L’innovation peut aussi être sociale

Si le terme « innovation » est généralement associé à une avancée technologique, rien n’empêche d’inventer de nouvelles façons d’agir vis-à-vis des citoyens en général et de certains en particulier, afin d’améliorer le bien-être des individus et la cohésion de la société – d’autant que l’État et le secteur privé ne peuvent pas tout…(Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
(Crédits : Istock)

Que ce soit pour améliorer l'inclusion dans la société de certains citoyens - éloignés de l'emploi, par exemple -, accroître leur bien-être, permettre un accès plus égalitaire à certains services ou protéger l'environnement, ces initiatives, lancées, parfois de concert par des entreprises, des associations, des fondations, des collectivités ou des individus, s'inscrivent dans un mouvement que l'on appelle l'innovation sociale. De fait, si l'innovation est souvent associée à une avancée technologique, elle peut également éclore ailleurs.

D'ailleurs, l'innovation sociale a une définition. Ainsi, selon le Conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, elle consiste « à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou service que le mode d'organisation ».

Changement systémique

Nesrine Dani, directrice Partenariats & Innovation chez Envie - une fédération d'entreprises conjuguant activité économique et mission sociale, née en 1984 d'une idée simple : un groupe de travailleurs sociaux ont souhaité accompagner et former des personnes en difficulté tout en aidant des ménages modestes à acquérir des équipements électroménagers destinés à finir en déchets - met l'accent, dans sa propre définition, sur le fait que ces initiatives comblent un vide, car « les pouvoirs publics ne peuvent pas tout faire ou être toujours efficaces, tandis que certaines entreprises à but lucratif ne s'intéressent pas à certains sujets, pas assez "profitables" pour elles ». Quant à Mélissa Boudes, maîtresse de conférences en comportement organisationnel à l'Institut Mines-Télécom Business School, elle insiste, au-delà de la définition de base, sur le fait que, pour être véritablement sociales, ces innovations doivent non seulement « se faire de façon collective, en impliquant toutes les parties prenantes, initiateurs comme bénéficiaires, et avoir un principe "émancipateur", mais également impliquer un changement systémique ». Elle prend en exemple les coopératives d'activité et d'emploi (CAE), comme Coopaname, l'une des plus anciennes de France, fondée en 2004. Ces structures - il en existe plus de 150 en France aujourd'hui - permettent à des entrepreneurs de développer leur activité en les salariant, ce qui, en plus de leur offrir soutien, partage d'informations et opportunités d'activités croisées entre membres de la coopérative, les fait bénéficier des protections sociales attachées au statut de salarié. « Cette innovation sociale repense ainsi le droit du travail », indique-t-elle. D'autres structures proposent des postes à des personnes souffrant d'autisme, par exemple, souvent éloignées de l'emploi du fait de leur handicap, en pariant précisément sur leurs capacités spécifiques - précision, concentration, notamment -, pour en faire des atouts au sein des entreprises et pour la société dans son ensemble. D'autres facilitent, comme Singa, l'intégration des demandeurs d'asile ou des personnes ayant le statut de réfugiés dans le monde du travail ou de l'entrepreneuriat, ou offrent, comme Siel Bleu, aux personnes âgées ou atteintes de cancer la possibilité de se maintenir en forme par l'activité physique.

