
Les besoins de main-d'œuvre sont considérables. Selon le ministère du Travail à l'automne dernier, la France comptait près de 60.000 emplois vacants dans l'industrie. Et à l'avenir, le manque s'annonce encore plus criant : pour la prochaine décennie, entre la reprise de l'activité et les départs en retraite,« le nombre d'emplois à pourvoir dans le secteur se rapprochera du million », prédit Alexandre Saubot, président de France Industrie.
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Des besoins considérables dans toutes les filières...
Aussi, pour de nombreuses entreprises, le manque de personnel - notamment qualifié - est devenu LA priorité, le premier levier pour ne pas perdre des clients, gagner de nouveaux marchés, et maintenir sa compétitivité. Sans quoi impossible d'honorer les commandes et de rester dans la course, internationale notamment.
Preuve en est, au salon du Bourget, où tous les grands acteurs de l'aéronautique étaient réunis la semaine dernière. Derrière les sourires qui accompagnent les perspectives réjouissantes d'activité et les contrats signés, l'inquiétude était palpable et largement partagée : « comment faire si on n'a pas les bras, les têtes pensantes ?... C'est un vrai casse-tête pour les DRH », confiait un membre de la direction de MBDA, le spécialiste du missile. Alors que le groupe doit à terme engranger une commande pouvant dépasser 1.000 missiles Mistral, il sait qu'il lui faudra des compétences pointues.
À lui seul, le groupement des industries aéronautiques (Gifas ) chiffre à 25.000 le nombre de postes à pourvoir dans le secteur cette année. Dans l'industrie navale, le Gican, le syndicat des industries du secteur, évoque, pour sa part, 10.000 recrutements d'ici 2030. Dans le nucléaire, dont le développement est largement encouragé par le gouvernement, le Gifen, syndicat du secteur, table, lui, sur 100.000 nouveaux emplois en seulement dix ans dans l'hexagone...
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....Et dans tous les territoires
Problème, toutes les filières cherchent les mêmes compétences, au même moment et presque au même endroit : des ingénieurs, des soudeurs, des mouleurs, des polisseurs, des agents de maintenance, des opérateurs régleurs...
Sur le site de Saint-Nazaire, par exemple, qui compte à la fois des sociétés industrielles travaillant pour la maintenance des véhicules de l'armée de terre, mais aussi les chantiers de l'Atlantique, ou encore Airbus, les candidats n'ont que l'embarras du choix quand les DRH font de leur mieux pour les attirer chez eux.
Priorité au CDI et à d'autres organisations du travail
Pour se démarquer vis-à-vis de leurs concurrents, la majorité des industriels n'a pas d'autres choix que d'offrir très vite un CDI. Le niveau des salaires aussi est souvent bien supérieur à la moyenne.
« Comme la plupart des entreprises, petites et grandes sont sous pression, elles cherchent à faire preuve de souplesse dans leurs propositions, le rapport de forces change », observe Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet de Muriel Penicaud. Et le fondateur de Quintet, groupe de conseil en stratégie RH de poursuivre : « Pour les cols blancs, les demandes se concentrent sur une meilleure articulation entre vies professionnelle et personnelle, notamment en accordant du télétravail... Mais, les cols bleus sont aussi de plus en plus regardants sur ce sujet. Comme ils ne peuvent pas faire de télétravail, ils demandent une autre organisation. Par exemple, la semaine de travail sur 4 jours a beaucoup de succès... »
Aussi, les entreprises sont-elles de plus en plus nombreuses à réfléchir à des propositions qui visent à accompagner les salariés tout au long de leur vie : Orange propose, par exemple, un congé (payé) milieu de carrière, pour prendre le temps de réfléchir au sens que l'on souhaite donner à sa vie professionnelle, etc.
Enfin, la plupart doit aussi répondre à la question du sens posée par les candidats. Et pour le coup, la transition écologique à laquelle l'industrie doit faire face est parfois un levier pour les attirer. Selon une étude de l'Unedic publiée en avril dernier, plus de huit actifs sur dix souhaitent que leur travail soit en adéquation avec le défi climatique. L'étude montre qu'un quart des actifs (26%) envisagent de changer de métier, ou de secteur pour mettre leur vie professionnelle en cohérence avec leurs préoccupations écologiques.
