La crise l'a montré : la gestion d'un problème sanitaire est bien plus efficace au niveau du territoire que dans la « verticalité » d'une approche trop nationale et trop bureaucratique. Dès le début de l'épidémie de coronavirus, les médecins libéraux et des hospitaliers ont eu les mêmes réflexes : identifier les patients contaminés, les isoler et les suivre afin de prendre en charge les cas graves. Malgré des pratiques très cloisonnées et des règles administratives rigides, ils ont travaillé ensemble et pris en main leurs systèmes de santé.
En deux semaines, l'hôpital est devenu élastique. Face au risque vital, plus question de traîner : les demandes qui prenaient des mois ont trouvé des réponses en quelques heures. Comme la tente pour filtrer les arrivées aux urgences de l'hôpital européen Georges-Pompidou, installée en quelques heures à l'annonce du confinement. Une tente que le Dr Philippe Juvin, chef du service des urgences, réclamait depuis un mois :
« La pandémie a complètement fluidifié le fonctionnement des hôpitaux, avec des cellules de crise associant des médicaux et des administratifs, observe ce médecin hospitalier, également maire LR de La Garenne-Colombes. Il est bien dommage qu'il ait fallu un tel péril pour faire bouger les choses. Un dixième des initiatives prises pendant cette crise pourrait déjà améliorer nettement l'hôpital à long terme. »
La maladie de notre système de santé, censé être « le meilleur du monde » est bien identifiée : il bride les initiatives de terrain en raison d'une structure en silos, avec des établissements publics et privés, des médecins hospitaliers et libéraux, des labos et des pharmaciens.
Le procès de la logique budgétaire
L'épidémie a fait tomber les cloisons, comme s'en réjouit Emmanuelle Quilès, Présidente de Janssen France :
« Tout le secteur sanitaire a fait preuve d'une agilité et d'une créativité extraordinaires. Loin des habituelles lourdeurs administratives, il a monté des partenariats public/privé inédits, des collaborations hôpital/ médecine de ville... La santé est un écosystème dans lequel les partenaires ont montré qu'ils étaient capables de travailler ensemble efficacement. Le dialogue stratégique État-Industrie est essentiel. La refondation de notre système de santé nécessite de travailler ensemble avec souplesse au service du patient. »
Dès les premières semaines du confinement, les soignants ont souvent accusé les agences régionales de santé (ARS) de leur mettre des bâtons dans les roues. Privilégiant d'abord l'hospitalier au détriment des cliniques, elles ont en effet semblé peu compétentes pour rassembler et concevoir de nouveaux parcours.
« Elles ne sont pas en soi une mauvaise chose, mais elles sont centrées sur une politique budgétaire visant essentiellement à faire des économies, observe André Grimaldi, professeur à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière. En santé, les décisions doivent être prises là où elles s'appliquent et les ARS devraient travailler avec les instances territoriales. Mais il ne peut y avoir de parcours cohérent ville/hôpital que si le mode de financement est cohérent et accessible à tous. »
Accusées de tous les maux, ces ARS auraient tout intérêt à changer de modèle, suggère Alexandre Beau, directeur du magazine Espace social européen :
« Alors qu'elles s'apparentent à des antennes régionales du ministère de la Santé, elles pourraient devenir de véritables agences responsables de territoires et dotées d'initiatives propres. Parce que les problématiques de santé diffèrent selon les territoires, soyons lucides. Des agences plus autonomes pourraient adapter les programmes nationaux aux besoins spécifiques des bassins de vie qu'elles couvrent. En termes de gouvernance, Il serait aussi plus légitime de les voir pilotées par une équipe composée du président de la Région, d'un représentant des hôpitaux, d'un représentant des professionnels de santé et d'un fonctionnaire pour assurer la coordination et rendre des comptes au ministère. »
En associant les autorités locales, les nouvelles ARS devraient rendre aussi des comptes aux usagers et auraient les moyens de lancer une véritable politique de développement sanitaire local.
Investir sur le parcours de santé est une idée neuve, après trois quinquennats à considérer ce secteur comme un gouffre financier, suivant l'aphorisme « la santé n'a pas de prix, mais elle a un coût ». Trois quinquennats qui ont fini par persuader les soignants que la politique de santé se décidait essentiellement à Bercy.
Pourtant, comme le souligne la Fédération hospitalière de France (FHF), le secteur développe aussi l'économie.
« Différentes études d'impact ont montré que 1 euro dépensé pour l'hôpital permet d'en réinjecter 1,80 dans l'économie, avec les salaires d'emplois locaux, les services des prestataires, les travaux courants, les achats de fournitures..., souligne Zaynab Riet, déléguée générale de la FHF. Ses activités de recherche et d'innovation favorisent l'émergence de start-up créées par des médecins en partenariat avec des universités. Elles suscitent des projets et s'associent à des industriels pour concevoir, par exemple, des fonctions de mesure de la résistance des os afin d'équiper un robot chirurgical. »
Les hôpitaux comme les cliniques ont aussi besoin de digitaliser leurs pratiques avec des solutions adaptées, comme celles de la société Hoppen, à Rennes. Ces outils numériques fluidifient les parcours de soins et évitent les doublons, mais ils ont besoin de devenir interopérables pour permettre le suivi du patient entre différents médecins et établissements.
Des applis plébiscitées
Nouvelle piste : le suivi des patients COVID-19, pour gérer les retours de symptômes, deux mois après la fin de l'infection. Ces outils jouent un grand rôle dans le développement de la télémédecine, une jeune pratique boostée par le confinement qui devrait devenir bien plus courante, et nécessitera un développement de sa prise en charge récente par l'Assurance maladie.
Enfin, de nombreux soignants plébiscitent les applications de prévention santé, permettant aux patients de réduire leurs conduites à risque et de gérer le suivi de leurs pathologies. Seule limite à ce mode de prévention : le modèle économique, complexe à établir alors que les Français rechignent encore à payer des services de soins qui ne sont pas remboursés.
Pendant le confinement, les nécessités de la quarantaine ont pu apparaître comme une solution pour relancer l'activité de l'hôtellerie en région, tout en évitant les contaminations. Fausse bonne piste : le système mis en oeuvre n'a pas eu le succès espéré, la plupart des patients positifs ayant préféré rentrer chez eux avec leurs propres mesures d'isolement. Pour relancer le moteur économique, un sujet devenu une grande préoccupation, le secteur de la santé possède donc des ressources en région. L'objectif fait partie des réflexions du Ségur de la santé et, pour certains, c'est le bon moment pour se présenter au guichet. Encore faudra-t-il revoir et réorienter son financement.
Alexandre Beau, d'Espace social européen, propose ainsi une version régionale de l'Ondam (objectif national des dépenses de santé voté chaque année dans la loi de financement de la Sécurité sociale) ainsi qu'une révision des fonds d'intervention régionaux gérés par les ARS. Objectif : laisser plus de marge de manoeuvre aux projets sanitaires régionaux afin de redynamiser l'économie locale, tout en améliorant la prise en charge des catastrophes sanitaires.