"Musclons le budget et la trésorerie des collectivités locales" (Fabien Tastet, AATF)

INTERVIEW. Par la voix de son président Fabien Tastet, l'association des administrateurs territoriaux (AATF) sort, en exclusivité dans La Tribune, 20 propositions pour "soutenir et accompagner le redémarrage".
César Armand
Fabien Tastet est à la tête de ce réseau professionnel des hauts fonctionnaires territoriaux.
Fabien Tastet est à la tête de ce réseau professionnel des hauts fonctionnaires territoriaux. (Crédits : AATF)

LA TRIBUNE: Vous publiez 20 propositions pour "soutenir et accompagner le redémarrage". Que signifie "faire des collectivités locales de véritables entités économiques" ?
FABIEN TASTET, président de l'AATF: L'association des administrateurs territoriaux de France, réseau professionnel des hauts fonctionnaires territoriaux et think-tank reconnu, est convaincue qu'il faut sortir des sentiers battus si l'on veut penser une relance efficace pour notre pays. Nous proposons par exemple de soumettre les collectivités locales à l'assujettissement classique à la TVA comme n'importe quelle entreprise. Cela peut être perçu comme une révolution comptable.
En réalité, ce serait surtout une mesure de simplification administrative et une façon de muscler le budget et la trésorerie des collectivités locales qui vont tenir un rôle essentiel dans la relance de l'activité. N'oublions pas que le secteur public local représente 240 milliards de budget dont 50 milliards d'impôts économiques et 50 milliards d'investissement. Indispensable pendant la crise, il sera incontournable dans l'après crise.

Pourquoi demandez-vous à doter les collectivités locales d'une "fiscalité de résistance" alors que le président de la République s'est toujours prononcé contre l'autonomie fiscale et financière ?
Cela fait sept ans que nous alertons sur les risques liés à la trop grande volatilité des recettes des départements et des régions. Et la crise de la covid-19 l'a parfaitement illustré. Les départements voient leurs recettes, procycliques, s'écrouler alors qu'ils doivent dépenser plus pour jouer leur rôle de stabilisateur et d'amortisseur social.
Il faut donc garantir à chaque niveau de collectivités une masse suffisante de recettes de stock, recettes de « résistance » car elles restent stables malgré la crise. On pourrait par exemple s'appuyer sur les IFER, qui sont des impositions sur les réseaux. A l'inverse, la réforme de la TH , qui amoindrit de 20 milliards le périmètre actuel de la fiscalité de « résistance » est un élément de fragilisation des collectivités locales. Nous l'avions dit en son temps au gouvernement.

Aussi, croyez-vous vraiment que le gouvernement qui a suspendu les accords de Cahors, limitant les dépenses de fonctionnement, va les abroger ?
Les contrats Cahors incarnent la quintessence de la pensée unique, à moins qu'ils ne soient l'expression des poncifs les plus éculés sur les élus locaux supposés dispendieux ! Ils sont fondés sur l'idée qu'il faudrait encadrer de façon drastique l'évolution des dépenses de fonctionnement car celles-ci seraient « indignes » comparées à des dépenses d'investissement perçues comme plutôt vertueuses. Cette vision est d'un autre temps. Ayons à l'esprit que l'achat de masques, le renforcement des politiques de protection sanitaire, l'amélioration de l'accompagnement des personnes âgées, la revalorisation des « premiers de corvées », sont autant d'enjeux qui passeront par une hausse des crédits de fonctionnement !
Nous pensons qu'il est temps de sortir des approches tutélaires et que l'État devrait proposer au secteur public local un vrai partenariat de responsabilité et de confiance. Les collectivités locales pourraient s'engager sur une maitrise dans la durée d'agrégats comme l'épargne brute, la capacité de désendettement et contribuer ainsi aux équilibres budgétaires de la Nation. En contrepartie, l'État stabiliserait les dotations, ne ferait pas ingérence dans la structure interne de leur budget et leur accorderait davantage d'autonomie.

