Comment l'Assemblée entend concilier réindustrialisation et « zéro artificialisation nette » des sols (ZAN)

Déjà adoptée par le Sénat, la loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires arrive cette semaine à l'Assemblée nationale. Rapporteur pour la commission des Affaires économiques, le député (Renaissance) des Deux-Sèvres, Bastien Marchive, dévoile à La Tribune ses pistes de travail pour aboutir à un texte transpartisan et répond au ministre Bruno Le Maire sur l'industrie verte.
César Armand
Alors que la France a artificialisé plus de 250.000 hectares de sols entre 2011 et 2021, il s'agit bien de limiter les droits à construire à 125.000 hectares d'ici à 2031.
Alors que la France a artificialisé plus de 250.000 hectares de sols entre 2011 et 2021, il s'agit bien de limiter les droits à construire à 125.000 hectares d'ici à 2031. (Crédits : Reuters)

C'est un sujet qui déchire la classe politique depuis les dernières élections législatives : la ZAN pour « zéro artificialisation nette » des sols. Toutes les opérations qui consistent à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier par des opérations d'aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport » font en effet l'objet d'une réglementation stricte depuis la promulgation de la loi « Climat et Résilience » en août 2021.

Tous les élus locaux et nationaux reconnaissent que la conquête des terres agricoles constitue l'une des « causes premières du changement climatique et de l'érosion de la biodiversité » et acceptent que d'ici à fin 2031, la consommation totale des espaces à l'échelle nationale ait diminué de moitié avant d'atteindre zéro artificialisation nette des sols (ZAN) en 2050. Mais sur le chemin pour y parvenir, les parlementaires se divisent.

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Acte I : pressé par les maires, le Sénat interpelle le gouvernement

Dès le 22 juin 2022, l'Association des maires de France (AMF) a saisi le Conseil d'Etat sur deux décrets d'application de la loi « Climat et Résilience » publiés le 29 avril. Elle reproche au gouvernement de donner « un coup de frein aux dynamiques locales », jugeant que ces deux décrets ont été publiés « dans la précipitation » et « dans une approche de recentralisation rigide ».

Des éléments de langage repris le 13 juillet suivant au Sénat par Françoise Gatel, présidente (UDI) de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Lors de la séance de questions au gouvernement, elle dénonce des décrets d'application « quasi kafkaïens », « qui déforment l'esprit de la loi » et [qui] « nous conduisent collectivement dans une impasse ».

Avant de demander au ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires s'il accepte « la proposition du Sénat de réviser les conditions de mise en œuvre du "zéro artificialisation nette" (ZAN) ».

En réponse, Christophe Béchu, ancien sénateur LR du Maine-et-Loire, admet « un manque d'information et d'outils pour être capables d'atteindre l'objectif ».

Acte II : le Sénat annonce le dépôt d'une proposition de loi...

Tant et si bien que le sujet se trouve, encore, sur la table le 19 juillet lors d'une réunion au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires entre les ministres et les onze associations d'élus locaux. Les représentants de l'Association des maires de France (AMF) sautent alors sur l'occasion pour évoquer la ZAN des sols ainsi que la « nécessité » de réécrire les décrets et d'obtenir des études d'impact.

En parallèle, le Sénat lance une consultation des élus locaux en ligne ainsi qu'une mission de contrôle conjointe à la commission des affaires économiques, à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances et à la commission des lois.

Résultat, en décembre, la présidente de ladite mission Valérie Létard (UDI, Nord) et son rapporteur Jean-Baptiste Blanc (LR, Vaucluse) annoncent sur le dépôt d'une proposition de loi « visant à faciliter le déploiement des objectifs de zéro artificialisation nette au sein des territoires ».

« Ce pourra être sur la base du véhicule législatif proposé par le Sénat que la discussion autour de l'évolution du cadre du ZAN s'établira », affirme 6 décembre aux parlementaires, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu.

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 Acte III :... suivi par l'Assemblée qui présente son propre texte

Sauf que le 14 février, le groupe Renaissance (ex-en Marche) de l'Assemblée nationale annonce, à son tour, le dépôt d'une proposition de loi « visant à renforcer l'accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l'artificialisation des sols ».

Pourquoi ? Lors de la présentation de leur texte le 15 février, les députés Lionel Causse et Bastien Marchive expliquent vouloir « enlever les grains de sable » et en finir avec « les approximations aux échelle régionale, intercommunale et communale » du projet de loi « Climat et Résilience ».

Pour eux, il y a deux « lignes rouges », à commencer par la garantie foncière. Le Sénat veut laisser à chaque commune une enveloppe d'au moins un hectare. Soit près de 34.945 hectares au regard du nombre de communes au 1er janvier. L'Assemblée défend, elle, une « garantie rurale » équivalente à 1% du total artificialisé entre 2011 et 2021 pour que ces maires puissent « loger les habitants et accueillir les entreprises ».

Deuxième idée forte avancée par les macronistes de l'Assemblée : une mutualisation de l'artificialisation liée aux grands projets nationaux d'intérêt général « définis par décret et limitativement énumérés », afin de ne pas impacter les droits à construire des communes les accueillant. Les sénateurs conseillent, eux, de placer les grands projets d'envergure dans un « compte foncier national » spécifique.

