« Low-tech & réfugiés, c’est le pari de l’intelligence collective » (Marjolaine Bert)

Avec son association Eko !, Marjolaine Bert lie quotidiennement écologie et solidarité. Dans le Sud de la France et sur l’île de Lesbos, elle a choisi de faire le pari de la solidarité responsable en offrant la possibilité à des exilés de participer à des ateliers low-tech. (Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
(Crédits : DR)

Dans la chaleur écrasante de l'île de Lesbos, il faut imaginer le bruit des marteaux sur la ferraille, celui des scies découpant le bois. À 2 500 km de là, dans un ancien sanatorium situé au cœur de Briançon, les mêmes sons, les mêmes corps penchés sur un établi ou une table, fer à souder à la main. Un peu plus au sud, dans un local de la cité marseillaise, des femmes tricotent.

User de ses mains, de sa logique, de ses connaissances, de son habilité, de son expérience pour créer. Et partager. Dans chacun de ces trois lieux, des exilés ont trouvé les moyens de construire et de se reconstruire grâce à des ateliers low-tech (solutions techniques simples qui répondent à des besoins basiques comme l'accès à l'énergie, à l'eau, la production et la conservation de nourriture...). Apprendre à isoler une tente, à réparer un portable, à fabriquer un four solaire ou un frigo du désert, tout est utile, et respectueux de notre environnement. À l'origine de ces actions, il y a une femme soutenue par une équipe et des bénévoles : Marjolaine Bert, 34 ans, à la tête de l'association Eko !, structure née en 2018 à Lesbos en pleine crise migratoire.

En cinq ans, 10 000 personnes ont bénéficié de la solidarité telle que la conçoit Marjolaine Bert, qui de sa voix énergique et déterminée affirme : « Ces personnes exilées arrivent avec des compétences. On ne les envisage pas comme des victimes, mais comme des êtres possédant des savoir-faire dont nous avons besoin. Je veux croire en l'intelligence collective et en cette rencontre entre des mondes différents. » Un mot articule cette ambition : valorisation. Valoriser des hommes et des femmes, valoriser leurs connaissances et leurs expériences.

Tout cela paraît si simple énoncé comme cela. Mais il faut une sacrée dose de volonté, de courage, de persévérance, de patience aussi, pour mener à bien des missions comme celles d'Eko !. Ne pas s'arrêter au premier frein administratif ou au manque de moyens. Y croire toujours. « On s'engage au service d'une cause. Et une fois qu'on s'est lancé, on a une responsabilité. On se doit de continuer » estime Marjolaine Bert.

LE DÉCLIC

Comme dans tout destin personnel, il y a des moments fondateurs, de ces étapes qui vous poussent à agir dans un sens plutôt que dans un autre. À bien écouter Marjolaine Bert, chaque moment de sa vie s'inscrit dans une logique comme si cet engagement humanitaire était une évidence.

Marjolaine Bert a multiplié les missions notamment au Vietnam ou encore en Afrique de l'Ouest, s'est intéressée aux colocations écologiques, a fait un tour de France avec Célie Couché pour découvrir toutes les solutions en la matière (tour de France qui a donné naissance à un guide) avant de se retrouver en 2018 à Lesbos pour un mois. « À ce moment-là, je découvre des ateliers low-tech, j'ai envie de créer quelque chose. Je retourne alors sur l'île avec l'intention de monter des ateliers de réparation de vélos, d'isolation des tentes et d'accès à l'énergie. » Un an plus tard, 35 bénévoles l'ont rejointe. La suite des événements à Lesbos est compliquée : violences contre les exilés, crise sanitaire due au Covid... Il faut s'accrocher pour continuer les actions de l'association qui reçoit alors un prix lui permettant d'intégrer pendant un an un incubateur à Marseille. C'est le début des actions dans la cité phocéenne et à Briançon.

Briançon, c'est là où Marjolaine Bert a grandi. « Du haut de mes 34 ans, je peux témoigner de la fonte des glaciers » précise-t-elle. Une fille de la montagne donc, qui dès son adolescence développe une conscience politique, milite très vite au sein d'Atac 05 et envisage son cursus scolaire en cohérence avec cet engagement.

