LA TRIBUNE : Vous publiez pour Real Estech une note intitulée « Le logement, bombe sociale à venir ». C'est incontestable. Quel est votre diagnostic ?
ROBIN RIVATON : Le diagnostic est simple : d'un côté le taux de propriétaires ne bouge plus depuis 2007, de l'autre l'accumulation du patrimoine a été massive L'étude récente de l'Insee est d'ailleurs venue mettre des chiffres sur ce phénomène. La situation inégalitaire est devenue insupportable.
Dans le même temps, la production neuve en baisse et les réglementations énergétiques liées à l'existant vont limiter l'offre de logements et mécaniquement exacerber les tensions. Tous les décideurs vous le diront : il y a la crainte généralisée d'une bombe sociale même si la mèche qui l'allumera n'est pas encore là.
Entre la réglementation environnementale des bâtiments neufs dite « RE2020 » et la loi « Climat et Résilience » qui va diviser par deux le rythme d'artificialisation des sols d'ici à 2030 et qui va faire sortir les passoires thermiques E, F et G du parc locatif en 2025, 2028 et 2034, la transition écologique ne freine-t-elle pas l'accès au logement ?
R.R. : Je soutiens puissamment la « RE2020 » dès lors que nous laissons la liberté de moyens aux acteurs de l'atteindre.
Il n'empêche : reste en haut de la pyramide de nos priorités le fait de se loger, puis se loger bien et enfin se loger vert. Adoptons donc des formules de calcul dynamiques des obligations liées au diagnostic de performance énergétique (DPE) et au zéro artificialisation nette des sols (ZAN) en fonction de ce qui est rénové et de ce qui est réalisé en production neuve.
En première ligne, les maires sont soumis à des injonctions contradictoires : ils détiennent encore et toujours le pouvoir du permis de construire, tout en ayant l'obligation d'ériger des logements sociaux, le tout dans un contexte de zéro artificialisation nette des sols (ZAN).
R.R. : J'échange régulièrement avec des présidents de conseils départementaux et des maires. Il en ressort que soit les gens n'arrivent plus à se loger, soit doivent cohabiter de manière contrainte.
La responsabilité des maires est complexe : leur jeter la pierre en disant que c'est leur faute, c'est trop facile. Ils évoluent dans le cadre d'une économie politique dont ils espèrent que les dépenses seront compensées par des recettes futures. Sauf que beaucoup d'édiles ne s'y retrouvent plus et font face à un problème de ressources. Donnons-leur donc des ressources propres et tenons réellement la promesse d'autonomie fiscale et financière.
S'agissant des refus de la construction, les maires ne sont que les porte-voix de leurs administrés. Ces derniers ont aujourd'hui des capacités de contestation associative, juridique et médiatique. Avec Facebook et Twitter, le niveau de barrière à l'entrée pour contester s'est réduit.
C'est pour cela que lorsque j'entends dire que la solution est que les préfets reprennent la main sur l'instruction des permis de construire, je suis sceptique. D'ailleurs l'Etat s'est gardé un pouvoir régalien pour dire que telle ou telle zone relevait de l'intérêt général : l'opération d'intérêt national. S'il considère qu'il faut produire des logements, quitte à déranger des riverains, il possède ce levier.
Quelle est la responsabilité de la crise sanitaire dans ce phénomène ?
R.R. : Collectivement, nous avons eu le sentiment que la crise allait conduire à une décentralisation de l'activité et favoriser le repeuplement des zones vacantes nous permettant de nous dédouaner de l'absence de toute politique d'aménagement du territoire depuis trente ans.
En réalité, ce mouvement de décentralisation est marginal et ne viendra rien contrebalancer. Il concerne surtout des personnes qui sont souvent déjà multipropriétaires ou des mouvements de métropole à métropole. Cela ne résout pas du tout les problématiques face à nous.
La multipropriété s'est donc accélérée avec la Covid-19 au risque d'entraîner de l'éviction ?
