
Les controverses sur la fiscalité des superprofits ne cessent d'enfler. A la fin du mois d'octobre, l'annonce de l'envolée des résultats de Shell et TotalEnergies, au troisième trimestre, a relancé les débats et propositions de taxation des profits des mastodontes pétroliers. Après avoir affirmé qu'il ne savait pas « ce qu'est un superprofit » devant le Medef à l'hippodrome de Longchamp au mois d'août, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a fait volte-face. Il s'est finalement résolu à s'aligner sur la position de la Commission européenne, conformément à la volonté du président de la République Emmanuel Macron. Bruxelles prévoit « une contribution des producteurs et distributeurs de gaz, charbon et pétrole, fixée à 33% des bénéfices supérieurs de plus de 20% à la moyenne des années 2019-2021 ».
En plein débat parlementaire sur le budget 2023, une étude de l'Institut des politiques publiques (IPP) dévoilée ce jeudi 17 novembre pourrait mettre le feu aux poudres. Après plusieurs mois de travaux, les économistes ont révélé que cette taxe pourrait rapporter entre 6 et 7,3 milliards d'euros, contre seulement 200 millions d'euros selon les calculs du gouvernement.
Pour rappel, l'amendement de l'exécutif, introduit dans le budget 2023 et s'inspirant des règles de la Commission européenne, prévoit que cette taxe doit se limiter aux entreprises qui réalisent 75% de leurs chiffres d'affaire dans « les secteurs de l'extraction, de l'exploitation minière, du raffinage du pétrole ou de la fabrication de produits de cokerie ». L'amendement prévoit de taxer à un taux de 33% les profits excédant 1,2 fois la référence, c'est-à-dire la moyenne des profits réalisés entre 2018 et 2021.
A partir des règles contenues dans cet amendement, les chercheurs n'ont pas caché leurs difficultés pour établir des résultats robustes. « Les comptes auxquels on a accès sont limités. Nous n'avons pas une vision qui permet d'avoir des chiffres solides car l'année n'est pas terminée. Il faudra être attentif sur l'amendement voté », a expliqué Laurent Bach, économiste à l'IPP et co-auteur de l'étude. Contacté par La Tribune, l'économiste co-auteur de l'étude, Paul Dutronc Postel explique : «On n'avait pas d'informations sur la façon dont Bercy a calculé ces résultats. Bercy a peut-être eu accès à des comptes prévisionnels sur les activités 2022 que nous ne connaissons pas. Est-ce que ce sont des comptes consolidés à l'échelle du groupe ou simplement ceux des activités de raffinage ?». Ces groupes ont également enregistré des pertes les années passées. «Ces pertes ont-elles été intégrées aux résultats de 2022 ?», s'interroge-t-il.
En d'autres termes, l'intégration de ces pertes aux résultats de 2022 pourrait permettre aux majors de payer moins d'impôt mais cette pratique est réglementée par le droit fiscal. La mise en place d'optimisation fiscale agressive pourrait expliquer également une partie ce fossé entre les chiffres du gouvernement et ceux de l'IPP. Mais là encore, de nombreux flous subsistent.
La taxe de la Nupes pourrait rapporter entre 18 et 44 milliards d'euros par an
De leur côté, les députés de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) ont également fait des propositions pour taxer les profits exceptionnels de ces géants. « La solution est devenue européenne car d'autres pays l'ont mis en œuvre, » a souligné le député (LFI) et président de la Commission des finances à l'Assemblée nationale Eric Coquerel lors d'une présentation à la presse. « Nous sommes pour un impôt universel afin d'éviter l'évasion fiscale et les moyens d'optimisation. La concentration dans la valeur ajoutée se fait dans les entreprises qui ont le plus profité de la hausse des prix », a ajouté l'élu de Seine-Saint-Denis.
D'après les économistes de l'Institut des politiques publiques, la proposition de loi de la Nupes pourrait rapporter entre 18 et 44 milliards d'euros, un rendement encore bien supérieur à celui de Bercy.
Evidemment, les règles diffèrent amplement de l'amendement déposé par l'exécutif. Le texte proposé par la coalition de gauche prévoit d'appliquer cette taxe aux groupes réalisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ils comptent mesurer les profits au niveau du groupe fiscal et pas seulement sur une entité.
En outre, ils veulent élargir l'assiette fiscale à d'autres secteurs que le raffinage. La Nupes propose de mettre en place une fiscalité progressive avec un taux allant entre 20% et 33%. Ce taux varie en fonction des profits réalisés par rapport à la moyenne des profits réalisés sur la période 2017-2019, avant la crise sanitaire. « On a besoin d'argent, a déclaré Eric Coquerel. Il faut aller la chercher chez ceux qui profitent le plus de la répartition de la valeur ajoutée. Le problème est qu'on aide les entreprises de manière non-ciblée. » Le député redoute une catastrophe pour les TPE l'année prochaine. Il estime également « qu'on ne peut pas envisager la politique énergétique sans penser à la bifurcation écologique. La France ne met pas assez d'investissement dans la transition écologique. »
Interrogé par La Tribune il y a quelques jours, l'ancien président du Conseil d'analyse économique et architecte du programme économique d'Emmanuel Macron en 2017, Philippe Martin s'est montré favorable à une taxe sur les superprofits. « Le bouclier tarifaire a bénéficié aux plus aisés. C'est un signe de solidarité dans ce contexte de crise énergétique. L'outil fiscal est ce qu'il y a de plus efficace pour assurer de la redistribution. » Les prochaines discussions budgétaires promettent d'être houleuses.
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