Edouard Philippe était l'invité vedette, vendredi 9 juin, de l'assemblée générale du Medef Gironde au cours de laquelle Mathias Saura, fondateur et dirigeant de Géosat 3D, a été intronisé en tant que nouveau président de l'organisation patronale. Après avoir rappelé sa filiation politique avec l'ancien Premier ministre et maire de Bordeaux, Alain Juppé, Edouard Philippe est revenu sur sa propre actualité politique, évoquant brièvement sa récente prise de position sur l'immigration, très à droite de celle du gouvernement Borne, qu'il soutient avec sa formation Horizons. L'ex-premier Premier ministre d'Emmanuel Macron s'est ensuite exprimé sur plusieurs thèmes ayant trait à la vie des entreprises et à sa vision de la production industrielle en France.
« Depuis 1970, année de ma naissance, la part de l'industrie dans l'économie a été divisée par deux en France, qui est devenue l'un des pays européens avec l'industrie la plus faible. Nous avons vécu une forme de désindustrialisation. Pour prendre un exemple, dans l'Union européenne il n'y a qu'un pays où la part de l'industrie dans le produit intérieur brut est plus faible qu'en France : c'est le Luxembourg, qui n'a jamais été une puissance industrielle... », a ironisé l'ex-Premier ministre.
« Méfions-nous des discours sur la relocalisation de la production »
Le fait d'être lié en tant qu'élu local à une ville qui a été quasiment rasée par les bombardements de 1944 puis entièrement reconstruite après-Guerre et au port du Havre, plus grande plateforme portuaire de tout l'Hexagone, a permis à Edouard Philippe d'attaquer la question de l'industrialisation par sa face Nord.
« Peu de gens en France se disent opposés à l'industrie. Mais quand vous expliquez qu'il faut installer une usine classée Seveso seuil haut (risque technologique majeur -Ndr) non loin de chez eux, il y a d'un seul coup beaucoup moins de partisans de l'industrie. Et bien moi, je peux vous dire que si vous avez une usine Seveso seuil haut à caser, je la prends ! Parce que ce type de projet industriel, au Havre, nous savons faire », a ainsi crânement lancé le patron de l'agglomération du Havre.
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Edouard Philippe estime aussi qu'il y a un discours de réappropriation de la production industrielle et parfois de protectionnisme conquérant qu'il ne reprend pas à son compte :
« Il faut se battre pour que la production industrielle soit aussi souvent que possible présente sur notre territoire. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Car si nous nous mettons à ne plus produire que pour notre marché national, cela ne va pas me rendre optimiste. Nos concurrents les plus sérieux, ce ne sont pas les Chinois. Mais des concurrents beaucoup plus proches de nous : les Allemands et les Italiens ! Ne l'oublions pas : l'avenir de l'industrie en France c'est aussi de pouvoir vendre à l'étranger. Vous pensez bien que nos avions, nous n'allons pas tous les vendre en France. Donc méfions-nous des discours sur la relocalisation de la production industrielle. Battons-nous pour que le plus grand nombre d'industriels vienne produire chez nous », a-t-il déroulé.
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Avec le vote en 2021 de la loi Climat et résilience, l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) doit permettre de diviser par deux la quantité de sols bétonnés d'ici 2031. Avant d'en arriver à la neutralité du solde d'artificialisation nette des sols en 2050. Alors va-t-il être encore possible de créer de nouveaux sites industriels, a voulu savoir Mathias Saura, le nouveau président du Medef Gironde. Après avoir assuré que, sous son gouvernement, la France a ouvert plus d'usines qu'elle n'en a fermées, Edouard Philippe a rappelé que, même sans le ZAN, il n'est pas facile de trouver du foncier pour construire une usine.
« Il est compliqué d'implanter un site industriel en France. C'est un problème qui ne concerne pas que l'industrie, mais aussi les infrastructures. Ceci à cause des difficultés normatives... Ce qui est insupportable, c'est l'instabilité des normes. J'ai été juge administratif, avocat, maire... et j'ai beaucoup pêché dans ce domaine. En France on s'attache plus à la lettre qu'à l'esprit de la loi... Des normes, j'aimerais bien qu'il n'y en ait plus autant. Depuis 40 ans on en produit sans cesse davantage. L'Etat a désormais des agences qui produisent elles-mêmes des normes. Le problème c'est que plus on produit des normes et plus il y a de trous dans la raquette. Un processus qui nourrit la création de nouvelles normes... », a voulu éclairer l'ex-Premier ministre.
D'où son plaidoyer un peu désabusé pour gagner en stabilité. Encore faudrait-il disposer d'un remède suffisamment puissant, parfaitement adapté et surtout accessible...
« Je crains que les seules solutions à ce problème ne soient à rechercher dans la réduction du nombre de législateurs. 577 députés ce n'est pas forcément indispensable. Ce serait bien qu'il y en ait moins mais avec davantage de moyens. Il faudrait réduire la capacité du gouvernement et de l'administration à produire des normes », a ensuite poussé le patron du mouvement Horizons. Tout en s'empressant de battre sa coulpe, parce qu'en France « des normes tout le monde en demande ».
L'ex-Premier ministre n'est pas vraiment allé plus loin sur cette question du ZAN, semblant renvoyer cette mesure à son statut d'énième couche du mille-feuille normatif cyclopéen au milieu duquel vivent les Français.
« Chez nous l'essentiel de dioxyde de carbone vient de l'activité industrielle et portuaire »
Concernant le déploiement du nouveau dispositif de zone à faibles émissions (ZFE), qui vise à mettre à l'index pour les chasser des métropoles et des centres des villes moyennes les véhicules les plus polluants, Edouard Philippe développe une analyse critique vue de sa ville.
« Le Havre est une petite ville, c'est une sous-préfecture. Mais nous allons y passer, la ZFE est un sujet. Je ne suis pas opposé à m'attaquer au sujet des zones denses. À Bordeaux il y a un léger problème de bouchons, je crois qu'on peut le dire... Mais au Havre il n'y a pas ce type d'embarras urbain. Chez nous l'essentiel de dioxyde de carbone vient de l'activité industrielle et portuaire de l'agglomération. Il serait difficile d'interdire à quelqu'un d'aller travailler en ville dans une vieille voiture, alors même qu'il y a au Havre de gigantesques parcs de conteneurs, d'énormes bateaux et de nombreuses activités industrielles polluantes », s'est presque amusé Edouard Philippe, dans une mise à distance du sujet qui pointe dans une seule direction : le ZFE ne doit pas devenir un problème économique.
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Pas question cependant pour l'homme politique de tourner le dos à l'avenir. Mais pas question non plus de laisser croire que le futur de la planète va se décider à Paris ou même dans l'Union européenne.
« La transition écologique il faut y aller. Il faut embarquer un maximum de gens. Mais ça ne se passe pas chez nous. Cela ne se joue pas chez nous ! », a martelé l'ex-Premier ministre, renvoyant au reste du monde. « Pourtant, nous devons nous adapter à la montée des eaux, à la transformation des bâtiments, à la production d'électricité, etc. Nous devons aller vite, électrifier les mobilités, contenir l'étalement urbain, repenser notre façon de vivre. Pour réussir il faut accompagner. Or nous sommes meilleurs pour produire de la norme que pour accompagner le changement. Mais on ne peut pas être contre la ZFE », a conclu l'ex-Premier ministre.
Laissant entrevoir avec un patent manque d'enthousiasme les gros obstacles politiques qui risquent de venir perturber en France la marche en avant vers un monde plus décarboné.
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