« Industrie verte : le projet de loi est totalement à la hauteur des enjeux » (Thierry Déau, Meridiam)

GRAND ENTRETIEN. Avec 20 milliards d'euros d'actifs sous gestion, Meridiam est un fonds d'investissement qui compte. Son patron Thierry Déau, qui a contribué au projet de loi industrie verte en cours d'examen au Sénat, investit dans la décarbonation de l'économie depuis plus de quinze ans. Alors que le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tient à Paris ces 22 et 23 juin, il vient d'annoncer une acquisition stratégique en Afrique où il compte doubler sa présence d'ici à trois ans. Dans le même temps, le quinquagénaire n'exclut pas une prise de participation dans le nouveau nucléaire tout en écartant l'immobilier malgré l'actuelle crise du logement.
Thierry Déau (photo) a créé Meridiam en 2005.
Thierry Déau (photo) a créé Meridiam en 2005. (Crédits : La Tribune)

LA TRIBUNE : Vous avez contribué au projet de loi industrie verte en copilotant avec le député Renaissance Mathieu Lefèvre « Transformer la fiscalité pour faire grandir l'industrie verte ». Vous avez notamment proposé d'aider l'industrie à s'engager dans la décarbonation. Le texte, qui est en cours d'examen au Sénat, est-il à la hauteur de vos ambitions ?

THIERRY DÉAU : Peut-être que le projet de loi n'a pas été suffisamment compris, mais il est totalement à la hauteur des enjeux sur ses deux objectifs principaux : l'installation de sites de production d'énergies nouvelles - hydrogène ou batteries par exemple - et l'incitation à la décarbonation des industries existantes. L'industrie du futur doit être décarbonée. Certes, cela entraîne des problématiques de revalorisation des métiers de l'industrie et cela change les processus, mais les perspectives, la dynamique et les signaux donnés sont excellents et cela confirme aussi que cette transformation créera de l'emploi car nous aurons besoin notamment d'ingénieurs et de techniciens pour cette nouvelle industrie. C'est-à-dire une industrie propre qui suscite des vocations et qui fournit des emplois mieux payés que les services.

En discutant avec les professionnels, se dégage un double sentiment de confusion et de déception, et l'impression d'une nouvelle usine-à-gaz, à la différence de l'IRA américain, simple et puissant, qui subventionne la décarbonation...

On a tendance en France à se plaindre, mais on oublie que c'est le seul plan que les Américains ont fait sur le sujet. En France et en Europe, nous avons multiplié les plans verts, les plans de financement de l'innovation - la Commission à travers la Banque européenne d'investissement a investi 70 millions d'euros dans NorthVolt dès 2015 -, sans parler du Green Deal ou de la BEI qui a mobilisé le plan Juncker de plus de 500 milliards. Et cela a déjà été mis en place ! En France, nous n'avons pas toujours la capacité à faire simple, mais l'ambition de ce projet de loi est de faire simple et d'agir de façon concrète, c'est là le plus important. C'est ce que le gouvernement, sous l'impulsion et la coordination du ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire, nous a demandé de faire, et nous avons respecté la consigne.

Il n'empêche, malgré les bonnes volontés affichées dans la loi, le processus industriel est encore digne d'un parcours du combattant...

Le texte facilite la mise à disposition de 50 sites clés en main d'ici à 2030 avec des terrains disponibles et des raccordements électriques. C'est concret et significatif. Alors oui, il y a des lois environnementales un peu partout en France, mais la démocratie les a voulues. Sachant qu'il n'est pas possible d'implanter des industries partout, le fait de préparer des sites permet d'y répondre.

Aux premières loges, les élus locaux, qui ont déjà perdu la taxe d'habitation et maintenant la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE), trouvent qu'ils ont peu d'incitations financières.

La répartition financière entre l'Etat et les collectivités est un autre débat et j'espère que l'intérêt général prévaudra. Il reste aux élus des taxes sur le foncier surtout, n'oublions pas que l'industrie crée un écosystème et des emplois locaux, qui sont la ressource principale dont nos territoires ont besoin.

Quelles sont les opportunités de l'industrie verte pour Meridiam ?