Miser sur la formation et la reconversion
Chez Veolia, le spécialiste du traitement de l'eau et des déchets, 94 % des salariés disent vouloir être utiles, selon le dernier baromètre de l'entreprise. Le groupe qui recrute chaque année 5.000 salariés dans l'hexagone, mise beaucoup sur la formation interne. En accueillant 2.000 alternants, mais aussi en mettant en place des summers schools pour compléter le cursus de certains BTS.
« Pour les BTS de l'eau par exemple, on les forme en interne pour travailler sur les micro-polluants, nous complétons les formations initiales », explique Olivier Carlat, directeur du développement social de Veolia. Et de préciser que le groupe, avec l'appui des syndicats, joue la carte de la mobilité interne, de l'ascenseur social, qui permet de fidéliser les salariés. Ainsi, plus d'un million d'heures de formations sont dispensées chez Veolia en France.
Mais, les entreprises sont aussi de plus en plus nombreuses à ouvrir leurs recrutements à des profils venus hors de l'industrie : chômeurs, salariés de la grande distribution, du commerce, du transport...Et à faire le pari de la reconversion.
En témoigne l'initiative de Seeb Industrie, le spécialiste des pièces d'usinage de précision pour le nucléaire, l'automobile, ou encore l'armée. L'an dernier, il a lancé sa propre école en Saône-et-Loire. En effet, las de ne pas trouver les compétences adéquates, il a décidé de créer un cursus de formation avec Pôle emploi et un organisme de formation. Grâce à un module de quelques mois, il s'agit de permettre à une dizaine de candidats novices dans ces métiers de rejoindre la filière. Des investissements coûteux - puisque cela revient à mettre quasiment 100.000 euros pour former un usineur - mais qui sont un pari sur l'avenir pour développer le chiffre d'affaires de la société.
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Autre exemple à plus grande échelle, dans les Hauts-de-France, à Douvrin, où Stellantis et la région ont inauguré, le 16 juin dernier, un grand centre européen baptisé « Battery Training Center » pour permettre aux employés de l'automobile de venir dans les métiers de la batterie électrique. Les anciens ouvriers de l'automobile sont invités à suivre 400 heures de formation pour obtenir une certification reconnue par l'État. Ce précieux sésame leur permettra de travailler dans la nouvelle usine ACC - coentreprise Stellantis, Mercedes-Benz et TotalEnergies- qui a pour projet d'équiper 500.000 voitures électriques d'ici 2030. La plupart des postulants sont issus des équipes de Stellantis à Douvain dont l'usine devrait fermer en 2025. Une façon selon l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), qui est aussi partenaire de l'opération, d'éviter le chômage. D'ici 2025, 600 salariés devraient ainsi connaître cette reconversion, venus de Stellantis, mais pas seulement, puisque le centre a vocation à accueillir des employés d'autres firmes automobiles engagées dans la transition électrique. Le « battery training center » se veut ainsi au service d'un territoire.
Peu de recours à la main-d'œuvre étrangère
Quant à se tourner vers la main-d'œuvre étrangère (hors de l'Union européenne) pour pourvoir les postes vacants, les patrons français sont très partagés. Selon une enquête de BPI France, seuls moins de 30 % des dirigeants de PME et ETI industrielles envisagent dans les cinq prochaines années d'y avoir recours.
Aujourd'hui, la main-d'œuvre étrangère représente d'ailleurs à peine 6 % des effectifs du secteur. Plus que la nationalité, c'est la question des compétences, mais aussi la barrière de la langue qui explique ces réticences. Et selon Elise Tissier, directrice du département études de BPI France « attirer des collaborateurs étrangers n'est pas perçu comme la solution miracle ». Le gouvernement estime, lui, que c'est une solution pour les filières en tension. D'où la préparation du projet de loi Immigration qui prévoit d'alléger les procédures, et qui vise à mettre en place un statut spécifique du travailleur immigré.