R.R. : L'épargne forcée chez les ménages assez aisés s'est en effet recyclée dans l'immobilier, avec l'acquisition de résidences secondaires sur les littoraux ou de surfaces locatives dans les métropoles régionales qui conduit à des phénomènes d'éviction.
Regardez en Bretagne ou au Pays Basque, la moindre maison qui part nourrit de la contestation. A Marseille et dans la vallée de la Loire - Angers, Tours... -, l'investissement locatif est très dynamique.
La France de propriétaires est donc devenue une France de multipropriétaires ?
R.R. : Le mythe de la France de propriétaires n'existe plus. Nous sommes le 5ème pays de l'OCDE avec le plus faible taux de propriétaires, après avoir été parmi les premiers il y a quinze ans. Nous avons donc deux France : une France de multipropriétaires et une France de locataires se répartissant entre le secteur libre et le secteur social. La bonne nouvelle, c'est que les Français achètent aux Français. Le bémol, c'est que les jeunes achètent à des ménages âgés à des montants délirants.
Pour être clair, le problème n'est pas que les Français soient multipropriétaires, mais que l'offre de logements est insuffisante. Il manque au moins un million de logements.
Je rêverais que nous puissions produire autant de logements jusqu'à ce qu'il y ait un effet de baisse des prix. A Melun, en Seine-et-Marne, la production a été telle que les prix ont baissé. Tout le monde redoute une surproduction comme en Espagne, mais en France, nous en sommes loin.
Quelle est la différence avec les logements vacants estimés à 1,1 million, toutes sources confondues ?
R.R. : Soyons honnêtes : même si je soutiens le dispositif « Louer Abordable » pour les zones tendues, les personnes qui héritent de maisons en Lorraine ou en Picardie les détruisent pour ne pas payer de taxe foncière. Ce ne sont pas des logements vacants mais des logements inhabitables.
C'est une analyse erronée de croire que la vacance structurelle en zone détendue est liée à la peur de propriétaires de louer.
Faut-il donc sanctionner les propriétaires qui ne louent pas ou les maires qui ne construisent pas ? Missionné par le gouvernement pour relancer la machine productive, François Rebsamen y était favorable avant d'y renoncer, redoutant une usine-à-gaz.
R.R. : Il faut ce mécanisme de sanction-récompense pour les autorisations d'urbanisme. Il serait complété par un outil informatique, qui ne serait pas compliqué à mettre en place, permettant de passer à un régime de préapprobation si le déposant respecte les plans locaux d'urbanisme et de l'habitat. Mon autre proposition-phare concerne la fiscalité.
Je considère ainsi que la réforme de la taxe d'habitation, qui avait des vertus pour créer un lien entre le citoyen et la ville où il habitait, est le premier domino de la fiscalité sur l'immobilier.
Il faut refondre la taxe foncière. Elle est injuste car elle frappe de manière disproportionnée les ménages dans les zones les plus détendues. Il est temps de lui redonner du sens en recalculant les bases locatives et en l'appliquant sur la valeur nette des biens. Ceux qui ont payé cher payeraient une taxe foncière limitée. Ceux qui sont propriétaires depuis longtemps et/ou par l'héritage payeraient une taxe foncière plus élevée.
Serait-ce le retour de l'impôt unique immobilier que vous défendiez dans nos colonnes dès 2019 ?
R.R. : Exactement, je garde une certaine cohérence intellectuelle. (Sourire) Cet impôt foncier viendra remplacer tous les impôts y compris l'impôt sur la fortune immobilière et les droits de mutation à titre obligation. Il n'y aurait ainsi plus aucun frein à la transaction, permettant à des gens de sortir de pièges locaux.
Si vous habitez dans un pavillon dans la banlieue Saint-Etienne, vous pouvez payer jusqu'à 1,5% de la valeur de votre bien, chaque année, en taxe foncière. Lorsque vous voulez revendre, vous subissez une perte patrimoniale de 8%. Certes, ce sont les acheteurs qui paient les « frais de notaires », mais sur ces marchés détendus, les vendeurs l'intègrent dans leur prix de vente final.
Cette nouvelle taxe foncière favoriserait les nouveaux accédants car certains propriétaires actuels remettraient des biens sur le marché.