Nous aidons déjà l'industrie à se décarboner. Avec Dalkia, nous construisons actuellement un projet de chaleur renouvelable d'envergure à partir de biomasse sur le site industriel de Swiss Krono, producteur de panneaux de bois à Sully-sur-Loire (Loiret). Cette demande d'accompagnement s'exprime partout en Europe. Car au-delà des incitations et des subventions, il va falloir investir dans la décarbonation. Nous avons donc signé un accord global avec Dalkia sur l'énergie pour en fournir aux industriels. Les grosses entreprises avaient déjà commencé à se décarboner, certaines ETI aussi mais pas les PME. La directive européenne Corporate Sustainability Reporting, qui entrera en vigueur en 2024, va obliger toutes les entreprises à avoir une trajectoire de décarbonation. Nous sommes simplement cohérents avec cette réglementation qui va se mettre en place.

Dès 2016, vous avez lancé un fonds Transition. Quel bilan en tirez-vous aujourd'hui ? Quelle est la suite que vous lui avez donnée ?

Nous sommes une société à mission depuis 2019, mais le durable, le long terme et plus particulièrement la responsabilité sociale et environnementale ont toujours fait partie de notre modèle et de tous nos investissements et ce depuis notre origine. C'est ce qui fait l'originalité de Meridiam. Nous avons lancé un fonds dédié à la transition énergétique en 2016 juste après la COP21. Personne n'était alors sûr des modèles économiques et peu s'engageaient vraiment sur le sujet. Ce fonds était de 500 millions, et il nous a permis de financer pour plus de 5 milliards d'euros de projet à travers l'Europe dans les domaines de l'effacement, le biométhane ou encore les recharges pour véhicules électriques. Nous y avons vu un modèle d'avenir : depuis cette stratégie a été intégrée dans tous nos fonds et est devenue un pilier de notre dernier fonds Europe IV. Et désormais, nous sommes plutôt sur une échelle à plusieurs milliards pour traiter les mêmes sujets, accompagnant la montée en puissance du secteur.

N'est-ce pas le cas de tous vos fonds ?

Tous nos investissements sont en effet dédiés à la transition écologique au sens large. Nous avons d'ailleurs mis en place un outil, « Simpl », avec une méthodologie très fine pour mesurer notre impact à la fois sur le climat, mais aussi sur les aspects sociaux, environnementaux, économiques et de gouvernance pour justement pouvoir démontrer que nos fonds sont dédiés à cette transition.

Combien cela représente-t-il ?

Avec près de 20 milliards sous gestion, nous avons réalisé plus de 85 milliards d'investissements dans plus de 120 projets, que nous gérons encore aujourd'hui.

L'inflation ne vous inquiète pas ?

Nous finançons sur le long-terme des infrastructures essentielles ou des entreprises qui en réalisent. Nous-mêmes nous nous finançons sur le long-terme avec de la dette sécurisée. Depuis notre création en 2005, nous avons connu quatre crises parfois corrélées à l'inflation. En général, les revenus de nos actifs augmentent avec l'inflation et en sont donc protégés. Grâce à des financements à 20-30 ans à taux fixe, nous sommes largement immunisés.

Outre la décarbonation de l'énergie pour l'industrie, quelles sont vos priorités ?

Nous décarbonons également les transports, grâce par exemple au développement de nouveaux bus 100% électriques en Afrique qui remplacent les anciens qui fonctionnent au diesel, la construction du 1er interconnecteur électrique sous-marin entre l'Allemagne et le Royaume-Uni qui alimentera 1,5 million de foyers en énergies complètement renouvelables. Nous investissons aussi massivement dans la décarbonation de la route en général.

Concrètement, comment cela se traduit-il ?

Nous y divisons par deux la consommation d'énergie en installant des LED et des bornes de recharge pour véhicules électriques, mais aussi en gérant les ressources ou en utilisant les terrains disponibles pour accroître et régénérer la biodiversité. Notre objectif est d'atteindre le net zéro carbone pour tous nos projets sur les scopes 1 et 2 dès 2030.

Vous avez en effet investi très tôt dans l'entreprise néerlandaise Allego avec laquelle vous revendiquez 40.000 bornes de recharge rapide en Europe dont 2.000 en France.

