Partir plus tôt à la retraite rend-il heureux ? La question se pose à l'heure du débat sur la réforme des retraites, votée par le Parlement le 16 mars, et qui repousse l'âge de départ des actifs français à 64 ans. « Partir à la retraite plus tôt ne rend pas nécessairement plus heureux », avance, dans une étude, le cabinet Astérès. Un vrai paradoxe, quand, les débats actuels sur la pénibilité en France ont souligné des conditions de travail difficiles dans certaines professions.
Pour justifier le lien entre bonheur et arrêt de la vie de salarié, le cabinet Astérès a « croisé » des données : celles de l'indice du bonheur du World Happiness Report publié par l'ONU, avec celles de l'âge de départ à la retraite, par pays de l'OCDE. Ainsi rapprochées, les deux courbes révèleraient qu'un départ tardif à la retraite pourrait suivre une meilleure moyenne nationale en matière de bonheur.
Or, la France est un pays paradoxal en matière de bien-être. Apprécié des visiteurs étrangers chaque année, l'Hexagone vient pourtant de rétrograder hors du Top 20 dans l'édition 2023 de l'index de l'ONU, à la 21ème place. La dernière réforme, actuellement rejetée par la rue, risque-t-elle de plomber encore plus cet indice du bonheur, tandis que, chaque année, plus de 700.000 nouveaux retraités français font valoir leurs droits, selon les chiffres de l'Agirc-Arrco ?
L'importance du pouvoir d'achat et du lien social
En outre, le cabinet Astérès s'appuie sur deux critères inhérents à la vie de tout travailleur, que relève l'indice du bonheur de l'ONU : « travailler plus augmente le PIB par habitant » et « le travail génère des liens sociaux » :
« Les Nations Unies, dans le Rapport mondial sur le bonheur ont développé un indice basé sur six variables : le PIB par habitant, l'espérance de vie en bonne santé, l'intensité des liens sociaux, la liberté, la générosité et la corruption », justifie le cabinet d'étude d'orientation libérale qui a coutume de prendre le contre-pied des débats en cours, à l'image de sa précédente étude montrant que les progrès de la science pourrait aussi repousser l'âge de la retraite à... 72 ans.
Mais, reconnaît Astérès, peut-on vraiment savoir à quel âge un individu a-t-il réellement pris sa retraite ? « Les chiffres peuvent varier selon qu'est considéré l'âge de départ légal, l'âge permettant d'obtenir une retraite à taux plein, l'âge effectif de départ moyen, le sexe... » écrit le cabinet qui s'est donc uniquement basé sur « l'âge de départ légal et l'âge de départ à taux plein pour une personne ayant travaillé sans interruption depuis ses 22 ans ». De plus, pour lisser les données, Astérès a déterminé un « âge moyen » entre hommes et femmes.
Pour rappel, en France, l'âge effectif de départ dans le secteur privé est à 63 ans, selon le COR (Conseil d'Orientation des retraites). Il descend à 62,3 ans si on prend en compte les régimes spéciaux et les régimes non salariés. « Il a significativement évolué depuis 2010, date à laquelle il était en moyenne de 60,5 ans », souligne le COR.
La définition du bonheur diffère selon la catégorie socio-professionnelle
Aussi, le cabinet admet qu'il est difficile d'établir, de manière automatique, que : « passer plus d'années à la retraite ne semble pas être accompagné d'une hausse du « bonheur ». Et pour cause. Le critère du bonheur reste difficile à définir de manière objective. « Cette ambivalence du départ à la retraite se retrouve dans les évaluations subjectives de bien-être », écrit en 2019 le Cepremap (Centre d'Études Prospectives d'Économie Mathématique Appliquées à la Planification).
A plus forte raison, selon une étude de ce Centre, la catégorie socio-professionnelle influence directement l'idée que l'on se fait du bonheur : « la retraite n'efface pas ou peu les différences sociales dans l'évaluation de son bien-être : les plus satisfaits avant leur retraite le sont également après, même si dans certains domaines, en particulier celui de la santé, l'écart entre groupes sociaux tend à se réduire avec le passage à la retraite. » Et le phénomène s'observe en France pour certains actifs : « Du fait de la place occupée par le travail dans la construction de la position sociale des individus, la retraite peut également être un moment d'interrogation de leur utilité sociale, lorsque certains liens de sociabilité liés au travail se distendent. »
D'autres critères du bonheur entre aussi en ligne de compte, selon une étude américaine d'Harvard, qui souligne l'importance « d'avoir un mariage heureux. Ainsi, être en couple stable à 50 ans multiplie par trois les chances d'être heureux et en bonne santé à l'âge de 80 ans ».
Le travail épuise-t-il les réserves ou conserve-t-il ?
Enfin, se pose la question du bien vieillir longtemps. En France, l'espérance de vie à la naissance, en bonne santé ou non, est restée stable en 2022. Elle s'est, en effet, établie à 85,2 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes, soit des niveaux proches de ceux de 2021 et restant toujours inférieurs de 0,4 an à ceux de 2019, avant la pandémie.
Là encore, à la question de savoir si le travail permet de se maintenir en bonne santé, les avis divergent : « d'après l'hypothèse « use-it or loose-it », les capacités physiques et cognitives des individus seraient préservées tant qu'elles sont « utilisées ». Ainsi, prolonger la durée d'activité conduirait à conserver plus longtemps la santé physique et les capacités cognitives des individus. À l'inverse, l'hypothèse « de réserve physiologique », suggère que les individus possèderaient un stock de santé ou une réserve dans laquelle ils puisent au cours de leur période de travail », explique le COR (Conseil d'Orientation des Retraites) dans une étude de 2022. Et ici, les situations professionnelles débouchent sur une grande hétérogénéité, renforcée par de nouveaux comportements et de nouvelles habitudes de consommation qui apparaissent surtout au moment de la retraite.
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