Le nouveau quinquennat démarre sur les chapeaux de roue à Bercy. Seulement quatre jours après la nomination du gouvernement, le ministre de l'Economie recevait une grande partie du patronat français au septième étage de l'hôtel des ministres ce lundi 23 mai en début de de soirée. Étaient conviés le Medef, l'U2P, la CPME, l'UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie), France industrie, la Fédération française du bâtiment (FFB) ou encore la Fédération nationale des travaux publics (FNTP).
La première réunion à Bercy de ce nouveau quinquennat avait pour thème la lutte contre l'inflation et les priorités économiques et financières à engager pendant les prochaines années. "Il faut aller très vite et répondre aux préoccupations de nos compatriotes. L'inflation est une source d'angoisse pour des millions des Français", a déclaré le ministre de l'Economie lors d'un point presse. "Certaines entreprises vont pouvoir augmenter les salaires. Elles doivent le faire. D'autres ont moins de marges de manœuvre. Pour elles, il y a un instrument efficace qui est la prime Macron. C'est un instrument qui doit être massivement employé", a-t-il ajouté reprenant une des mesures défendue par Emmanuel Macron lors de sa brève campagne présidentielle.
Une partie du patronat s'oppose à une hausse du salaire uniforme et généralisée
Une partie du patronat s'est vivement opposée à une augmentation généralisée des salaires. Le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises François Asselin a exprimé une fin de non-recevoir à la fin de la réunion. "L'entreprise ne peut distribuer que ce qu'elle gagne", a-t-il déclaré. Le patron des patrons de PME a ainsi répété "qu'il n'y aura pas de hausse de salaire uniforme (...). Vous aurez autant de situations que d'entreprises différentes". De son côté, le responsable de l'U2P (Union des entreprises de proximité) Dominique Métayer a expliqué "qu'il faut être vigilant en termes de hausse de salaires."
Du côté de Bercy, le gouvernement s'oppose à une réindexation des salaires sur l'inflation à l'exception du SMIC. La nouvelle porte-parole du gouvernement Olivia Grégoire a déclaré à l'issue du premier conseil des ministres ce lundi en début d'après-midi que "le gouvernement n' a pas le pouvoir d'augmenter les salaires des Français en appuyant sur un bouton".
Pour rappel, le SMIC en France est indexé sur l'inflation mais ce n'est pas le cas pour les autres catégories de salaires. Pour tenter de déminer le terrain, le gouvernement a annoncé l'indexation des minimas sociaux et des retraites à l'été. Il reste qu'une grande partie de la population active a déjà perdu des revenus issus du travail en raison de l'inflation et cette érosion devrait se poursuivre. En effet, l'Insee table sur une inflation supérieure à 5% au mois de juin prochain.
Un paquet pouvoir d'achat et un budget rectificatif en préparation
Le gouvernement a promis de présenter un paquet pouvoir d'achat avant les législatives et de faire voter au parlement un budget rectificatif après ce scrutin. Cette enveloppe doit comporter le dégel du point d'indice des fonctionnaires, le chèque alimentaire, les revalorisations des retraites et des minima sociaux mais il pourrait être loin d'être suffisant pour compenser les pertes de pouvoir d'achat subies par les ménages modestes. Pour plusieurs économistes interrogés par La Tribune récemment, ce paquet pouvoir d'achat "n'est qu'une rustine".
Le gouvernement et le patronat plaident pour l'intéressement et la participation
A l'issue de la réunion, Bruno Le Maire et les représentants des organisations patronales ont plaidé en faveur d'autres dispositifs pour tenter d'améliorer le pouvoir d'achat des salariés. Le ministre de l'Economie récemment reconduit dans ses fonctions après un quinquennat chamboulé par des crises a défendu "la participation et l'actionnariat salarié. Beaucoup de chefs d'entreprise ont exprimé des difficultés pour la mise en œuvre de ces dispositifs."
La loi Pacte (plan d'accompagnement pour la croissance et la transformation des entreprises) votée en 2019 comprend un volet important sur l'intéressement et la participation des salariés aux résultats de l'entreprise. Ce texte de loi que le ministre a longuement porté n'a pas forcément obtenu les résultats escomptés sur ces deux leviers. Le ministre a lui même reconnu que ces deux outils n'étaient pas assez mobilisés à l'intérieur des entreprises et il s'est dit prêt à "assouplir les règles."
L'industrie en première ligne, les services s'en sortent mieux
L'une des difficultés pour l'exécutif est que la guerre en Ukraine n'affecte pas les secteurs de la même façon. "Il y a une dichotomie entre l'industrie et les services", a rappelé à La Tribune, la cheffe économiste du cabinet BDO Anne-Sophie Alsif. La plupart des enquêtes de conjoncture menées au premier trimestre et les indicateurs avancés font part de nombreuses craintes chez les industriels.
"Sur l'inflation, les hausses de prix peuvent encore passer dans de nombreuses entreprises. Il n'y a pas encore d'effondrement des marges à ce stade. Les difficultés concernent surtout les pénuries et les difficultés d'approvisionnement", poursuit la professeure d'Economie à La Sorbonne. En revanche, les services moins dépendants de l'étranger sont relativement préservés pour l'instant. Face à toutes ces inquiétudes, le ministre de l'Economie a annoncé qu'il allait recevoir les syndicats de salariés dans les jours à venir.
Revalorisation des retraites
Ce débat sur les salaires intervient alors que les retraites vont être revalorisées. Censée figurer dans le prochain projet de loi sur le pouvoir d'achat, cette revalorisation devra être "a minima de 4,5%, avec effet rétroactif au 1er janvier", ont réclamé lundi neuf organisations de retraités. Emmanuel Macron avait annoncé durant la campagne présidentielle une revalorisation exceptionnelle des pensions de base au 1er juillet. Les syndicats de retraités font maintenant connaître leurs exigences.
Avec une inflation à 4,8% sur un an en avril, qui pourrait encore grimper à 5,4% en juin selon l'Insee, les quelque 17 millions de retraités français voient leurs revenus décrocher à nouveau, après avoir déjà perdu "plus de 10%, soit un mois de pension" depuis 2014, a rappelé Patrice Perret (Solidaires). Fin 2020, le montant d'une pension en moyenne était de 1.341 euros net, selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).
L'espoir d'un "rattrapage" conséquent est désormais suspendu au projet de loi sur le pouvoir d'achat, que le gouvernement présentera avant les élections législatives des 12 et 19 juin, comme l'a indiqué lundi sa porte-parole Olivia Grégoire.
Les neuf syndicats et associations de retraités exigent une hausse "a minima de 4,5% avec effet rétroactif au 1er janvier", a précisé Didier Hotte (FO), ajoutant que "si le projet de loi ne reflète pas la promesse du candidat Macron, nous irons à la confrontation".