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Acte IV : la loi du Sénat vient d'arriver à l'Assemblée

A date, la proposition de loi du groupe Renaissance du Palais-Bourbon a disparu des écrans radars tandis que celle du Sénat, déjà adoptée au Palais du Luxembourg, arrive à l'Assemblée nationale cette semaine du 12 juin 2023. D'abord le 13 juin en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, saisie pour avis, puis en 14 juin en commission des affaires économiques, saisie sur le fond.

« Je garde la conviction que le texte auquel nous aboutirons sera un sujet transpartisan », déclare aujourd'hui à La Tribune, Bastien Marchive, député (apparenté Renaissance) des Deux-Sèvres et rapporteur pour la commission des affaires économiques du Palais-Bourbon.

Alors que la France a artificialisé plus de 250.000 hectares de sols entre 2011 et 2021, il s'agit bien de limiter les droits à construire à 125.000 hectares d'ici à 2031, avant de viser la zéro artificialisation nette (ZAN) à horizon 2050. « Nos ambitions environnementales sont intactes. Il en va de la préservation de l'agriculture, de la biodiversité et de l'eau, tout en rendant compatible la production de logements, le développement économique et la réindustrialisation », poursuit le député Marchive.

En réponse aux inquiétudes des élus locaux, le représentant des Deux-Sèvres est d'accord pour laisser « un peu plus de temps » aux conseils régionaux pour élaborer leur schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) - initialement prévu pour 2023 -, mais s'oppose à un changement de calendrier pour les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) - pour lesquels le temps court jusqu'à 2026 voire 2027.

Acte V : l'industrie verte s'invite dans le débat parlementaire

Sauf que l'industrie verte, dernier projet-phare du gouvernement, n'attend pas. Auditionné au Sénat le 31 mai, le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a déclaré « souhaiter [à titre personnel] que les projets d'industrie verte (éolien, pompes à chaleur, batteries électriques, hydrogène vert, photovoltaïque) soient exemptés du zéro artificialisation nette (ZAN) des sols ».

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Dans ce cas de figure, le rapporteur Marchive propose que 15.000 des 125.000 hectares disponibles soient affectés aux projets d'intérêt national. Parmi lesquels, les lignes à grande vitesse, les Systèmes express régionaux métropolitains, la transition écologique comme la production d'énergies renouvelables, les bases militaires, le nouveau nucléaire... Sans oublier plus ou moins « 5.000 hectares » pour l'industrie verte.

« Il ne s'agit pas de l'exempter, mais de l'ajouter au pot commun des projets d'intérêt national », nuance le député des Deux-Sèvres.

Autre sujet et non des moindres: la prise en compte des spécificités des territoires. Les maires ayant peu consommé de terres agricoles devraient bénéficier d'une garantie à construire supérieure à 50%. « Dans la loi, les bons élèves étaient mécaniquement sanctionnés. Demain, on peut imaginer une garantie rurale prise sur les 110.000 hectares restants, sans recréer de l'étalement urbain »explique le rapporteur Marchive.

Epilogue : vers l'instauration d'une clause de revoyure ?

Dernière idée sur la table : l'instauration d'une clause de revoyure en 2026 juste après les élections municipales, à mi-chemin entre l'adoption de la loi en 2021 et le premier palier de 2031 de non-artificialisation des sols. « Nous ferons un bilan sur l'agriculture, la biodiversité, l'eau, le logement, la réindustrialisation... », promet déjà le député Marchive. Rendez-vous donc dans trois ans pour ce point d'étape.

César Armand

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Commentaires 7
à écrit le 13/06/2023 à 7:32
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"Déjà adoptée par le Sénat" Avec notre président et gouvernement actuel c'est une phrase inutile puisque même les lois que tout le monde détestent passent tout de même en force donc toutes les lois qui incarneront moins de clivages que celle de la re...

à écrit le 12/06/2023 à 16:00
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Quand vous voyez en plein champs entre Orléans et Paris des plateformes logistiques sur plusieurs hectares vous avez de quoi vous interroger tout comment voir pousser de nouveaux bâtiments en face des bâtiments d'une usine de meubles désaffectée !!!

à écrit le 12/06/2023 à 15:37
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Reprendre les friches industrielles en priorité avant toute construction supplémentaire idem, pour la construction individuelle ! Tout investissement ayant besoin de publicité pour se développer est a proscrire !

le 12/06/2023 à 15:55
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tout à fait, mais les vestiges d'anciennes usines au sol déjà artificialisé ne sont peut-être pas dans des zones 'habitées' [il parait qu'on a le nombre de logements qu'il faut dans notre très beau pays mais pas aux endroits où y en a besoin]. C'est ...

à écrit le 12/06/2023 à 15:27
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On estime entre 90 000 et 150 000 hectares la superficie occupée par les friches industrielles en France en 2020, ce qui constitue un vivier de foncier considérable qui peut être utilisé pour la construction d'équipements ou de logements sans empiéte...

à écrit le 12/06/2023 à 14:11
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Le "machin" ZAN est une ânerie que d'aucuns commencent à comprendre. Une lubie techno-ecolo qui crée plus de problèmes qu'elle n'en résoud.

à écrit le 12/06/2023 à 14:05
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Je suis monteur électricien industrielle

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