Nous avons investi dans cette société hollandaise en 2016 qui est devenue aujourd'hui un leader européen en la matière et s'est développée depuis dans une dizaine de pays dont l'Allemagne, le Royaume Uni, la Belgique et la France. Dans l'Hexagone, nous avons des accords avec Casino et Carrefour pour implanter dans toutes la France des bornes de recharges pour tous les usages. Nous en avons déjà construit plus de 1000, et allons doubler ce chiffre dans les prochains mois.

Comprenez-vous l'alerte du Sénat sur les zones à faibles émissions-mobilité, faute de véhicules électriques suffisants sur les routes ?

Temporiser c'est signer l'échec des ZFE. Concentrons-nous sur un meilleur accompagnement des ménages et décarbonons la mobilité en développant les transports en commun.

D'autant que la promesse du président-candidat Macron de leasing de voiture électrique se fait toujours attendre.

Le président de la République et son gouvernement ont beaucoup œuvré en faveur de la transition et la décarbonation, certains ont tendance à l'oublier mais ce sont des milliards d'euros de bonus écologiques qui auront été versés pour les automobilistes français. Les actions ont aussi été volontaristes au niveau de la réglementation. La volonté d'accélérer le leasing est bonne, mais se heurte à des difficultés de passage à l'échelle pour le gouvernement. Je suis cependant confiant car un véhicule électrique coûte moins cher à l'usage, donc l'industrie finira par développer cette offre d'elle-même. L'Etat pourra aider à développer la chaîne de production de ces véhicules pour en réduire le coût et monter un écosystème de gigafactories en France.

Et l'hydrogène, pourquoi ne misez-vous pas plus dessus ?

Nous misons déjà sur l'hydrogène ! Mais il faut savoir dans quel domaine. A ce stade, cela ne nous apparaît pas comme une solution viable pour la mobilité : les véhicules sont coûteux et, surtout, la chaîne de production de l'hydrogène représente une perte énergétique de plus de 3/4 par rapport aux véhicules à batterie. L'hydrogène reste cependant une brique intermédiaire absolument nécessaire pour produire des carburants durables ou décarboner certaines industries lourdes et nous étudions plusieurs projets, dont la faisabilité économique est encore soumise à analyse de notre part.

Sans transition, vous venez d'ouvrir votre capital à hauteur de 20% à Samsung Life Insurance, un assureur coréen. Pourquoi lui ? Dans quel but ?

Nous y pensions depuis un moment pour soutenir notre nouvelle phase de croissance. Dans ce monde éclaté et dans ce contexte économique compliqué où nous assistons à un phénomène de concentration, les levées de fonds sont difficiles pour beaucoup de classes d'actifs. Alors que les taux d'intérêt sont repartis à la hausse, nous souhaitions être accompagnés d'un partenaire et investisseur de long-terme, ne serait-ce que pour apporter des fonds propres supplémentaires et développer de nouveaux produits. Samsung Life Insurance était déjà investisseur chez nous et nous a offert cette capacité.

Pour entrer demain en Asie ?

Non et ce n'est pas du tout le sujet. Nous avons 3 zones géographiques de développement : l'Europe, l'Amérique et l'Afrique. Sur ce continent nous avons d'ailleurs l'ambition de passer de 5 à 10 milliards d'euros d'investissement d'ici à 3 ans. Nous venons d'annoncer le rachat avec Engie de BTE Renewables, l'une des principales sociétés africaines opérant dans les énergies renouvelables en Afrique du Sud et au Kenya. Grâce à cet investissement, nous allons doubler notre capacité totale de production renouvelable en Afrique à 500MW.

Une annonce qui intervient alors que le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial se tient à Paris ces 22 et 23 juin.

Les besoins sont immenses. L'Afrique est un marché compliqué, mais il y a de l'énergie et de la discipline. Il est possible d'y investir sur le long-terme et de manière saine. Rien qu'en matière de besoin d'infrastructures, c'est un plus grand marché que l'Europe. C'est même le marché de demain en matière de transition ou de transport. Nous réalisons ainsi le nouveau réseau de transport en commun propre et 100% électrique de Dakar. Il y a en outre déjà beaucoup d'énergies renouvelables et de stockage d'énergie sur le réseau. Cela se développe bien plus rapidement qu'en Europe !

Sans transition, quel bilan tirez-vous du nouveau Suez dont vous êtes l'actionnaire de référence ?

