Pour LREM, la rentrée semble bien difficile. Les députés marcheurs soutiennent de plus en plus à reculons un Premier ministre qui ne goûte guère le dialogue malgré ses intentions initiales : « Jean Castex, c'est surtout "moi, je..." », ironise un pilier de la majorité. « Castex, il sort de nulle part. Certes, c'est un haut fonctionnaire, mais c'est un tout petit élu, il ne dispose pas des réseaux politiques d'Edouard Philippe. Il ne sait pas ce que c'est un député, et il dit "c'est moi votre chef" », soupire un autre. Manque de concertation donc, mais surtout une volonté de mettre la couverture à lui qui irrite au plus haut point : le ministre de l'Economie, des Finances, et de la « Relance », Bruno Le Maire, n'a pas digéré de s'être fait voler la vedette au moment de l'annonce du plan gouvernemental censé répondre à la crise économique post-Covid.
Les mauvaises langues vont jusqu'à dire que l'économie n'est pas la spécialité de Jean Castex. Le Premier ministre a pourtant consulté à tour de bras sur le sujet au cours de l'été. Il y a toujours un temps pour apprendre... Une chose frappe cependant : alors que cela fait seulement quelques semaines qu'il est à Matignon, l'ancien maire de Prades n'imprime pas au sein de la majorité. « Castex ne tient ni ses anciens amis, ni les cordons de la bourse, ni sa majorité », persifle un macronien de la première heure. Voir Aurore Bergé réussir à mettre en difficulté Christophe Castaner lors de l'élection du nouveau président de groupe LREM montre la fragilité actuelle de la majorité.
Et ce n'est pas la nomination récente à Matignon de Camille Pascal, l'ancienne plume de Nicolas Sarkozy, et ancien collaborateur de Valeurs Actuelles, comme conseiller politique, qui va arranger les choses. Cette arrivée n'est vraiment pas du goût de députés qui, pour la plupart, ont été élus en 2017 peu de temps après la campagne présidentielle où le candidat Macron avait déclamé être le chantre du « progressisme ». C'était l'époque de la bande d'Ismaël Emelien, venue des rangs d'Havas et de la strauss-kahnie, ceux-là même qui s'étaient surnommés les « mormons », puisque leur seul objectif était de servir leur chef Macron, à tout prix.
Depuis, l'affaire Benalla et les Gilets jaunes sont passés par là, et cette bande des origines s'est retrouvée éjectée peu à peu du Château. Ces derniers jours, le départ du plus vieux, Philippe Grangeon, ancien conseiller de la CFDT sous Nicole Notat et de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, l'un des piliers d'En Marche, est également un autre signe notable. Lui part officiellement à la retraite. Mais sa volonté de mettre en place un « acte 2 » du quinquennat, plus social, plus écologique, davantage à l'écoute des gens, a échoué.
Serait-ce l'approche de 2022 qui pousse Emmanuel Macron à se réfugier dans les débats identitaires qu'il s'était gardé jusqu'à présent de mettre en avant ? En novembre 2015, devant les Gracques, ce groupe de hauts fonctionnaires qui prônaient alors un rapprochement entre le centre droit et le centre gauche, le tout jeune ministre de l'Économie de François Hollande expliquait quelques jours après les attentats du 13 novembre que la réponse devait être économique et sociale, un discours qui tranchait avec l'unanimisme sécuritaire du moment. Aujourd'hui, le président qu'il est devenu ne cesse d'affirmer son autorité sur les sujets régaliens. En célébrant la République du 4 septembre, en nommant Gérald Darmanin à l'Intérieur, en voulant lutter contre « les séparatismes ». On est loin, bien loin, du discours de la « bienveillance » de 2017. Ce rapprochement avec les thématiques de l'ex « droite populaire » de l'UMP est assumé du côté des équipes du président.
Le Monde, après avoir parié sur la mise à l'écart du conseiller Bruno Roger-Petit peu de temps après l'affaire Benalla, le présente désormais comme l'un des principaux inspirateurs de ce « tournant » identitaire. En réalité, « BRP », devenu conseiller mémoire à l'Elysée, a toujours su garder l'écoute du président, et bien que l'ancien journaliste vienne du centre-gauche, a toujours su cultiver les proximités du côté de la droite de la droite. Ces pas de côté sont en réalité à l'image de son patron de président qui, au-delà, du cas emblématique de Philippe de Villiers, a toujours aimé dialoguer avec le camp réactionnaire. C'est ainsi qu'il accepta d'être interviewé longuement en octobre 2019 dans Valeurs Actuelles, par Louis de Raguenel, devenu en cette rentrée - et dans la douleur - rédacteur en chef adjoint politique d'Europe 1.
Déjà, par le passé, lors de la Commission Attali, Emmanuel Macron s'était rapproché du journaliste Yves de Kerdrel, un libéral certes, mais qui dirigeait à l'époque Valeurs Actuelles. Le président a donc toujours été multiple dans son positionnement idéologique, ce qu'il a résumé durant sa campagne de 2017 par la formule bateau du « en même temps ». Pour lui, son positionnement tactique compte avant tout, son vagabondage politique en est simplement l'un de ses instruments fétiches. « Il s'agit de trianguler », nous confiait un très proche conseiller d'Emmanuel Macron en février 2017. Un vocabulaire que n'aurait pas renié Nicolas Sarkozy en 2010 après son discours de Grenoble, et son rapprochement avec Patrick Buisson.
C'est également dans cette séquence qu'il faut replacer ses déclarations récentes contre Europe-Ecologie-Les-Verts qui a multiplié les réserves contre le déploiement de la 5G en France. Le président est allé jusqu'à les traiter d' « Amish », incapables de considérer le progrès technologique. Un mot fait pour cliver, pour faire peur, mais aussi pour apparaître comme le seul à même de relever les défis du futur. Habile sûrement, mais cette sortie est également le signe qu'à moins de 600 jours de la prochaine échéance présidentielle, Emmanuel Macron, empêtré comme la plupart des leaders mondiaux dans la crise du Covid-19, préfère décentrer l'agenda médiatique, en l'absence de cap clair et de stratégie pour l'avenir.
Dans son entourage, on préfère parier sur un rebond de l'économie en 2021, lui permettant d'écarter les oiseaux de mauvais augures et autres Cassandre, qui, tel Nicolas Sarkozy, ne cessent d'agiter la perspective d'un chaos à venir pour mieux revenir au premier plan. Dans cette catégorie, on trouve désormais Edouard Philippe, l'ancien Premier ministre, qui a prédit il y a quelques jours dans un discours que nous allions au devant de « tempêtes ».
De son côté, François Bayrou, nouveau « haut commissaire au plan » se positionne également. De plus en plus de députés LREM se rallient au groupe Modem à l'Assemblée Nationale (six depuis le mois d'août). C'est également le parti du béarnais qui a pris le leadership dans le cadre de l'intergroupe LREM-MoDem-Agir. « Au moins eux savent faire de la politique ! », soupire un militant LREM.Dernière déconvenue pour Jean Castex, constitutionnellement le patron de la majorité, François Bayrou, pourtant officiellement rattaché à Matignon, à prévenu dans une interview qu'il ne rendrait des comptes qu'au président. Histoire pour quelques mois encore de respecter la bienséance de la Vème République, avec la prééminence du président de la République sur tous les autres pouvoirs. Mais pour combien de temps encore ?
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