L'exécutif s'est aussi toujours refusé à affecter davantage de fiscalité environnementale au local, que vous appelez de vos voeux. Le milliard supplémentaire de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) est-il un premier pas?
Oui, c'est une bonne chose. C'est un soutien qui traduit en quelque sorte la fonction assurantielle de l'État face à la crise et qui pourrait par exemple permettre au secteur public local de déployer un grand plan de rénovation énergétique de son patrimoine bâti favorisant le développement durable et l'emploi non délocalisable.
Mais ce qui intéresse les collectivités locales, c'est aussi de se voir reconnaitre par le gouvernement plus de libertés d'action. Ainsi, le législateur pourrait accorder aux collectivités locales davantage de pouvoir de décision sur leurs recettes. Différencier le taux d'imposition du foncier bâti entre les entreprises et les ménages, moduler l'assiette d'imposition des entreprises pour pouvoir créer de quasi zones franches, accorder des franchises durables aux restaurateurs ou aux commerçants qui utilisent l'espace public seraient des instruments qui permettraient aux décideurs locaux, qui connaissent parfaitement leurs tissus d'entreprises, de prendre des mesures rapides et adaptées pour favoriser la relance de l'activité.

Quels seraient les "secteurs gagnants" qui pourraient faire l'objet d'une "contribution exceptionnelle et provisoire" que vous défendez ?
Cette idée est vieille d'un siècle puisqu'en 1916 un tel dispositif avait été mis en place dans notre pays. À l'époque, les entreprises devaient verser à l'État la différence entre les bénéfices réalisés en temps de paix et ceux réalisés pendant la guerre. Cette contribution visait à les faire participer à l'effort collectif de reconstruction.
L'INSEE est tout à fait capable de nous dire quelles sont les secteurs auxquels la crise de la Covid a procuré des gains d'opportunités : l'industrie pharmaceutique, la grande distribution, les entreprises du secteur de l'information et la communication, les Gafas, etc. Et nous identifions aussi les secteurs qui ont particulièrement souffert : le tourisme, l'hôtellerie, la restauration, le commerce, l'automobile etc.
Il paraîtrait juste d'effectuer un prélèvement sur les résultats des premiers à destination des seconds. Et pour que l'acte de solidarité soit parfaitement transparent, les sommes prélevées seraient budgétairement affectées au secteur en difficulté. L'argent irait ainsi de l'économie à l'économie dans un mouvement de redistribution entre les gagnants et les perdants.

Vous voulez enfin faciliter l'entrée des intercommunalités au capital de sociétés commerciales. Les sociétés d'économie mixte ne suffisent pas ?
Que vaut-il mieux faire ? Subventionner le secteur privé avec des contreparties hypothétiques et parfois même à fond perdus quand les sociétés bénéficiaires finissent par mettre la clé sous la porte. Ou entrer au capital d'entreprises et se donner ainsi les moyens d'être plus exigeant notamment en matière de préservation de l'emploi, d'investissements d'avenir ou de relocalisation d'activité.
L'entrée au capital de sociétés est déjà pratiquée par les régions, il s'agirait de l'étendre à d'autres niveaux de collectivités locales. Je vois bien la critique qui consiste à dire qu'on renouerait avec un passé qui n'a pas toujours été glorieux mais nous pourrions tout à fait encadrer cette démarche avec des garanties spécifiques en matière de déontologie, de durée et de niveau d'intervention ou encore d'étude d'impact préalable que pourrait opérer par exemple les chambres régionales des comptes. Le « monde d'après », c'est peut-être aussi une autre façon d'envisager les rapports entre le public et le privé !

Lire aussi : Municipales: « Que les collectivités soient décisionnaires ! »

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Cliquez sur l'image pour accéder aux 20 propositions:

AATF

César Armand
Commentaires 4
à écrit le 13/06/2020 à 13:57
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La France est malade de toutes ces couches administratives, avec les fonctionnaires qui vont avec, et les budgets bien sûr ! Ça et le social voilà pourquoi on ne peut plus rien investir.

à écrit le 13/06/2020 à 3:17
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Quel idée saugrenue, ils ou elles ne jettent pas assez d'argent par les fenêtres peut-être ?

à écrit le 12/06/2020 à 9:38
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Il y a trop de collectivités locales : épluchons le millefeuille administratif français qui coûte cher et est incompréhensible aux investisseurs et acteurs économiques tellement les compétences sont intriquées et dispersées sur le plan institutionne...

le 12/06/2020 à 16:14
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Le seul problème est dans le bloc communal. 35000 communes c'est absurde. l'echelon départemental a son sens avec des régions immenses que nous avons.

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