Déconfinement : les villes moyennes vont-elles (enfin) prendre leur revanche ?

À moyen voire à long terme, les métropolitains vont-ils devenir des périrubains "enracinés" dans des villes moyennes revitalisées ? Va-t-on assister à une "crise" du modèle métropolitain ? Quoiqu'il arrive, le Covid-19 va sans doute accélérer la relocalisation de la chaîne de valeur de l'activité de fabrication.
César Armand
François Rieussec, le président de l'Union nationale des aménageurs (UNAM), défend, pour demain, des villes moyennes cohérentes où il faudra localiser l'activité industrielle, équiper en logements tout en les rendant accessibles.
François Rieussec, le président de l'Union nationale des aménageurs (UNAM), défend, pour demain, "des villes moyennes cohérentes où il faudra localiser l'activité industrielle, équiper en logements tout en les rendant accessibles". (Crédits : DR)

"La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté". C'était le 17 juillet 1970. Le président Georges Pompidou écrivait à son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas pour regretter l'abattage des arbres le long des routes.

Cinquante ans ont passé, et cette prophétie s'est réalisée. Dès l'annonce du confinement, les Franciliens ont pris leur voiture pour rejoindre leurs résidences secondaires à la campagne. À moyen voire à long terme, ces métropolitains vont-ils devenir des périurbains ?

Vers "un enracinement" dans des villes moyennes revitalisées ?

André Ychéle président du directoire de CDC Habitat, la filiale de la Caisse des Dépôts dédiée au logement, partage cette interrogation et se demande "si nous n'allons pas connaître des inflexions du modèle résidentiel métropolitain en faveur d'un enracinement dans des villes moyennes revitalisées par le développement probable du télétravail". 

Dès le 27 mars, il a annoncé la production de 40.000 logements neufs dans les douze prochains mois, et "en partie" dans les 222 villes du programme "Action Cœur de ville". Depuis mars 2018, ces communes de 15.000 à 100.000 habitants peuvent  bénéficier de crédits d'études pour les commerces, le logement, le tertiaire, les zones commerciales, ou encore d'investissements pour acquérir du foncier ou des équipements. Un dispositif renforcé dans le projet de loi de finances 2019 par une niche fiscale pour les investisseurs prêts à se lancer dans des chantiers de rénovation destinés à la location dans lesdites collectivités.

Lire aussi : Rénovation : nouvel avantage fiscal dans l'ancien

"Cette production [de logements neufs, Ndlr] pourrait revêtir une dimension beaucoup plus stratégique", poursuit le patron de la CDC Habitat. "Il s'agirait, en regard de l'expérience vécue par les « confinés du Grand Paris », de conforter l'attractivité d'espaces résidentiels plus abordables et plus attrayants à la lumière de deux mois de contraintes imposées par une pandémie."

"Nos concitoyens ont besoin d'espace et d'air"

Il y a quelques mois encore, sans doute pour éviter un acte II des "gilets jaunes", le gouvernement voulait mettre fin au prêt à taux zéro (PTZ) dans le neuf dans les territoires détendus, c'est-à-dire là où l'offre existante est supérieure à la demande. Sur BFM Business en août 2019, le ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, expliquait que "si l'on veut revitaliser les centres-villes, nous devons assumer qu'en périphérie le nombre de maisons neuves diminue". En réalité, à la suite du lobbying des acteurs du BTP, les parlementaires ont adopté le maintien de cet avantage fiscal, dit Pinel du nom de la ministre qui l'a porté, lors de l'examen du projet de loi de finances 2020.

L'exécutif s'est en outre fixé un objectif de zéro artificialisation nette des sols, afin de combattre l'étalement de l'urbanisation qui "comporte des contraintes économiques, sociales et environnementales". Les préfets peuvent même déférer au tribunal administratif les collectivités qui ne jouent pas le jeu.

"Une construction individuelle sur un terrain de 500 m² laisse une part importante du sol perméable", s'agace auprès de La Tribune le président de la fédération française des constructeurs de maisons individuelles (FFC), Damien Hereng. "On peut aussi imaginer des projets de compensation et d'équilibre à un autre endroit. Les pouvoirs publics pourraient organiser cela de manière intelligente. La réalité, c'est que nos concitoyens ont besoin d'espace et de plein air."

Une "crise" du modèle métropolitain ?

