LA TRIBUNE - L'Insee vient de dévoiler ces derniers résultats pour l'emploi en 2021 avec près de 650.000 créations de postes. Quel regard portez-vous sur ces bons chiffres ?
ALAIN ROUMILHAC- Ces chiffres traduisent un optimisme important des entreprises. Il y a une forte demande. Cela est lié à la croissance économique de 7% en 2021. L'argent public qui a été injecté a dopé cette croissance. Pour réaliser cette croissance, les entreprises ont besoin de bras mais elles n'en trouvent pas assez. Beaucoup d'entreprises dans le bâtiment et les travaux publics affirment qu'elles sont limitées dans leur activité par manque de main-d'oeuvre. Il y a des pénuries dans de nombreux domaines.
Quels sont les secteurs qui repartent le plus depuis le début de l'année 2022 ?
A.R- La situation est un peu chaotique à cause du Covid mais ça ne remet pas en cause la volonté des entreprises de recruter et leur optimisme. Le numérique est toujours le secteur qui recrute le plus. Nous assistons à une très grande transformation de l'économie.
Il y a de très fortes demandes dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. De manière globale, la demande est importante sur le métiers manuels qui nécessitent de l'expertise, les commerciaux. Toutes ces demandes provoquent des embouteillages sur le marché du travail.
Beaucoup d'entreprises expriment des difficultés de recrutement depuis plusieurs mois. Quels sont les métiers en tension actuellement ?
A.R - Beaucoup de métiers sont en tension. On cherche aussi bien des ingénieurs dans le numérique que des chauffeurs de poids-lourds, des bouchers ou des ouvriers du bâtiment. L'industrie qui repart en ce début d'année demande des compétences de plus en plus pointues en raison notamment de l'automatisation.
Derrière la hausse des prix, la question des salaires est revenue sur le devant de la scène. Pourrait-on assister à des hausses de salaires dans de nombreux secteurs ?
A.R - Deux phénomènes peuvent conduire à la hausse des salaires. Les associations de DRH indiquent que la pression monte dans les entreprises au moment des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour rattraper les salaires. L'autre facteur concerne la pénurie de compétences. Dans de nombreux secteurs, les salaires à l'embauche augmentent significativement.
La difficulté est que lorsque les entreprises augmentent ces salaires à l'embauche, il peut y avoir un effet de rattrapage pour les autres salariés. Les entreprises ne peuvent pas avoir des collaborateurs nouvellement embauchés qui sont payés 15% de plus que les autres. Je pense que la pénurie sur les compétences et l'effet rattrapage vont conduire inévitablement à des hausses de salaire inédites depuis plusieurs années.
L'économie américaine a été confrontée aux départs de millions de travailleurs qualifiés par les économistes de "grande démission". Les entreprises françaises avec lesquelles vous travaillez ont-elles été confrontées à ce type de phénomène ?
A.R- Non, pas vraiment. En revanche, beaucoup de personnes sont passées du statut de salarié à celui d'indépendant. Les entreprises actuellement sont confrontées à de fortes problématiques d'organisation du travail avec le télétravail, les équipes hybrides en interne, des salariés qui sont devenus indépendants, les prestataires qui sont souvent des indépendants. Cela va changer massivement la relation au travail, le rôle du manager, la constitution des équipes. Les entreprises doivent se réinventer pour redonner du sens, créer de l'esprit d'équipe différemment.
Cela fait plus de deux ans que la pandémie se propage partout en Europe. Malgré le virus, les entreprises ont continué à embaucher. L'objectif du plein emploi pourrait-il être atteint en 2022 ?
A.R- C'est un problème de compétences. Aujourd'hui, le chômage est proche de 7% et plusieurs milliers de postes ne sont pas pourvus. D'autres sujets liés à la garde d'enfant, au transport peuvent également jouer. Pour aller au plein emploi, cela nécessite d'approfondir l'accompagnement des demandeurs d'emploi pour essayer de comprendre ce qui les empêche de s'insérer sur le marché du travail.
Il existe également des problématiques de bassins d'emploi. Certains bassins d'emplois dans l'ouest de la France sont au plein emploi avec des taux chômage proches de 4% quand d'autres sont encore à 12% ou 15%. Cela pose la question de la mobilité. Pour parvenir au plein emploi, il faut que tous les acteurs (pouvoirs publics, pôle emploi, entreprises) aillent au contact des gens pour les aider à s'insérer sur le marché du travail. Le succès de l'apprentissage est à cet égard un bon levier.
Le groupe Manpower a enregistré un chiffre d'affaires en hausse de plus de 15% en 2021 pour s'établir à 4,3 milliards d'euros. Comment expliquez-vous un tel envol ?
A.R- Il y a d'abord eu un rattrapage de notre activité sur le travail temporaire. Il ne faut pas oublier qu'au mois de mars 2020 l'activité du travail temporaire avait chuté de 65%. C'est une bonne performance même si notre activité de travail temporaire reste en dessous de 2019.
Nous avons bénéficié d'une forte demande sur le recrutement. Le marché du recrutement a été extrêmement dynamique. Sur ce point, nous sommes revenus au dessus de 2019. Sur notre marque d'aide à la transformation digitale (Experis), Manpower est 15% au dessus de 2019. La demande en transformation numérique des entreprises et la demande d'accompagnement pour le télétravail ont été très fortes.
Quelles sont les perspectives du groupe pour 2022 ?
A.R- La dynamique devrait se poursuivre là où la demande est très soutenue. En ouvrant de nouvelles agences spécialisées sur le recrutement, cette activité devrait continuer d'augmenter. Il y a une très forte demande concernant les services numériques. Nous tablons sur une forte croissance de la demande dans le travail temporaire. En 2021, Manpower a souffert sur l'aéronautique et l'automobile. J'ai bon espoir que ces deux secteurs repartent sur une croissance significative en 2022. Nous anticipons que notre activité de travail temporaire revienne au dessus de 2019.