En synergie avec les entreprises privées

Si nombre de ces actions prennent forme dans le cadre associatif ou de l'économie sociale et solidaire (ESS), certaines entreprises, à but parfaitement lucratif, peuvent, elles aussi, pratiquer au moins sur un sujet, une certaine forme d'innovation sociale, comme on ferait de la prose sans le savoir. D'ailleurs, « l'économie doit fonctionner en synergie, avec trois piliers que sont le secteur privé à but lucratif, le secteur public et l'ESS », estime Mélissa Boudes. Moins révolutionnaires, certes, que celles des structures considérées comme faisant de l'innovation sociale pure, les actions des entreprises privées traditionnelles peuvent être tout à fait efficaces en matière d'amélioration des conditions de travail, de bien-être des salariés ou de lutte contre le dérèglement climatique. D'aucunes ont ainsi, comme les Fonderies de Sougland, dans les Hauts-de-France, opté pour la semaine de quatre jours. « Une façon d'économiser l'énergie, compte tenu des coûts qui s'envolent, et de permettre aux salariés de revenir sur site plus reposés après une coupure de trois jours », indique ainsi Yves Noirot, le directeur général. D'autres, comme ADC Propreté, à Nantes, se sont engagées dans une démarche de journée continue pour les agents, qui n'ont plus besoin de venir très tôt le matin ou très tard le soir pour passer l'aspirateur dans les bureaux. De quoi lisser et augmenter le temps de travail des salariés, souvent des femmes, d'ailleurs, sans de longues coupures dans la journée, leur permettre d'aller chercher leurs enfants à l'école ou de prendre les transports en commun à des heures décentes, sans oublier un contact bénéfique avec les bénéficiaires de leurs prestations dans les bureaux... Autre exemple, depuis septembre 2022, Openeat, une société spécialisée dans les titres-restaurants, propose aux employeurs que les salariés utilisent leur carte de crédit pour leurs frais de restauration et leurs achats de nourriture. Reconnus par un logiciel bancaire « intelligent », ces frais sont immédiatement remboursés. « Une façon, en cette période de tension sur le pouvoir d'achat, d'améliorer la trésorerie des salariés, puisque l'employeur ne prélève plus aucune somme à l'avance sur la fiche de paie », explique Jacques-Yves Harscouët, cofondateur de l'entreprise. Quant à Microdon, c'est l'inverse. La start-up propose, depuis une dizaine d'années, l'arrondi, qui permet donc d'arrondir à un chiffre supérieur la somme à payer à la caisse d'un supermarché, par exemple, et fait parvenir cette infime différence à des associations. D'autres entreprises, enfin, offrent, les unes, davantage de jours de congé parentaux que ne l'impose la loi, ou, dans le cas du cabinet PWC, notamment, des congés (de trois jours rémunérés) pour une fausse-couche. Critizr, une société lilloise spécialisée dans la relation client, a quant à elle institué, en même temps qu'un congé payé pour fausse-couche de cinq jours, jusqu'à trois jours de congés payés par mois pour règles douloureuses. Et parfois, l'État leur emboîte le pas ! Ainsi, en mars 2023, le gouvernement a instauré, à la différence d'un arrêt maladie classique, un arrêt maladie rémunéré sans jour de carence pour fausse-couche, une mesure qui devrait prendre effet début 2024.

« Au-delà des nombreuses initiatives et expérimentations éparses, le défi est de changer d'échelle, pour faire en sorte que ces innovations se consolident et se généralisent », relève toutefois Nesrine Dani. Cela a ainsi été le cas pour les territoires zéro chômeur de longue durée, un projet d'ATD Quart Monde, qui a pris une envergure nationale. Mieux, « certaines innovations sociales portées par des associations ou des entreprises françaises se sont déployées à l'international », précise Mélissa Boudes. C'est ainsi le cas de CoopCycle, une fédération de coopératives de cyclologistique, alternative aux plateformes de livraison, qui redonne le pouvoir aux livreurs à vélo grâce à un logiciel, en libre accès mais à condition de salarier les livreurs et d'avoir le statut ESS. Créée en 2017, elle est désormais présente en Europe ainsi qu'en Amérique du Nord et du Sud.

Bien placée en Europe en matière d'économie sociale et solidaire, la France fait donc aussi essaimer ses innovations sociales à travers le monde. Reste désormais à savoir si l'élan actuel donnera lieu à un véritable changement culturel ou s'il se réduira à un effet de mode, voire à un système au service de l'économique uniquement...

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T15

Commentaires 5
à écrit le 16/07/2023 à 18:08
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La suite du titre est: à condition de n'y pas mettre une borne.

à écrit le 16/07/2023 à 9:35
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Une avancé technologique ou des gains supplémentaires ? Car, question progrès, ce n'est que du virtuel ! ;-)

à écrit le 16/07/2023 à 9:22
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"d’autant que l’État et le secteur privé ne peuvent pas tout…" Vous ne pouvez pas écrire cela en cette période de néolibéralisme dans laquelle l’État n'est que le chihuahua des mégas riches de ce monde, quand on ne veut pas on ne peut pas, partir des...

le 16/07/2023 à 12:31
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S'il est le chihuahua des mégas riches alors mettons-le au regime sec et reduisons-le au strict minimum (passons de 56% à 33% de dépenses publiques sur le pib). Avec leur chihuahua en chair et os les riches seront bien tristes!

le 17/07/2023 à 7:26
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Bien sûr que non, le privé a besoin de la police et des services d'ordres divers et variés pour assoir sa suprématie, si l'2tat tombe, le privé tellement faible et corrompu tomberait également, le libéralisme ça n'existe pas. C'est ça le néolibéralis...

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