De même, la présidente de la fédération des promoteurs immobiliers (FPI) estime qu'"à cette occasion, les Français vont redécouvrir cette envie d'écouter leurs aspirations profondes et pour certains privilégier les villes moyennes".

"Nous avions connu ce phénomène avec des Parisiens partis monter des chambres d'hôtes. La crise sanitaire va changer les mentalités", ajoute Alexandra François-Cuxac.

Elle ne croit pas si bien dire. Le "stratège" de l'urbanisme André Yché, qui doit penser la ville à 15, 20 voire 30 ans, confesse avoir "longtemps été sceptique vis-à-vis d'une éventuelle crise du modèle métropolitain". Au vu des événements, "il n'est pas impossible que nous assistions à une renaissance du dynamisme de ces pôles urbains d'équilibre, chers à l'ex-Datar", prédit le président du directoire de CDC Habitat. La Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar), remplacée depuis par l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), rêvait notamment de davantage de projets communs entre les villes moyennes et les communes rurales.

En contact quasi-quotidiennement avec les élus locaux, François Rieussec, le président de l'Union nationale des aménageurs (UNAM), défend, lui aussi pour demain, "des villes moyennes cohérentes où il faudra localiser l'activité industrielle, équiper en logements tout en les rendant accessibles". "Elles ont leur carte à jouer et répondent aux opérations telles que nous les demandent les Français. Mettons plus de jardins partagés, de jardins maraîchers. Les Français veulent retrouver cette appartenance à la nature", insiste-t-il.

Une relocalisation de la chaîne de valeur de l'activité de fabrication

Tous espèrent même que la transition écologique sera enfin au rendez-vous. "Nous sommes le seul secteur du bâtiment neuf qui respecte la réglementation thermique (RT) 2012 à la lettre : à titre d'exemple, nous sommes les seuls acteurs à avoir une obligation de recours à énergie renouvelable là où 80% du collectif a recours à l'énergie carbonée !", déclare Damien Hereng de la FFC.

"Nous allons même pouvoir économiser ou stocker une tonne de CO2 par logement entre les arbres, la deuxième voiture en moins, l'isolation des bâtiments et la revitalisation des centres-villes. C'est hypervertueux par rapport au dérèglement climatique", confirme François Rieussec de l'UNAM.

Si les maisons représentent actuellement entre 40 et 45% du volume de l'habitat individuel, qu'en sera-t-il vraiment lors du déconfinement ? S'il se passe 7 mois entre la signature d'un contrat et le démarrage d'un chantier contre quelques années dans le collectif, il faudra encore que les mairies rouvrent leurs services d'urbanisme pour instruire les permis de construire. Sans oublier une relocalisation de la chaîne de valeur de l'activité de fabrication.

"Cette crise est le fruit d'une hyperdépendance les uns des autres. Elle permet de s'interroger sur la nécessité de fabriquer un boulon en Afrique et un écrou en Asie. Le modèle arrive à ses limites", conclut l'aménageur François Rieussec.

César Armand
Commentaires 5
à écrit le 22/04/2020 à 17:18
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va agir comme une marque au fer rouge dans l'esprit des franciliens. Je pense que Paris qui perdait 10 000 hab/an depuis 2015 va connaître une forme d'exode accélérée pour la décennie qui commence. L'assignation à résidence a rappelé aux humain...

à écrit le 21/04/2020 à 19:29
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Les villes moyennes qui vont attirer sont celles qui ont beaucoup de foncier, pas cher, un cadre assez agréable, (le très agréable est plus cher), peu de pollution et relier à Paris à environ 2h ou moins en TGV, une économie pluri-activités. Cherch...

le 21/04/2020 à 22:26
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Se reposer entièrement sur les transports en commun est une logique dangereuse : Rien ne garantit qu'ils seront pérennes. Et puis à force de se développer, cette périphérie finit par complètement saturer ces transports : En France, on fait tout pour ...

à écrit le 21/04/2020 à 16:42
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he, si les maires des grandes villes, tres majoritairement de gauche, votent plein de mesures pseudos ecolos, c'est pas pour sauver la planete! c'est que dans des gros centres ou il y a plein de besoins sociaux a faire financer ( aides diverses, tra...

le 21/04/2020 à 17:45
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En effet, avec une taxe foncière multipliée par 4 ou 8 au m² par rapport au centre urbain, il est souvent très rentable de s'établir en périphérie des grandes villes. Sauf que les maires desdites grandes villes font le forcing pour embarquer un maxim...

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