Est-ce un sujet que vous pousserez dans la campagne ?
R.R. : Le sujet, c'est la volonté politique. Nous sommes au milieu du gué avec la réforme de la taxe d'habitation. Nous avons fait un cadeau fiscal mais nous n'avons pas corrigé les vices du système, à savoir les problèmes inhérents au logement.
Nous ne pouvons plus faire l'impasse sur une telle réflexion, sur comment une fiscalité de la propriété a exacerbé les problèmes de marché. C'est un sujet tellement majeur. Faire un impôt progressif au fur et à mesure que vous remboursez n'est pas illogique.
Si nous ne le faisons pas, nous devrons aller vers des mesures encore plus dures. La crise sociale du logement est telle que nous verrons revenir des idées comme la suppression de la plus-value des résidences principales.
Avez-vous adressé ces propositions aux candidats à l'élection présidentielle, comme Valérie Pécresse dont vous avez été le conseiller économique ?
R.R. : Je les ferai évidemment parvenir à Valérie Pécresse, mais aussi à tous les autres candidats. Ce n'est pas pour autant un rapport politicien. J'ai ainsi refusé à ce qu'il serve de porte-voix à certaines fédérations professionnelles. Ce travail ne reflète pas le lobbying des uns et des autres.
L'objectif est qu'il irrigue le débat politique. Ce n'est pas un constat hétérodoxe, mais ce que me remontent tous les acteurs, privés, publics et même politiques. Le problème majeur est qu'il y a une certaine incompréhension de ce sujet par les équipes de campagne.
Il y a parfois la croyance que des solutions marginales peuvent avoir des efforts sur un paquebot de plusieurs centaines de milliards d'euros et qui se pilote à très long terme. Le problème c'est aussi que les propriétaires qui ont fini par rembourser leurs biens comme les accédants sont plutôt favorables à la hausse des prix et que les locataires du parc social déjà installés sont moins concernés. Il faut donc compter sur les solidarités familiales. Même si des parents ont déjà remboursé l'emprunt de leur résidence, ils voient bien les difficultés de leurs enfants ou petits-enfants à se loger.
Enfin, pourquoi ne parlez-vous pas ni d'Airbnb qui empêche des gens de se loger ni des questions de donations et de successions ?
R.R. : Ce n'est pas anecdotique, mais ce n'est juste pas du même ordre d'ampleur que le phénomène de multipropriété.
C'est pareil pour les donations et les successions. J'ai fait le choix de ne pas évoquer cette question, car c'est un sujet explosif qui aurait oblitéré tout le reste de mon étude, mais je ne vois pas comment nous pourrions faire l'impasse dessus.
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Les propositions-chocs de Robin Rivaton
Contractualiser la production de logements avec un volet récompense et un volet sanction entre les collectivités territoriales et l'Etat ;
Établir une procédure automatisée de pré-autorisation d'urbanisme à parti d'une infrastructure logicielle fournie par l'Etat nourrissant une base de données centralisée sur les logements ;
Donner, en zones tendues, aux établissements publics fonciers un droit de préemption automatique des logements individuels et des terrain dont le prix du foncier s'établirait au-dessus d'un certain prix ;
Prévoir des formules de pondération des réglementations sur l'efficacité énergétique des bâtiments et le zéro artificialisation net en fonction de la production de nouveaux logements ;
Lancer le chantier de l'impôt foncier unique à échelonner sur le quinquennat 2022-2027 avec la révision de la valeur des bases locatives ;
Organiser la sortie du régime de Loueur meublé non-professionnel (LMNP) ;
Établir des baux à durée déterminée pour les nouvelles entrées dans le secteur social, prévoir des taux d'effort plancher pour les résidents non bénéficiaires des aides au logement, décaler l'âge d'exemption à la mobilité ;
Allonger la durée d'emprunt maximum de 25 à 30 ans ;
Préparer l'extinction de l'indivision et supprimer le droit d'enregistrement des parts sociales de Sociétés civiles immobilières (SCI).