Pourquoi Jean-Pierre Jouyet fait son coming out contre Macron…

POLITISCOPE. Lorsqu'Emmanuel Macron était ministre de l'Economie sous François Hollande, Jouyet l'affectif n'avait d'yeux que pour lui. Il voyait en lui un véritable fils spirituel. Aujourd'hui, cette époque est révolue.
(Crédits : © Philippe Wojazer / Reuters)

Pour les hauts fonctionnaires de Bercy, c'est le patron. Durant longtemps grand manitou de l'inspection générale des Finances, Jean-Pierre Jouyet est la quintessence du « grand serviteur de l'Etat ». Ami de François Hollande, il fut ministre de Nicolas Sarkozy. En 2007, il participa aux « Gracques », ce groupe de hauts fonctionnaires qui en appelaient à une alliance entre le PS et l'UDF, préfiguration « d'En Marche » et du macronisme... et quelques années plus tard, c'est justement lui (comme d'autres) qui mettra le pied à l'étrier d'Emmanuel Macron dans les hautes sphères du pouvoir. En annonçant sur les marches de l'Elysée la nomination de ce dernier comme ministre de l'Economie, il avait même esquissé un petit sourire de satisfaction. Histoire de bien montrer que cette décision lui devait également un peu, et pas uniquement à Manuel Valls, alors Premier ministre.

À l'époque, Jouyet l'affectif n'avait d'yeux que pour Macron. Il voyait en lui un véritable fils spirituel. Mais aujourd'hui cette époque est révolue. Trois ans après son départ de l'Elysée, le discret Jean Pierre Jouyet a même décidé de mettre les pieds dans le plat en publiant un livre dans lequel il ne cache pas sa déception à l'égard de son ancien protégé (L'envers du décor - Dans l'intimité de nos présidents aux éditions Albin Michel). Dans une interview donnée à l'Obs, on sent même l'ancien secrétaire général du « château » un peu perdu : « Je ne sais plus ce qu'il pense. Je l'ai connu plus à gauche que moi et même après les gilets jaunes, il droitise sa politique ». Jouyet a même du mal à comprendre pourquoi Emmanuel Macron parle autant à Nicolas Sarkozy.

L'origine de cette incompréhension trouve pourtant son origine dans la campagne d'Emmanuel Macron en 2017. Jouyet, comme d'autres soutiens de François Hollande, se persuadent alors que l'ancien collaborateur du président pourrait être un plan B valable. En annonçant sa candidature en novembre 2016, le jeune ambitieux n'avait pourtant pas aidé son ancien patron (c'est un euphémisme), qui décida de jeter l'éponge. Jouyet pense néanmoins que Macron gouvernera comme un « social démocrate ». Méthode Coué en l'occurence, car le futur président avait en réalité prévu dès l'été 2016 de faire « une campagne à droite ». C'est ce qu'il avait confié à l'époque à un autre proche de François Hollande, le communicant Robert Zarader.

Un appel pour un candidat de centre gauche?

Le haut fonctionnaire Jouyet affirme dans son livre que son ancien protégé a coupé les ponts avec lui juste après l'annonce de sa candidature. Cela ne l'a pas empêché d'être nommé ambassadeur à Londres quelques mois plus tard. Jouyet aurait tant espéré jouer un rôle central dans la campagne d'Emmanuel Macron. Ce ne fut pas le cas. Le candidat Macron a préféré recevoir de l'aide en dehors de la « hollandie ». François Fillon avait beau renvoyer Macron à Hollande, dans les coulisses, les futurs rapprochements entre la droite classique et le futur président étaient déjà mis en route. Ce retour sur le passé récent (très peu analysé à l'époque par la plupart des médias) permet de mieux comprendre la rapidité avec laquelle Emmanuel Macron a finalement réussi à siphonner la droite après avoir profité de l'implosion du PS. Mais cette confidence de Jouyet (le fait d'avouer au grand public que Macron a coupé les ponts avec lui), lui coûte : il affirme de cette manière ne plus être en cour. Il commet aussi un crime de lèse majesté vis à vis du roi actuel. L'air de rien, dans cette rentrée bien morose, cette plainte à l'encontre d'Emmanuel Macron, presque incongrue tant elle est exprimée sur un terrain affectif et personnel (Jouyet parle de « blessure »), est encore un signe que le quinquennat touche à sa fin. Peu à peu, les forces politiques tentent de se mobiliser vers la présidentielle. Étrange ambiance alors que le débat politique reste saturé par l'agenda élyséen, qui passe allègrement de la gestion de la crise sanitaire aux incantations républicaines. Les Français attendent pourtant un avenir, un projet, un chemin. Qu'il soit porté par Emmanuel Macron ou un autre. C'est tout le paradoxe de cette apparente stabilité du pouvoir que les institutions de la Vème République assurent. À quelques mois de la fin 2020, à près d'un an et demi de la future présidentielle, c'est aujourd'hui l'incertitude qui prévaut dans la tête des Français, quand ce n'est pas l'incompréhension ou la colère. Une incertitude source d'angoisses, peu propice à la reprise économique pourtant tant nécessaire.

Dans ce contexte pour le moins déstabilisant, une chose frappe : en dehors de Marine Le Pen, Jean Luc Mélenchon et Xavier Bertrand, ils sont finalement encore peu nombreux aujourd'hui à montrer leur ambition pour l'Elysée. « ça ne se bouscule pas au portillon », remarque un proche de François Hollande. L'offre politique apparaît comme arasée, le débat saturé de polémiques à courte vue. En démocratie, les plateaux des chaînes d'info ne peuvent pourtant pas remplacer les projets politiques offerts aux citoyens. La déception affichée de Jean-Pierre Jouyet à l'égard d'Emmanuel Macron semble être également un appel pour susciter une candidature de centre gauche.

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(*) Chaque vendredi, retrouvez la chronique "Politiscope" sur La Tribune de Marc Endeweld, journaliste d'investigation, auteur de "Le Grand Manipulateur. Les réseaux secrets de Macron", chez Stock.

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