croissance économique alors qu'elles ne représentent que 30% de la population ; les 70% restants vivant dans des « territoires épars » où le niveau de vie stagne, voire décline.

« Même s'il n'y a pas de fatalité d'une économie à deux vitesses, le sujet des Gilets jaunes est toujours là : comment fait-on pour être compétitif dans la mondialisation ? » a questionné ce 5 mai le président du Medef lors d'une visioconférence consacrée aux territoires.
« Il faut des élus locaux qui font le boulot pour les chefs d'entreprise, qui créent les conditions, comme une fiscalité locale qui ne dérape pas, des logements ou une qualité de vie », a poursuivi Geoffroy Roux de Bézieux.

Lire aussi : Fractures territoriales : le Medef tire la sonnette d'alarme

Un maire se déclarant à l'écoute des acteurs économiques

En face, le maire (LR) de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, s'est déclaré « à l'écoute des acteurs économiques comme l'Union des industries et métiers de la métallurgie ». Avec elle, le maire ardennais, qui a subi quarante années de désindustrialisation, a mis sur pieds une plateforme Platinium 3D qui fabrique des pièces et des outils à la demande.

Président du comité des métropoles du Mouvement des entreprises de France, Philippe Renaudi a confirmé « être entendu et écouté » par les maires Estrosi (Nice), Lisnard (Cannes) et Leonetti (Antibes) de même qu'il dit travailler en concertation avec « toutes » les collectivités. « Nous sommes intégrés aux organes de décision, comme les régies des transports où nous siégeons dans les conseils d'administration », a-t-il ajouté. Les entreprises françaises les financent à près de 45% via le versement mobilité.

Un territoire n'attend pas l'État pour se développer

« Il n'y a pas de recette magique », a opposé, pour sa part, le député (LREM) de l'Aude Alain Perea. Ex-vice-président du Grand Narbonne chargé de l'Urbanisme l'Aménagement du territoire, il a jugé qu'« un territoire n'attend pas les autres - l'Etat ou les entreprises - pour se développer. Il doit s'appuyer sur ses propres compétences ». Lui-même a retissé les liens entre le tourisme de masse du littoral méditerranéen et la viticulture de l'arrière-pays en créant des programmes d'oenotourisme.

Un discours que partage à son échelle la présidente du Medef Limousin Dorothée Ferreira : Les élus se sont pris en main et ont créé une vraie culture d'entreprises soudées autour de valeurs communes ». Ou encore la directrice générale déléguée Invest de Business France Marie-Cécile Tardieu : « Tous les territoires ont leur propre chance et doivent s'appuyer sur leurs propres forces ». Son agence d'Etat mène d'ailleurs 5.000 entretiens chaque année pour faire le relais entre les atouts locaux et les investisseurs internationaux.

Différenciation et décentralisation bientôt au Conseil des ministres

Pour autant, ces belles intentions ne suffisent pas pour certains chefs d'entreprise. Le président de la Fédération française du Bâtiment, co-président de la commission « Croissances et territoires » appelle à davantage de différenciation. « Les politiques publiques ne peuvent plus ignorer la différence des territoires. Il faut beaucoup plus de pragmatisme au niveau de la décentralisation », a exhorté Olivier Salleron.

Hasard du calendrier : le projet de loi 4D - pour décentralisation, décomplexification, déconcentration et différenciation - arrive en Conseil des ministres le 12 mai prochain. Selon les mots de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités locales Jacqueline Gourault, « les élus locaux sont en attente d'un Etat déconcentré très présent, renforcé avec le rôle du préfet, d'une volonté d'une plus grande souplesse de l'action publique et d'une meilleure adaptation du droit aux besoins locaux ».

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« L'État n'a plus de politique d'aménagement du territoire »

En attendant, tout reste à faire, à en croire Paul Hermelin, président de Cap Gemini et auteur du rapport du rapport de l'Institut Montaigne « Rééquilibrer le développement de nos territoires » : « En France, le réseau des TGV favorise les liaisons entre les métropoles de même qu'on a surinvesti les grandes métropoles universitaires », à la différence de la structure fédérale de l'Allemagne ou du réseau italien de villes moyennes « très vivantes et très denses » de Milan à Venise.

« L'Etat n'a plus de politique d'aménagement du territoire », appuie le président (ex-LR) de l'Assemblée des départements de France Dominique Bussereau. Même si sa Charente-Maritime bénéficie de l'attractivité bordelaise jusqu'à 100 kilomètres, tout remonte jusqu'à la préfecture de région Nouvelle-Aquitaine, « aussi grande que l'Autriche ». Depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015, les conseils départementaux n'ont plus de compétence économique. Résultat : « Avant, lorsqu'une entreprise n'arrivait pas à faire la paie, on l'aidait en trois jours. Maintenant, ça monte à Bordeaux et ça se fait en trois semaines », a-t-il regretté.

Les regards de Xavier Bertrand et de Bernard Cazeneuve

C'est sans doute pourquoi le candidat à sa réélection dans les Hauts-de-France et à la présidentielle de 2022 entend créer une « République des territoires ». Xavier Bertrand a défendu « un changement de société et de l'organisation des pouvoirs publics », considérant que « le centralisme parisien est mort ». Pour lui, rien de plus simple : « un New Deal Etat-collectivités » avec « plus de pouvoirs aux préfets et moins aux directeurs d'administration centrale ». Dans ce cas de figure, l'Etat ne conserverait que le régalien (défense, diplomatie, police et justice), la santé et l'éducation.

Encore très écouté à gauche, l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve a affirmé « croire beaucoup en la relation régions-métropoles-entreprises organisées en filière et l'Etat qui peut manifester une vision ou donner une impulsion ». Dans le même temps, l'ex-vice-président de la région Basse-Normandie a appelé à « une concertation permanente » entre les parties prenantes ainsi qu'à « associer davantage les citoyens dans la gouvernance des territoires ».

Encourager la prise de risques

La présidente du Medef Occitanie, Sophie Garcia, co-présidente de la commission « Croissances et territoires », est sur la même ligne : « Entre les Pyrénées-Orientales où le chômage est à 15%, l'Aveyron en plein emploi, Toulouse poussé par l'aéronautique, le littoral par les seniors... Si je ne suis pas capable de faire une analyse locale, je ne vais pas trouver des solutions », a-t-elle relevé.

Et si le terrain était effectivement mieux écouté ? Il y a trois ans, le groupe Caisse des Dépôts a lancé une marque baptisée « Banque des territoires ». Aujourd'hui, le réseau est organisé en directions régionales où la prise de risques est encouragée. « Le changement d'organisation a été compliqué, mais c'est très efficace aujourd'hui », a conclu Sophie Errante, députée (LREM) de Loire-Atlantique et présidente du conseil de surveillance de la Caisse.

Lire aussi : Relance: la Banque des Territoires prête à apporter 47 milliards à l'économie

César Armand
Commentaire 1
à écrit le 06/05/2021 à 10:38
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Photographie d'un beau village patrimonial de plus en plus rare car dorénavant la plupart sont défigurés par des zones marchandes voir industrielles de plus en plus immondes car la laideur se voit beaucoup moins dans les zones citadines déjà laides e...

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