Crise sanitaire, guerre en Ukraine, crise énergétique, inflation... depuis le début de l'année 2020, l'économie planétaire a traversé une série de chocs vertigineux. Ces violentes crises ont profondément heurté l'activité partout dans le monde. Et en France, l'économie a subi de plein fouet toutes ces secousses. Propulsé par les prix de l'énergie et de l'alimentaire, l'inflation a atteint des sommets inédits dans l'Hexagone depuis plusieurs décennies. L'Insee table désormais sur un indice des prix à 5% d'ici la fin de l'année. Dans les entreprises et le secteur public, la question des salaires est devenue brûlante. Pour tenter d'apaiser ces tensions, le gouvernement a prévu d'organiser une grande conférence sociale au conseil économique, social et environnemental (CESE) en présence des syndicats le 16 octobre prochain.
À l'approche de ce grand raout, l'institut Rexecode a mis sur la table plusieurs propositions pour stimuler les salaires. Dans une note dévoilée ce jeudi 12 octobre, l'économiste Olivier Redoulès estime que le principal levier pour doper les salaires est « de favoriser la mobilité professionnelle entre les entreprises et les secteurs ». Il estime que « la dynamique de réallocation des travailleurs vers les entreprises les plus productives est un levier puissant de gains de productivité pour l'économie, et donc de pouvoir d'achat ». « Il n'y a pas besoin d'intervention publique sur les salaires ». Le statisticien confie à La Tribune que « la fixation des salaires doit être laissée aux branches et aux entreprises ». En revanche, l'organisme réputé proche du patronat recommande aux institutions publiques de s'attaquer « aux problématiques de mobilité géographique, notamment au niveau de l'offre de logements, de transports et de services aux familles ».
La chute inquiétante de la productivité
Depuis quelques années, le rythme des créations d'emplois a souvent dépassé la croissance du produit intérieur brut (PIB) à la grande surprise de nombreux économistes. Mais cette embellie de l'emploi masque une chute de la productivité tricolore. Pour expliquer cette baisse, les économistes citent l'embauche massive d'apprentis. « Sur les 1,2 million d'emplois créés entre 2019 et 2022, un tiers concerne des apprentis », rappelle Olivier Redoulès.
En effet, le gouvernement a clairement mis l'accent sur l'apprentissage depuis 2018, et surtout 2020. Lors de la présentation du plan de relance de 100 milliards d'euros à l'été 2020, l'ancien premier ministre Jean Castex avait annoncé une vaste enveloppe pour aider les entreprises à embaucher à tour de bras des apprentis. Résultat, ces effectifs moins expérimentés sont comptés à temps plein dans les entreprises alors qu'ils passent une partie de leur temps en formation. Ce qui complique le calcul de la productivité.
A cela s'ajoutent « les créations d'emplois dans des secteurs moins productifs dans le commerce par exemple et le maintien de la main-d'oeuvre dans l'automobile ou l'aéronautique », ajoute l'économiste. Dans certains secteurs comme le matériel de transport (-21,5%), la construction (-14,9%), le transport (-14,9%) ou encore l'hébergement-restauration (-13,9%), le plongeon est spectaculaire entre 2019 et le second trimestre 2023. Enfin, la destruction massive des emplois industriels depuis les années 70 et la forte précarisation du marché de l'emploi avec des postes de moindre qualité ont également pu contribuer à faire reculer la productivité du travail.
Une baisse du pouvoir d'achat des salariés
La montée en flèche des prix à la consommation a frappé durement le porte-monnaie des salariés. Le pouvoir d'achat du salaire moyen par tête a baissé en moyenne de 2,5% dans le secteur privé en France entre 2019 et 2023. Dans beaucoup de branches , la chute est particulièrement criante. Les salariés de l'immobilier (-5,5%), l'industrie agroalimentaire, l'eau, les déchets (-4,6%) ou la construction (-4,1%) ont enregistré des pertes de pouvoir d'achat substantielles.
Si le salaire minimum en France est indexé sur l'inflation, ce n'est plus le cas pour la plupart des autres catégories depuis le début des années 80. Résultat, les cadres (-2,9%) ont souvent connu des pertes de pouvoir d'achat plus importantes que les ouvriers ou les employés (-0,5%). Ces derniers demeurent cependant en première ligne sur les hausses des prix compte tenu du poids des dépenses d'énergie, de logement et d'alimentation dans leur budget. Avant le grande réunion du 16 octobre organisé par le gouvernement sous la coupole du palais d'Iéna dans le 16ème arrondissement parisien, les syndicats entendent bien mobiliser leurs troupes pour battre le pavé ce week-end partout en France.
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