D'abord Suez a retrouvé l'esprit de conquête et c'est un acteur avec lequel il faudra compter. Suez est une formidable entreprise et son bilan est déjà positif surtout quand on regarde sa transformation récente. L'entreprise est aujourd'hui très cohérente, dispose des moyens nécessaires pour se développer et démontre une envie et un enthousiasme important à tous les étages avec des salariés très engagés, en témoigne l'ouverture de l'actionnariat qui a été très suivi. L'entreprise est prête à jouer son rôle de leader de la transition écologique.

Quelle est sa feuille de route en France et à l'international ?

Au-delà de la croissance de ses activités et de sa rentabilité, il faut intégrer la feuille de route développement durable au reste et sans cesse innover. Suez s'est déjà diversifié, présent au Royaume-Uni, en Australie, en Afrique, en Chine, en Inde avec de vrais pôles de compétences.

Comment imaginez-vous d'ailleurs Meridiam en 2030 ?

Nous voulons être complètement décarbonés sur nos scopes 1 et 2, c'est-à-dire dépasser notre objectif de réduction de 50%. Si le volume de fonds gérés ne doit pas être une cible, la décarbonation doit être un impératif.

Que pensez-vous du rapport Pisani-Ferry sur le financement de la transition écologique ? Est-il à la hauteur des enjeux ?

Les financements sont multiples. Ne penser qu'en termes de dette publique, c'est insuffisant. Pour décarboner, il va falloir des fonds propres. Des gens comme nous peuvent en apporter. Nous pouvons également avoir des incitations fiscales pour éviter que les modèles économiques soient déficitaires, mais j'insiste : l'Etat ne va pas tout faire.

Y compris sur le nucléaire ?

Ces activités sont peu à près interdites à tous les investisseurs du fait de la demande de certains acteurs de marché, avant même la taxonomie. Peut-être que les petits projets comme les SMR rouvriront la voie au capital privé, mais des projets comme les EPR auront du mal à trouver des financeurs privés du fait de leur taille et leur durée.

Seriez-vous intéressés au cas où ces freins seraient levés ?

Nous n'excluons rien.

Enfin, pourquoi n'avez-vous jamais investi dans l'immobilier ?

Cela ne fait pas partie de notre stratégie d'investissement : nos investisseurs nous ont confié des fonds pour développer des infrastructures, reposant sur des revenus de long terme mais ne s'exposant pas aux fluctuations du prix du foncier. Nous participons à l'amélioration de l'offre avec des actions de rénovation urbaine ou d'isolation thermique, mais ne sommes pas des promoteurs : ce n'est pas le même métier ! D'autant plus que le marché est dans une phase compliquée...

N'est-ce pas du fait de la hausse des taux d'intérêt qui freine l'octroi de crédits ?

Ces taux ne sont pas plus élevés qu'il y a dix ans. Ce n'est pas la raison principale ; l'incertitude pèse beaucoup, j'espère pour tout le monde qu'elle se dissipera bientôt.

Que préconisez-vous pour résoudre la crise du logement ?

Nous avons dans le passé proposé des solutions, notamment sur le financement du logement social. Ces cinq dernières années, les bailleurs sociaux se sont financés auprès des banquiers privés, mais il faut les renforcer et les aider à produire plus. Occupons-nous des Français avant de nous occuper des professionnels. Avec l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), nous avions regardé des solutions pour monter des contrats de partenariat dans les quartiers « politique de la ville » (QPV) pour financer de la production sur trois ans avec des options de location-vente. Abaissons aussi la TVA à 5,5% pendant 5 à 10 ans pour rattraper les surcoûts actuels.

Commentaires 3
à écrit le 22/06/2023 à 18:54
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Totalement à la hauteur? Donc c'est lui qui l'a écrit.

à écrit le 22/06/2023 à 9:26
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Comment peut on encore faire confiance à une finance qui recherche des bénéfices plutôt qu'un résultat visible de tous ?!

à écrit le 22/06/2023 à 8:42
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Personnellement et aussi par culture je considère que nous devrions conserver la chose Nucléaire en dehors de la régulation par le marché pour éviter par exemple des dérives comme ce triste accident de ce sous-marin d'exploration/commercial pour mill...

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