Classe prépa avec un intérêt particulier porté sur les questions économiques, Sup de Co à Montpellier, spécialité management de projet solidaire et durable, un bachelor toujours dans le même domaine et des premiers jobs chez Patagonia ou encore à l'association GERES à Marseille, une ONG pour le climat.

Elle raconte aussi les graines semées par ses parents. Elle se souvient ainsi de sa mère qui lui a appris l'espéranto, de cette maison familiale où on a toujours accueilli plein de gens. Et puis, les voyages, seule très jeune, une conscience écologique précoce... Tout cela contribue à cet esprit de solidarité que Marjolaine Bert développe depuis Lesbos jusqu'à Briançon dans un bâtiment acheté par plusieurs associations. Un tiers-lieu installé dans un ancien sanatorium de six étages rebaptisé « Les terrasses solidaires » et où se trouvent des hébergements d'urgence, une cantine solidaire, un café associatif, des activités culturelles... et les ateliers d'Eko !. « On est les écolos du lieu » reconnaît dans un éclat de rire Marjolaine.

L'ENGAGEMENT

L'engagement est son moteur depuis son adolescence. Pour autant, Marjolaine Bert n'élude pas les difficultés quotidiennes, celles qui parfois vous font flancher, découragent. Heureusement, la notion de responsabilité la rattrape toujours rapidement. Elle dit et redit que « nos choix ont des conséquences. L'engagement peut prendre des formes différentes. Il existe plein de leviers pour agir. Et nous, ça va dans tous les sens ! ». Accompagner les exilés dans leurs démarches, leur permettre de s'insérer, les amener aussi à parler, à raconter leurs parcours de vie parsemés de souffrances. Comme à Marseille, où l'atelier tricot est devenu un moment de confidences pour des femmes souvent victimes de violences.

Quand on demande à Marjolaine Bert comment se fait la communication entre des personnes de nationalités différentes, elle répond simplement : « On se débrouille. Parfois des gestes et des sourires suffisent. »

Reste que pour accueillir au mieux, il faut des bénévoles ayant eux-mêmes des compétences. Et, surtout, du temps à offrir aux autres. « On recherche en permanence des bénévoles, mais aussi des fonds, des dons de citoyens ou de fondations privées » précise Marjolaine Bert.

EN 2050

Et après alors ? Comment se projeter quand les contraintes du quotidien remplissent vos journées ? Marjolaine Bert reconnaît avoir du mal à s'imaginer en 2050. Elle sait que mener une vie personnelle et une vie professionnelle si engagée sera toujours sa principale difficulté. Que ce soit au sein d'Eko ! ou d'une autre structure.

Pour Eko !, le futur est empli de projets et d'ambition. Poursuivre l'essaimage sur le territoire, faire grossir l'association avec l'envie de faire rayonner toujours plus les low-tech. D'ailleurs, Marjolaine Bert donne régulièrement des cours dans des écoles d'ingénieurs notamment pour initier les étudiants à ces techniques. Objectif : créer des ponts entre ces enseignements et Eko !. Conserver ainsi cette idée de cercle vertueux, pour une solidarité qui lie les exilés et les bénévoles de l'association, et créer un monde où chacun apporte à l'autre. Utopique ? Pas tant que ça.

Au fait, Eko ! vient de l'espéranto et pourrait se traduire par « commencement », et du grec oïkos qui a donné les mots « économie » et « écologie » et signifiant « maison ».

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T15

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Commentaires 3
à écrit le 09/07/2023 à 7:55
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C'est plutôt nos classes dirigeantes qu'il faudrait mettre à la low tech.

à écrit le 08/07/2023 à 14:05
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"Low-tech"! Un anglicisme pour se faire comprendre des financiers !?

le 09/07/2023 à 14:04
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on parle parfois de High-Tech, là c'est son opposé. Haute Technologie, c'est long à dire, high-tech c'est compact et fait 'international'. :-) Si qq vous dit "Haute Technologie", vous réfléchirez 3 secondes et répliquerez : "Ah, vous voulez dire 'Hig...

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